A la fois généreux et parfaitement maîtrisé, le dernier texte de Vincent Borel Antoine et Isabelle regarde le XXème siècle à travers les miroirs de deux familles et de deux pays, l'Espagne et la France. Déjà doublement récompensé par les Prix Page des Libraires et Laurent Bonelli Lire et Virgin Mégastore, ce livre retrace des destins qui ont vécu le siècle et ses déchirures. Au coeur de l'effervescence de cette rentrée littéraire, l'auteur a répondu à nos questions.
V.B: Avec la scène d'ouverture, effectivement arrivée un soir d'août 2001 en Jamaïque. Elle m'a suffisamment marqué pour déclencher la nécessité de ce roman.
V.B: Le moins que l'on puisse faire, quand on envisage d'écrire une fresque de cette ampleur, est d'être le plus précis possible dans les informations que l'on va fournir à ses lecteurs. Question de crédibilité comme de générosité envers celles et ceux qui accomplissent le geste d'acheter le livre.
V.B: Devoir de mémoire est un terme galvaudé et fatiguant autant à employer qu'à entendre. Je voulais simplement répondre au négationnisme de la première phrase du livre en déployant mon roman entre cette première assertion et le témoignage de mon grand-père. C'est entre le crétin de départ et le témoin final que se tendent les fils du roman.
Effeuiller l'époque date après date me semblait la meilleure façon de dérouler cette histoire excessivement complexe, notamment concernant la guerre d'Espagne. Tout s'y joue à la semaine près. Je ne voulais pas jeter le lecteur dans un embrouillaminis de structures romanesques. Je n'ai pas écrit ce roman pour "me la jouer intelligent", mais pour apporter du sens au lecteur.
V.B: Il se trouve simplement que ces deux familles portent le récit. Pour répondre à votre question, il y a famille et famille. Les puissantes dynasties financières et industrielles existent toujours, comme la solidité des liens familiaux. Je vis dans un quartier de Paris, le 19ème arrondissement, où les brassages de population sont importants. Les familles africaines, asiatiques, orientales ne sont pas vraiment atomisées. La famille recomposée n'a pas décomposé tout le paysage social ...
V.B: Elle est la Londres de la Méditerranée, électrique, éclectique, prodigieuse comme disait Mendoza. Pleine d'énergie, inventive, passant sans rupture de la tradition à la modernité. Elle reste un lieu d'inspiration.
V.B: Les lieux me parlent et me racontent leurs histoires. Ainsi Saint Francois Xavier, dans le 7ème arrondissement, où le pouvoir est inscrit dans la pierre. Il s'agit de tremplins pour l'imaginaire. Et ils ils valident très souvent mes intuitions romanesques.
V.B: C'est un peu plus complexe que cela, il y a des contrastes dans chacune de ces villes. Cela s'appelait la lutte des classes (ce terme est encore valable aujourd'hui).
V.B: Elle s'est inscrite d'elle-même dans le premier chapitre du livre. J'avais en face de moi l'assertion négationniste et l'héritier des malversations industrielles du siècle passé. N'était-ce pas le matériau idéal ?
Elle est la brebis galeuse et la figure moderne de cette famille bourgeoise et traditionaliste. Assez typique de cette période où l'on se déchire politiquement de manière profonde et souvent irrémédiable. Elle porte aussi en elle l'avenir des Gillet, elle est la mère d'enfants qui absoudront peu-être les péchés des générations précédentes.
V.B: Il se trouve que le temps de l'écriture, les années 30, correspondait sinistrement avec le nôtre : crise, cynisme des élites, horizon indépassable du libéralisme, montée des nationalismes identitaires … Ce n'était plus un choix, mais une évidence. Le romancier reste perméable à son époque. Il est une éponge.
V.B: Ce siècle nous a construits, et plutôt mal. Pourtant, il a aussi réussi à établir un progrès social, certain, nécessaire. Tout cela est insidieusement remis en question aujourd'hui. J'avais besoin de rappeler quelles furent les racines de ces combats. Ainsi, quand le patronat espagnol ne payait pas d'impôts, il n'était pas stupide de la part de la République de réclamer un partage équitable des richesses …
V.B: Pour comprendre cela, y compris la pudeur avec laquelle j'ai choisi d'entourer leur relation, il faut avoir en tête le profond changement de mentalités qui nous en sépare. Ils font un choix affectif qui est celui de la fidélité, simple et généreuse. On se comportait ainsi, jadis, quand l'amour était à créer comme à défendre contre les entropies familiales. Le couple s'envisageait sur la durée. L'époque ne pratiquait pas le zapping affectif, même s'il pouvait y avoir des coups de canif dans le contrat …
V.B: De mon grand-père qui m'amena écouter les Maitres Chanteurs de Wagner aux arènes de Fourvière lorsque j'avais onze ans. Ce fut ma potion magique.
V.B: Je dirais plutôt lieu. Je traite du "lieu opéra" dans sa fonction sociale directement héritée du 19ème siècle, celle que connaissait Balzac, Stendhal, voire le Visconti de Senso et que j'ai exploré dans mon essai "Un curieux à l'opéra". C'était tout autant le club des nantis que le creuset des plaisirs populaires.
V.B: Absolument ! Si elle était une douleur, je l'aurai abandonnée pour me faire cuisinier ou jardinier.
V.B: Les textes de Dickens, Balzac, Faulkner, Styron, Théophile de Viau, Lowry, Carpentier…
V.B: "Là ou j'ai laissé mon âme", de Jérôme Ferrari, un style envoûtant qui ouvre nos placards obscurs (Indochine, Algérie), avec délicatesse et pertinence.
"Naissance d'un pont" de Maylis de Kerangal, superbe métaphore de notre aujourd'hui mondialisé.
"Qu'as tu fait de tes frères ? " de Claude Arnaud, le roman qui nous manquait sur la génération 1968. Tendu et prenant.
Vincent Borel, Antoine et Isabelle, Sabine Wespieser.
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