Un bon livre.
Plus que jamais d’actualité en nos existences tantôt abandonnées au virtuel et à ses solitudes et à ses succédanés de « Libertés » ; tantôt remises/démises en d’autres mains ; tantôt soumises à la violence ramenant au néant (la mort subie et donnée au nom d’un Idéal abstrait détaché des concrétudes humaines -comme aliénation ultime et sans recours donc).
Dans la série du théâtre sartrien, où chaque pièce met en scène l’une des «pathologies de la liberté humaine» (aveuglement, renoncement, illusion d’absolu, quête d’abstraction…), ‘Les jeux sont faits’ soulève la problématique de l’action et des effets réel qu’elle peut avoir dans le monde des hommes…
Trame et résumé :
Des hommes armés, au pas cadencé.
Partout, l'Ordre et la terreur - l'ordre par la Terreur.
Mais il y a Pierre, qui ne veut -ne peut?- courber l'échine: car Pierre croit en la liberté... et en l'homme. Il veut changer le monde; sans compter que, la faim, la misère, la honte, il connaît - a déjà donné. Et désormais il lutte contre "les autres" (détenteurs de pouvoirs, gardiens du Temple des choses établies...).
Mais il y a Eve, une "autre" justement.
Autre monde, autres intérêts... Et autre souffrance, réelle tout autant (mauvais mari, mauvais mariage).
Ces deux-là ne devaient pas se rencontrer; ceux-là se sont trouvés: un grain de sable dans l’engrenage (‘L’engrenage’ est aussi le titre d’une autre pièce de l'auteur).
Ici, le grain de sable s'appelle Lucien, qui dénonce, qui trahit, qui a honte... Et pense supprimer cette honte, et le témoin de l'ignominie, en descendant Pierre ... ... au moment précis où le conjoint de celle-ci la tue...
La suite est attendue: nos deux morts se retrouvent dans l'au-delà, se découvrent, s'aiment et en gagnent la Terre comme d'autres pourraient gagner le ciel. Car la vie leur est rendue pour qu'ils se consacrent à leur amour. Hélas nul n'échappe à lui-même: « Les jeux sont faits, voyez-vous. On ne reprend pas son coup", LJSF, p.185.
Cette courte pièce, très accessible, très agréable à la lecture également, permet d'approcher sans souffrance ni connaissance particulière l'un des thèmes essentiels du philosophe: la liberté (celle du sens à construire, à donner, à soutenir).
D'un point de vue philosophique, tout le paradoxe sartrien s'y retrouve: d'une condition humaine prise dans une suite de données indépassables "en faits" (la situation) mais qu'il s'agira de soutenir et réorienter en fonction d'un but librement choisi... L'orgueil sartrien donc, qui conduit à introduire cette notion de liberté absolue...
Ainsi, "est mort" celui qui n'agit plus.
"Est mort" celui qui est sans attaches ni contraintes ni buts (choisis, voulus, assumés).
Ou encore, celui qui est sans corps, sans émotions, sans rien.... : libre et cependant aliéné car perdu à lui-même - hors l'humain.
Reste donc à inventer la liberté: comme idéal, au sens platonicien (un modèle, mais un modèle agissant).
Pierre ne voulait pas mourir, ni Eve... :"L'essentiel, c'est d'avoir fait ce qu'on avait à faire"...
Tout est joué donc, sauf le sens du jeu. Ou, plus techniquement, il est des pathologies de la liberté à surmonter –que Sartre mettra en scène dans ses différentes pièces de théâtre précisant que l'unique imposition de la conscience est celle de sa contingence, que l'unique fatalité de l'individu recouvre son absolue et incessible liberté.
Une liberté qui s'alimente, s'enivre et s'angoisse de sa puissance.
Une liberté qui quelquefois s'égare ou se démet : s'abandonnant à l'autre, s'aveuglant de contraintes ou de nécessités.
Ou rêvant d'aligner le monde et son action et sa morale sur son absolu (in ‘Le diable et le bon dieu’) mais se condamnant alors à son autre : soit l'impuissance d'une action suspendue, soit la violence d'une action assénée contre les autres hommes (en leur concrétude, singularité, sensibilité et liberté).
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