Extrait de de

T2/ V - Ethique ou bioéthique ?

 

Avant propos :

(296) Mélanges et confusions : entre l’homme et l’animal (transgenèse, xénogreffe), l’homme et la machine (prothétique, connectivité), l’homme et la chose (réification de la chair, marchandisation des produits corporels). Et semblablement, entre les genres (masculin et féminin), l’unité et la dualité, le même et l’autre (clonage), le bien et le mal (relativisme déstructurant).  Tout se mélange en une soupe qui n’a plus rien de primitive - hormis ses particules vibrionnantes et a-morphiques qui sont autant de monades au parcours chaotique et aux rencontres violentes. Ce délitement des genres et catégories, effacement des frontières ou  attaque en règle à l’encontre des différences[1], concourt à la mise à mal des constructions personnales, existentielles et humaines. Mise à mal des significations et signifiances  rebondissant mécaniquement sur les compréhensions et constructions de «sens» : sens de soi, du monde et de soi dans le monde au regard d’un autre. Sens de l’humain donc, de sa survenue ou de son advenue.  Et les questions anciennes sont toujours les nôtres : pourquoi la conscience, pourquoi l’émotion– et pour quoi (en) faire ? A l’horizon de quels projets, valeurs ou vis-à-vis ?

(297) Pour y répondre, les sciences humaines ; et la conscience qui l’est tout autant (humaine). Pour asseoir les réflexions, l’éthique. L’éthique (ethos) ou le fond référentiel/moral d’un groupe humain considéré : qui garde, expose ou propose un ensemble des comportements (acceptés si ce n’est recommandés). Qui témoigne de l’inter-connexion des individus : aux autres et à autrui. Et recouvre une puissance normative : jaugeant ou instituant des normes (telle un Surmoi collectif). Elle a en cela partie liée avec des jugements de valeur : menant une réflexion sur les référents (principes, attendus et objets de signifiance ou d’investissement) et sur leurs conflits – pour ensuite ébaucher un projet (humanité) à partir de ses présupposés ou options. Sa scène originelle est celle du champ Idéel/Idéal et de la soutenance. Et son rôle celui d’un schème paradigmatique qu’un sentiment d’appartenance et qu’un vécu de reliance au collectif contribuent à intérioriser au regard d’une raison et d’une conscience qui l’assument. Aujourd’hui pourtant, elle se laisse infléchir par un pragmatisme certain : sinon en son fonds référentiel, sinon en ses intuitions ou aspirations, pour le moins en son fait – dès lors qu’elle suit le savoir et le savoir-faire proposés (imposés ?) par la science. Elle se trouve de plus en plus souvent confrontée au fait avéré (qu’il lui faudrait réguler ou justifier) et aux exceptions expérimentales. Par suite, elle fait avec, tentant le plus souvent d’acclimater la nouveauté. En outre, elle se situe désormais en un univers replié sur le mécanisme : de la logique informatique, de la mondialisation et de la dispersion des pouvoirs, responsabilités ou actions. Un monde d’échanges impersonnels ou virtuels et, finalement, d’idéologies totidéterministes transformant la matrice génétique en un programme finaliste. Pourtant, l’impératif technicien est étranger à l’éthique : celle-ci entendant précisément limiter l’action au regard d’un au-delà qui la (les) dépasse – une valeur qui peut être l’autre en son altérité et/ou sa liberté, mais également le juste, le digne ou le futur. En clair, l’éthique est une conceptualisation (à propos référentiel ou normatif) de l’homme, de la vie (bonne), de l’existence (libre) et du sens (humain). Une mise en forme et en place des limites et des points d’arrêt à  imposer à l’action au regard d’autrui (dont la définition peut varier), de la liberté  (propre et tierce, présente et future), de la dignité (en sa polysémie), de l’espèce et du futur – à préserver comme futur libre et réel, différant d’une programmation ou d’un déroulement processuel du présent. Comment alors fonder une morale non théologique, non Transcendante, non violente (en ses réquisitions et préceptes) et non rigide (non Essentialiste) qui ne soit cependant ni fluctuante ni essentiellement Relativiste ? Lévinas en référait à la réalité d’autrui : de son visage qui parle, réquisitionne ou oblige son vis-à-vis. Sartre en son temps s’engagea de même dans la voie de l’appel : la main qui se tend et «me» parle – parle d’un autre moi, autre Je (autre et semblable). Jonas pour sa part se fondait sur le Principe Responsabilité (au nom de l’espèce, des générations futurs  et des futurs individus). A. Kahn également réfléchit à la question : «Puisque Homo sapiens se revendique libre et appréhende l’unicité de son être (…) [il est] responsable de ce qu’il accomplit librement (..). Cette notion de responsabilité est centrale car elle constitue le moyen (…), de refonder un humanisme non essentialiste dans une perspective agnostique (…)./ Il existe une asymétrie fondamentale (…) entre ceux qui ont la responsabilité de s’imposer un devoir, et les autres. Il s’agit, en particulier, de prendre en compte la souffrance animale, de respecter la diversité biologique et, plus généralement, de préserver la planète que nous léguerons à nos descendants.», HceRP, 25-27. Un remarque s’impose, la Responsabilité développée par Jonas trouve son modèle dans la responsabilité parentale : quasi viscérale et jamais finie (éveillée par la fragilité confiante de l’enfant, saisie par la tâche monumentale qui s’impose à elle et gratuite –hors réciprocité). L’éthicité que dessine Lévinas partage avec elle une constituante «obligée», inscrite dans le pathos d’une sensibilité en résonance et accordance. A. Kahn insiste sur la liberté d’un choix faisant dignité et E. Kant soulignait la nécessité d’assumer une imposition (rationnelle) de «devoir».

(298) Les problèmes posés par l’opérativité sont multiples et complexes, ils touchent à l’intimité ultime des individus et tout autant à l’avenir de l’espèce et de la planète.


[1] Prenant parfois la voie d’une différence créée dans la rupture – de continuité ou d’espèce : c’est là alors un alignement sur le désir ou la fantasme – refusant qu’un écart persiste entre la réalité de l’enfant ou de l’individu et la création mentale ou la volition).

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jacqueline Wautier

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