Annick Geille aime les voyages. Et les mots. Et les cartes postales. Partie en Antarctique et en exclusivité pour Viabooks, elle nous raconte sa découverte d'une île appartenant à l'archipel des Shetland : "Deception"... Au programme, éblouissements et frissons. Mais aussi craintes que ces paysages encore préservés ne soient un jour anéantis. Récit.
Depuis mon balcon sur l’Antarctique, je vois, stupéfaite, « Deception Island » se profiler à l’horizon. « Deception », île mythique des Shetlands du Sud ! Petit- déjeuner pris en cabine, je gagne les coursives. Temps gris, mer calme, froid sec. Climat maritime polaire. Huit heures du matin. « Deception Island » sort de la brume comme d’un rêve. Vêtus de leurs parkas, pantalons imperméables et bottes étanches, sans oublier le gilet de sauvetage, la plupart des passagers sont sur le pont.
Emmitouflé jusqu’au cou, un Américain filme notre avancée vers « Deception ». Deux Chinois finissent de décontaminer leur équipement, avant de gagner les zodiacs qui, chaque jour, nous permettent de débarquer « pieds dans l’eau ». Aborder le Continent Blanc par ses plages glacées, avec comme seuls témoins, les manchots, papous ou à jugulaire, et les otaries de mer : une aventure à la Tintin . Nous sommes propulsés en pleine « Ile Mystérieuse ». Aborder une île à mille et mille lieues de toutes régions habitées est une expérience que j’aurai donc vécue.Je ne prends aucune photo, je dévore du regard la côte volcanique qui approche dans un silence minéral, rompu par le clapotis de l’étrave à la surface de l’eau. Je rêve ? Non : mes doigts sont gelés. Dans les gants doublés de fourrure, je glisse les « chaufferettes » achetées chez Décathlon. Pensée émue pour ma valise. Si on ne l’avait retrouvée par miracle, juste avant l’appareillage, comment aurais-je vécu ici sans équipement ? Une Australienne me sourit. Elle m’aurait sûrement prêté un anorak. Mais tout le reste ?
Brune, la cinquantaine, l’Australienne est accompagnée d’un homme s’aidant d’une béquille : il restera à bord pendant l’escale . Deux Allemands nettoient leurs bottes dans les bacs anti -pollution. Ils sont jeunes, pleins d ‘esprit. Avec ce quelque chose d’extrêmement affable, plein de délicatesse et de grâce, qui rappelle le « Gatsby » de Fitzgerald. La Nouvelle Allemagne. Cosmopolite. Gaie, entreprenante et chic. Nous dînons ensemble ce soir. Les passagers de l’Austral ont toutes les nationalités, mais un point commun .
Une fois dans leur vie, ils ont voulu contempler, après le passage du Drake, sa houle et ses creux. « Deception Island », le Canal Lemaire , la Mer de Weddell, et l’océan Austral. Ils ont réalisé ce rêve d’Antarctique. En Anglais : « AntarcticA » (la sonorité du « A » final accentue la dimension onirique). Non seulement « Deception » ne déçoit pas, mais l’île est plus belle qu’on ne l’ imaginait. Ile volcanique, donc. Paysage lunaire. Le cratère de ce volcan forme une baie. Port Foster, 9 klm de long, 6 de large . L’Austral s’engage par le « Soufflet de Neptune » à l’intérieur du cratère-baie ; le « Soufflet de Neptune » ne mesurant que 300 m de large , à la barre, il ne faut pas se tromper. Chacun doit redoubler de vigilance pour ne point heurter Neptune, Dieu de la mer . Son « Soufflet » étroit est dangereux. Nous autres, passagers, sommes bouche bée. « Deception » se précise.
Toujours et partout, ces flocons par- dessus le sable noir. Vapeurs volcaniques dans la brume. La caldera est cernée de collines forment un fer à cheval, paysage unique. Ce fer à cheval montagneux surplombant « Port Foster » constitue « Déception », et nous sommes au milieu. C'est à dire sur le volcan enfoui sous la mer. Un volcan basaltique actif. Ses dernières irruptions se produisirent entre 1967 et 1970… Avis aux téméraires, semble soupirer le rivage hautain. L ’Austral jette l’ancre. Je frissonne. Mes amis allemands m’offrent un chocolat chaud, qu’ils sont allés chercher au bar.
Un naturaliste s’approche et explique. « Deception » contient une flore exceptionnelle, dont la plante à fleurs sagine antarctique, des mousses et lichens intéressant botanistes et géologues, et une colonie de manchots à jugulaire (déclin de 50 % des couple hélas dû sans doute à l’impact du réchauffement sur la quantité de krill , leur seule nourriture »). J’enregistre sur mon portable. Le naturaliste poursuit ses explications à bord du Zodiac qui pétarade vers « Walker Bay ». Qu’y- a –t- il de plus excitant que d’arriver en Zodiac sur une île déserte ? Ce que nous faisons. « Située dans le détroit de Bransfield, dans l’océan Austral, l’Ile de la Déception ( 62°57 ‘ de latitude Sud, et 60 ° 38 ° de longitude Ouest ) est une île en forme de fer à cheval, au milieu la mer, cernée de collines de cinq- cents mètres de haut, noires car volcaniques, avec des plages à vapeur et des glaciers recouverts de cendres ». Un passager originaire d’Afrique du Sud sort ses jumelles.
Des éléphants de mer nous attendent. Etendus par petits groupes sur la plage, ils se confondent avec la roche. Fourrure fauve, jeunes mâles qui viennent muer. En moyenne, une tonne et huit mètres de long par animal. Sont capables de plonger à 1500 mètres. Parfois, l’un d’entre eux se dresse, masse impressionnante, se frottant le museau avec son congénère . Ils se poussent et se repoussent en poussant des cris sourds. La distance à respecter est de dix mètres. Je les observe.
Plus tard, je marche dans ma tenue d’extra-terrestre sur la plage de «Walker Bay ». La station des baleiniers norvégiens du dix neuvième siècle. Je pense aux baleines massacrées aujourd’hui par des Japonais. L’Antarctique est un sanctuaire, protégé par des lois internationales et le fameux protocole signé en 1961 . Les baleines sont par ailleurs une espèce menacée, et protégée. Il en faut plus pour impressionner les Japonais. Après avoir massacré six- cents dauphins sur leurs propres rivages le mois dernier (des dauphins !), voici qu’ ils débarquent en Antarctique pour s’occuper des baleines à bosse . Et de leurs petits, puisque c’est la saison des naissances . Les Japonais, dit la publicité d’un magazine « savent allier le passé et le futur en toute harmonie. » Ces chers Japonais. Leurs érables d’automne, leurs cerisiers en fleurs au printemps. Je marche seule sur « Deception Island », songeant à ces gouvernements qui ferment les yeux pour ne pas avoir d’ennuis avec les Nippons.
Les Japonais se tapent des traités internationaux comme d’une guigne . Ils se fondent dans le paysage polaire, avec leurs bateaux aussi petits que possible ; sous prétexte de « recherches scientifiques », ils font ce qui est interdit sur toutes les mers mais encore plus ici, sanctuaire sacré de l’Antarctique. Ils massacrent allégrement les baleines à bosse et leurs petits qui, sans méfiance, viennent accueillir leurs navires, longeant la coque et s’ébrouant comme je les ai vu faire hier avec l’Austral, puisque l’homme- qui a failli au cours de siècles les anéantir à jamais- ne leur fait aucun mal ici. Bonne pioche ! La baleine et son petit folâtrent et jouent près du bateau Japonais pas du tout scientifique, tandis que son équipage, huilant lances, pics et harpons, dans l’intérêt de l’expansion des restaurants japonais, songent à l’huile de baleine, à la chair de baleine, au profit généré par le massacre des cétacés. J’imagine la scène, après ce que j’ai vu de la gaieté des baleines hier, à bord de l’Austral Français. Quand la mère et son jeune sont assez près du navire « scientifique » ( sic) japonais, les harpons pleuvent, la mer rougit et bouillonne. Le sang des cétacés gicle sur la coque des navires scientifiques Japonais. Pourquoi se gêner ?
Quelques rares et courageux navires de l’ ONG « Sea Shepperd » parviennent parfois à barrer la route ( ils ont sauvé ainsi 9OO baleines la saison dernière cf. « le Nouvel Observateur ») aux Japonais, mais les Japonais ont un avantage énorme sur les Associations, le droit international et les baleines. Ils sont nombreux. Très nombreux. Et ils reviennent toujours. Sur la plage de « Walker Bay », je contemple ce qui reste de l’ancienne station baleinière norvégienne. Les baleines étaient dépecées sur place. Peut être, me dis-je en contemplant cuves à huile abandonnées et baraquement en ruines qu’on pourrait rénover la station baleinière abandonnée de « Walker Bay » ?
Les Japonais d’aujourd’hui remplaceraient les Norvégiens d’hier ? Ils pourraient ramener sur le sable noir de « Deception » les cadavres des cétacés comme le faisaient les baleiniers d’antan ? Les faux scientifiques Japonais pourraient ainsi chaque jour dépecer sur place la mère et son baleineau, se souvenant de cette manière agaçante qu’a la baleine de se mettre en travers, pour protéger son baleineau. Je la vois sur le sable noir de « Walker Bay », la baleine baignant dans son sang, avec cet énorme sourire figé sur son immense mâchoire, tandis qu’elle rend le dernier souffle sur la plage de Déception. A.G.
Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteur d’une dizaine de livres dont “Un amour de Sagan”, traduit jusqu’en Chine, elle fut la plus jeune rédactrice- en-chef de France à la tête du magazine Playboy. Elle fonda le mensuel “Femmes” avec Robert Doisneau. Elle a reçu le prix du Premier Roman pour “Portrait d’un amour coupable” et le Prix Alfred Née de l’Académie Française pour “Une femme amoureuse”. Grande voyageuse, elle participe à une croisière expédition en Antarctique, nous adressant via un billet d’écrivain son point de vue sur le Continent Blanc . (Source : Livre de Poche)
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