D'habitude, quand on présente Emile Bravo, c'est en héritier de la ligne claire d'Hergé. Il perpétue la tradition, en quelque sorte. Mais l'auteur renommé, ex-membre de l'Atelier Nawak et de l'Association (Marjane Satrapi, Joann Sfar, les plus connus), ne se contente heureusement pas de si peu. Quand il dessine Spirou, pour Le Journal d'un Ingénu, c'est pour remonter à ses origines. Et quand il envoie ses personnages Jules et Janet dans l'espace avec Un plan sur la comète, le tome 6 de leurs aventures, c'est avec une bonne dose d'humour, des idées neuves et un soupçon de non-conformisme en guise de copilotes.
La ligne claire a-t-elle encore sa place dans les planches d'une bande dessinée? Quelques succès éditoriaux du secteur, comme le Chagall en Russie de Joann Sfar, dénotent un intérêt croissant du public pour un dessin plus expérimental, mais les places des premières ventes, trustées par XIII et Thorgal, témoigne d'un attachement à un réalisme presque photographique. On pourrait placer à mi-chemin des deux styles la ligne claire et ses dérivés, comme les arabesques monochromes de Marjane Satrapi (Persepolis, Poulet aux prunes). Chez Emile Bravo, la technique est respectée, le trait certain et la couleur conforme, avec un recours très mesuré à la caricature. Les personnages, au premier abord, sont façonnés par ce dessin plutôt sage: Jules, premier de la classe, coupe à la Spirou, se fait appeler « P'tit fayot » et « P'tit Jésus » par ses camarades. Janet, sa petite amie, rencontrée dès le premier tome L'imparfait du futur, vit à Londres. Pas d'affolement, le seul baiser sera fugace, comme si les lignes claires n'aimaient pas se mélanger. Mais, derrière cette facade un peu décrépie se cache une maison moderne, où les deux amoureux conversent sur Skype. Janet, jeune fille libérée, s'étale sous les yeux de Jules en sirène du XXIème siècle pour une publicité d'agence de voyage, en paréo (et non « en bikini », Jules y tient). Une certaine actualisation de la relation habituelle entre « compères » de bande dessinée, moins convaincante toutefois lorsqu'un des camarades de Jules dit « grosse bombasse » en affichant un look antédiluvien. Si la structure dramatique de départ n'a rien d'original (deux héros, adolescents pour l'identification des 11-18 ans, confrontés à un vilain qui menace de détruire la Terre), Bravo révèle toute sa maîtrise de la bande dessinée avec le scénario, dans la veine haute qualité à laquelle il a habitué ses lecteurs: Jules se déménera avec quelques secrets familiaux (comme dans La question du père, 5ème tome) en utilisant de façon oedipienne la technologie extraterrestre.
Il faut dire que la situation est grave, presque désespéré: dès les premières pages, c'est une interrogation sur l'avenir de l'humanité qui se devine dans les étoiles.Tim et Salsifi, les deux compagons extraterrestres du couple, leur annoncent « la fin du monde » en rigolant, mais les humains sont bien condamnés. Lors d'une sorte de G20 lunaire, les dirigeants aliens menacent de laisser la terre s'éteindre de l'impact avec une comète glacée: « vous vous activez à détruire votre propre biosphère » se justifie le président du conseil, une boule de poil violette. Pour éviter l'apocalypse, l'épreuve de Jules et Janet est de taille: convaincre un industriel aux velléités présidentielles (!), Pipard, de faire cesser son exploitation de pétrole, délètére entreprise qui menace le Pôle Sud. On a les supers-vilains de son époque... Et les maux de son époque: les parents du bambin se tournent le dos pour visionner le même programme télévisé, la police est à cran et les musées tombent en ruines. C'est une ère de l'humain qui arrive à son terme, et les aliens replient le drapeau américain sur la surface de la Lune. Emile Bravo, auteur d'une BDépressive? Erreur, tant les dialogues et les personnages (surtout les deux aliens, de loin les plus drôles) sont porteurs de trouvailles comiques, aussi bien au niveau des textes que des situations. L'auteur et dessinateur a également pensé à élargir son public - ce qui n'était pas gagné avec un album sur la sauvegarde planétaire - en introduisant des doubles lectures, parfois visuelles (il pourrait bien y avoir deux références à Coke en stock dans l'album...), et en se permettant des remarques sur l'humain plutôt risquées: « Ils sont une tripotée à croire qu'un dieu magicien les a créés à son image et qu'en un tour de main il a inventé tout l'univers pour leur seul besoin » se marrent les extraterrestres, tandis que Janet défend la gender theory («on a tous une part de sexe opposé en nous »). Les enfants sont l'avenir de l'humanité. C'est une tautologie, mais il fait parfois bon la répéter.
Emile Bravo, Une épatante aventure de Jules, tome 6: Un plan sur la comète, Dargaud
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