Bruno Racine vient d'être reconduit pour trois ans à la tête de la BNF. Est-ce parce que dans son récent ouvrage Google et le Nouveau Monde, il ouvrait la voie à une position "raisonnée" en matière de numérisation des livres? Ou parce qu'il a prouvé qu'il était l'homme de la modernisation ? Axe prioritaire pour son deuxième mandat: la position de la France face à la puissance de Google. Le point sur un enjeu essentiel à l'avenir de notre culture.
Le 18 Août 2009, le quotidien La Tribune nous apprenait que la BNF, dirigée par Bruno Racine pourrait s'allier à Google pour la numérisation de son patrimoine. Sept mois plus tard en Mars 2010, deux livres paraissaient à quelques jours d'intervalle: l'un signé Bruno Racine Google et le Nouveau Monde, l'autre, une édition mise à jour signée du prédécesseur de Bruno Racine à la BNF, Jean-Noël Jeanneney,Quand Google défie le Monde, paru à l'origine en 2005. L'enjeu est de taille : il s'agit de la numérisation du patrimoine français. Et un mois plus tard, le premier est reconduit dans ses fonctions. Duel entre deux visions du monde ? Bagarre de pouvoir entre deux présidents aux styles très différents ? Il semblerait que la personnalité de Bruno Racine, son passé politique et ses justes analyses de la situation aient joué largement en sa faveur.
Bruno Racine face aux enjeux de l'avenir du livre en France se révèle en quelque sorte l'homme de la situation. Ce haut- fonctionnaire qui présida le Centre George Pompidou, après avoir dirigé la Villa Médicis est aussi un écrivain, à qui l'on doit notamment Le Gouverneur de Morée, Au péril de la mer, ou encore Le Côté d'Odessa. Rompu aux affres des politiques culturelles, autant qu'aux passions littéraires, il est aussi un fin négociateur, habitué des couloirs politiques, porteur d'une vision ambitieuse pour la France, tout en étant réaliste. Le communiqué du Ministère de la Culture salue son « remarquable travail de fond, aussi bien sur le plan de la gestion de l'établissement, que sur la conduite de projets ambitieux, plaçant cette bibliothèque comme une des toutes premières au monde ». Dont actes. Bruno Racine n'a pas peur de la modernité : il vient même d'accepter de signer un partenariat avec Wikisource, en mettant à la disposition de cette antenne de Wikipédia 1400 textes issus de Gallica, la bibliothèque en ligne constituée principalement par la BNF. Ils s'ajouteront aux quelque 50.000 qui s'y trouvent déjà. Mais surtout Bruno Racine n'a pas peur de "négocier avec Google" comme il l'a écrit lui-même. Quel est exactement l'enjeu du duel avec Google ? Pourquoi le sujet est-il aussi brûlant ?
Rappelons que dans le cadre du Grand Emprunt, le gouvernement français a prévu de débloquer une enveloppe pour la numérisation du patrimoine écrit ( le chiffre de 4,5 milliards d'euros a été évoqué). Compte tenu de l'engagement de l'Etat, la France est dans une situation unique face aux enjeux de la révolution numérique. En effet, l'Italie par exemple qui n'avait aucune enveloppe financière n'a pas eu d'autre choix que de s'unir à Google. Et probablement, la voix de Bruno Racine, ancien chargé de mission auprès de Jacques Chirac, ainsi qu'Alain Juppé, a-t-il su trouver les arguments pour convaincre Nicolas Sarkozy de faire un effort pour éviter que la France n'ait d'autres alternatives que de vendre son âme. Car la problématique est claire : la numérisation coûte cher, mais elle est indispensable.
Résultat : la BNF se trouve aujourd'hui face à un sujet crucial. Dans son livre Google et le Nouveau Monde, l'actuel président de la BNF nous montre à quel point il a conscience du tournant majeur de la numérisation. Le passage à l'ère numérique est une véritable révolution Car, celle-ci n'est pas simplement la conversion du livre en format numérique, c'est aussi un profond changement des usages avec une circulation de la pensée sous de nouvelles formes.
[image:3, s,g]Aussi, confier Google et à lui seul la numérisation des documents de la BNF apparaît comme un danger. Danger que ne nie pas Bruno Racine qui prône la prudence tout en n'excluant pas le partenariat avec Google dans la mesure où il respecte les droits d'auteurs. Ainsi, il faudra dompter le grand cheval fou de Google qui, en matière de numérisation est indéniablement le plus rapide. Bruno Racine ajoute dans son entretien donné aux Echos une nuance importante: "Google ne construit pas une bibliothèque numérique mais numérise en masse les ouvrages qui lui sont confiés". Encore faut-il qu'il ne numérise que ce qu'on lui confie. Par ailleurs, Bruno Racine reste partisan d'un accord avec Google si ce dernier ne comporte pas d'exclusive. En effet, d'autres partenaires seraient envisageables. Parmi eux, Gale qui numérise déjà un morceau du fonds de la British Library et des sociétés françaises qui se lancent dans la numérisation.
L'objectif fixé par Bruno Racine est d'arriver en cinq ans à numériser 500.000 ouvrages dont 50% proviendraient d'autres bibliothèques françaises, 20 millions de pages de journaux, 700.000 documents sonores et 5 millions d'images. A un mois de la fin de son mandat, Bruno Racine ne se cache pas d'espérer être reconduit pour mener cette grande bataille de la numérisation. L'enjeu est d'autant plus important qu'il pose aussi la question de la diffusion de notre langue, autant que celle de la préservation de notre patrimoine. En refusant la numérisation, notre pays se verrait marginalisé dans un processus qui est déjà bien avancé, dans un contexte juridique de droit anglo-saxon qui est moins protecteur pour le droit d'auteur que le droit français. Toute la question porte donc sur la contrepartie financière que Google serait amené à verser aux ayants droits. Pour le public, la numérisation est évidemment une chance, car elle facilitera indéniablement l'accès aux ouvrages et la diffusion de notre savoir. Mais qui payera la facture. Et qui gagnera la guerre du contenu, qui sera aussi celle du savoir ? Les choix politiques français seront déterminants pour l'avenir de notre culture. Et l'efficacité du capitaine de la BNF plus que jamais requise pour que la traversée en mer virtuelle se solde par la conquête de nouveaux espaces - littéraires.
P.C. et O.P.
Bruno Racine, Google et le Nouveau Monde
Jean-Noël Jeanneney, Google défie le monde
Ecouter en podcast sur le site de France Culture, l'émission de Frédéric Martel, Masse Critique du 14 Mars 2010 avec comme invités Bruno Racine et Alain Beuve-Mery.
Du 27 novembre au 2 décembre 2024 Montreuil accueille le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse en Seine-Saint-Denis.
L'écrivain Boualem Sansal d'origine algérienne qui a obtenu récemment la nationalité française, célèbre pour ses critiques en profondeur des d
Les organisateurs du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême viennent de faire connaître leurs sélections d'ouvrages et o
Vous avez aimé Le Bureau des Légendes et Le Chant du Loup ?