«Fahrenheit 4.0»

La disparition du livre est-elle évitable?

Avec son Fahrenheit 4.0 – Essai sur la disparition du livre ( L'Harmattan), Thierry Charles semble bien avoir rédigé le testament philosophique de la culture littéraire. Lorenzo Soccavo, spécialiste de la prospective du livre, réfute cette vision pessimiste. Il pense au contraire que la disparition du livre n'est pas inéluctable. Il voit dans les mutations des pratiques de lecture et dans les nouvelles formes de narration, des raisons de croire dans l'avenir de la fiction et de la lecture.

Photo :  Blog Cross médias Photo : Blog Cross médias

L'essai Fahrenheit 4.0  de Thierry Charles reprend une à une les grandes thématiques régulièrement abordées par les passionnés du livre. De l'achat d'une liseuse, au livre que l'on emporterait sur une île déserte, en passant par le nombre de français qui écrivent, le plagiat, les ateliers d'écriture, la baisse du nombre de lecteurs et tutti quanti... tous les sujets sont abordés par ce chercheur passionné et iconoclaste.

Brûler sa bibliothèque...

Le prétexte à écrire sur tout cela ? L'histoire d'un lecteur qui voudrait brûler sa bibliothèque. Je crois qu'il y a une trentaine, peut-être seulement une vingtaine d'années, ce livre m'aurait enchanté. C'est sans doute l'unique raison pour laquelle j'en parle aujourd'hui : parce que je me dis qu'il pourrait, malgré tout, malgré son discours convenu, séduire aujourd'hui des lecteurs, des lectrices qui vivraient ce moment de mutations des dispositifs et des pratiques de lectures sur un mode tragique.

Une posture dépassée?

C'est l'histoire d'un lecteur qui veut brûler sa bibliothèque, mais tout cela est écrit trop sagement, colle trop bien aux idées reçues véhiculées par les influenceurs de l'interprofession du livre. Certes, le ton est plaisant. On sent la culture littéraire qui le sous-tend et on perçoit derrière l'auteur l'internaute qui s'informe. On s'amusera ainsi à croiser dans les deux trois citations systématiquement assénées en exergue de chacun des nombreux mais très courts chapitres (ce qui a au moins le mérite de rendre facile la lecture de cet essai), Hubert Guillaud, Vincent Demulière ou Thierry Crouzet, bien connus de la blogosphère liée aux livres, et à les voir voisiner là avec, au hasard, Nietzsche, Victor Hugo ou Cioran.

"Brillant allié de son propre fossoyeur"

Derrière tout cela, qui fait malgré tout un peu "exercice de style", il y a cependant je trouve une touchante expression de l'attachement à la chose littéraire. Mais ce qui peut y apparaître peut-être terriblement XXe siècle, c'est cette propension de certains, trait qu'avait relevé Milan Kundera dans L'immortalité, à être les brillants alliés de leurs propres fossoyeurs.

L'absence de références aux nouvelles expériences d'écriture-lecture 

Aucune vision d'avenir ne se dégage en effet de cet essai. Rien sur les nouvelles pratiques d'écriture-lecture des jeunes, sur les passerelles entre jeux vidéos, environnements immersifs virtuels, et l'apparition de nouveaux territoires de fictions, la découverte de nouvelles formes de narration ou d'expériences littéraires jusqu'alors inédites, à la croisée de l'art, du numérique et de la poésie.

Le refus d'un éditeur comme emblème sacrificiel

A quel éditeur ce livre était-il destiné ? Mystère. La lettre de refus anonymisée qui fait office de postface enseigne cependant presque davantage sur le monde de l'édition que tout le reste du livre. Il y aurait peut-être eu là une carte à jouer, comme il y a, certainement, un avenir à inventer au livre une fois que l'on a fait semblant de vouloir brûler sa bibliothèque.

Sommes-nous capables d'imaginer un livre sous une autre forme ?

Avant de découvrir en quatrième de couverture (car c'est ce qu'on lit maintenant en dernier, dès lors que la lecture s'effectue sur une liseuse ou sur une tablette) que l'auteur était juriste, je pensais qu'il était professeur de lettres. Peut-être certains liront-ils Thierry Charles avec plaisir. Ce que je dis là n'est aucunement péjoratif :  je connais nombre d'enseignants passionnés par les TICE, les Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement.
Mais je repense au sketch que j'avais écrit en juin 2007, à la demande de Bernard de Fréminville pour le Colloque Alire-Dilicom sur Les nouveaux supports numériques du texte et leurs impacts sur le commerce du livre. J'y mettais en scène un patricien romain incapable d'imaginer le monde sans rouleaux de papyrus. Et vous, êtes-vous capable d'imaginer le livre sous une autre forme ? L.S

>Thierry Charles, Fahrenheit 4.0 – Essai sur la disparition du livre ( L'Harmattan)

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Lorenzo Soccavo est chercheur associé à l'Institut Charles Cros, rattaché au séminaire Ethiques et Mythes de la Création, conférencier et prospectiviste du livre et de la lecture à Paris.
>Suivre les travaux de Lorenzo Soccavo sur son blog : Prospective du livre

 

 

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