Avec " Les échoués" (Don Quichotte), Pascal Manoukian, l'un des fondateurs de l'agence CAPA, a voulu donner un visage aux migrants, en suivant le destin de trois d'entre eux. Rencontre avec un combattant de l'ombre qui utilise les mots comme des armes contre l'indifférence.
Pascal Manoukian est un journaliste qui est devenu écrivain, ou un écrivain qui a été journaliste. Avec " Les échoués" (Don Quichotte), l'ancien grand reporter a voulu "donner un visage" aux migrants et parler au coeur des lecteurs. Mission réussie. Le lecteur est touché au coeur par le destin de Virgil, le Moldave, Chanchal, le Bangladais, et Assan, le Somalien. Tous trois ouvriront la voie aux millions de désespérés qui prendront d’assaut les routes qu’ils sont en train d’ouvrir. Longtemps directeur général de l'agence CAPA, Pascal Manoukian a couvert de manière documentaire la croissance inexorable du nombre de migrants vers l'Europe et les terribles drames des côtes de Lampedusa. De reportages en reportages, le journaliste qu'il était a noté la relative indifférence qui accompagnait leur diffusion.
"Les échoués" est un premier livre mûri, pensé, porté et écrit bien avant le drame de la mort du petit Aylan qui a bouleversé le monde. Un livre qui retrace le parcours de ces trois "échoués" du monde qui vont tenter de survivre dans la jungle de leur pays d'accostage. Pas de sentiment inutile, pas d'abstraction distanciée non plus. Pascal Manoukian a écrit un livre qui révèle l'humanité de chacun de ces "damnés de l'histoire du monde". Pour une fois, les migrants ne sont pas une statistique. Héros d'une tragédie qu'ils combattent avec l'énergie de la rage de vivre, ils deviennent sous la plume de Pascal Manoukian les figures universelles du courage. Les libraires de l'enseigne Cultura qui se trompent rarement dans leur sélection ont classé Pascal Manoukian parmi les talents à découvrir cette année. Rencontre avec un auteur qui sait réunir la force du documentaire et l'émotion du roman.
-Pascal Manoukian : Parce que comme l’a dit Nancy Huston. « En pénétrant notre cerveau, les fictions le forment et le transforment. » Il faut que la littérature s’empare de l’actualité parce que sa puissance à toucher les esprits est immense. Je crois que l’écriture peut imperméabiliser contre la bêtise et l’intolérance. C’est pour ça qu’il faut écrire sur les choses importantes. On relit rarement un article. On rouvre souvent un livre. Et puis sincèrement c’est beaucoup plus facile de passer les frontières et de traverser les déserts quand on est écrivain que quand on est journaliste.
-P.M. : Tout au long de mon roman dont l’action se situe en 1991, mes personnages Virgil, Assan, Iman et Chanchal, sont conscients qu’ils seront un jour imités par des centaines de milliers d’hommes et de femmes sans espoir. Car ils sentent eux que leur monde ne s’arrangera pas. Il sont les témoins de tout ce qui se met en place : les premiers réseaux de passeurs, les premiers groupes de djihadistes dans le désert. Virgil l’un de mes personnages le dit : « Même ce qui semble terne chez vous brille à nos yeux ! Plus vous vous rendez la vie belle et plus vous nous attirez comme des papillons. Et ça ne fait que commencer, nous sommes les pionniers, les plus courageux. Vous verrez, bientôt des milliers d’autres suivront notre exemple et se mettront en marche de partout où l’on traite les hommes comme des bêtes. Il n’y aura aucun mur assez haut, aucune mer assez déchaînée, pour les contenir. Parce que ce qu’il y a de pire chez vous est encore mieux que ce qu’il y a de meilleur chez nous. Vous n’y pouvez rien, croyez-moi, ce qui vous gratte aujourd’hui n’est rien à côté de ce qui vous démangera demain. ». Mais sincèrement en terminant le livre en mars, je n’imaginais pas que la prédiction de Virgil se réaliserait si tôt.
-P.M. : Oui bien sûr j’ai croisé beaucoup de ces désespérés et j’ai toujours admiré leur courage parfois suicidaire. Mais aucun de mes personnages n’existe réellement. Ce sont tous des petits bouts déchoués que j’ai croisés, à Mogadiscio, en Afghanistan, en Mer de Chine, à Dacca ou ailleurs. C’est un vrai roman, documenté de ma propre expérience sans doute, mais c’est un roman. La construction de l’histoire est romanesque. Je leur fais partager une solidarité et une amitié qui existe rarement entre réfugiés n’appartenant pas au même groupe. Dans la réalité, tous n’ont qu’un objectif, avancer sans se soucier des autres, mettre leur famille à l’abri. Dans le roman, je leur impose une solidarité et une amitié qui fait, je crois la force de l’histoire.
Ces "échoués" viennent de pays différents et tentent de fuir la guerre, la violence sans issue. Vous leur donnez un visage, une âme. Et soudain, dans l'intimité de la relation avec ces personnages, le lecteur devient leur proche au lieu de se sentir "étranger" à eux. C'est très fort. Brusquement ils ne sont plus une statistique mais des êtres de chair et de sang....
C’était mon intention. Donner un nom, un visage une histoire à des gens qui ne sont que des statistiques, que l’on ne voit qu’en masse agrippés à des trains et à des bateaux. C’est normal qu’ils fassent peur. Lire est un acte intime. On lit dans sa chambre, dans son salon. On emporte son livre en Week End, dans le train. En choisissant de mettre en avant des clandestins je les ai fait pénètrer dans cette intimité. Ils sont devenus familiers beaucoup de lesteurs. C’est cette rencontre entre gens qui ne se croisent jamais que j’ai voulu provoquer avec les échoués. Pour qu’au fil des pages Iman, Assan, Virgil, Chanchal nous s’apprivoisent, que la peur s’estompe au fur et à mesure des pages que l’on tourne. Si ce premier roman pouvait servir a ça.
-P.M. : Encore une fois il faut que les livres servent à quelque chose. Le problème des réfugiés me touche personnellement, car je suis-moi-même issu de survivants du génocide arménien échoués dans un camps à Marseille en 1927. J’ai voulu continuer en littérature ce que je faisais dans le journalisme. Alerter pour qu’on ne puisse pas dire que l’on ne savait pas. Disons que dans mon écriture il y a de l’engagement.
-P.M. : Oui comme c’est un monde où il faut survivre coûte que coûte. Je l’écris d’ailleurs « Dans cette course d’obstacles entre désespérés, c’est souvent la règle. On croise trop d’injustices pour s’apitoyer sur chacune d’elles, trop de morts pour les enterrer tous. Il faut sans cesse contrarier sa vraie nature, se forcer à oublier ce qu’on prouvait avant. Il n’y a pas de place pour la compassion et la pitié. Elles vous détournent de vos urgences. Embarquer sur un bateau, arracher un passage à l’arrière d’un camion, trouver un travail, un bout de couverture, un repas périmé, tout se fait toujours au détriment d’un autre. Le moindre geste, la moindre décision peut tourner au combat à mort. Il faut être prêt à tout arracher à plus misérable, plus fragile, plus découragé que soi. C’est aussi ça, la clandestinité. ». Je crois que personne n’imagine vraiment ce que vivent les clandestins. Victor Hugo à écrit. « L’exil c’est la négation du droit ? Ça donne une idée. »
-P.M. : J’ai voulu que le lecteur ressente physiquement ce que peut être l’exil. Parce que la vie peut à tout moment faire de nous des échoués. C’est comme ça qu’il faut les regarder. Comme des gens à qui il arrive ce qui un jour pourrait bien nous arriver. Alors on les voit autrement. Ma mère habitait les Ardennes en 1940. Elle m’a raconté comment à onze ans, la seconde guerre mondiale l’avait jetée sur les routes. Je pense que plus récemment des centaines de milliers de grecs ont eu peur de se retrouver obligés de fuir sans rien si l’économie grecque s’effondrait.
-P.M. : Vous avez tout dit, elle correspond à l’urgence, à la fuite. Mais je dirais essoufflée plutôt, comme mes personnages. Sèche je suis surpris. Dans l’action peut être. Sinon en dehors je passe beaucoup de temps à la polir, à lui donner des rondeurs. J’attache beaucoup d’importance à la musique des mots.
-P.M. : Je trouve formidable l’initiative de mettre en avant six nouveaux auteurs dans cette avalanche de livres qu’est la rentrée littéraire. Vous ne pouvez pas vous imaginer le réconfort que ça a été pour moi après un an d’écriture. C’est une vraie reconnaissance. Mes premiers retours de lecteurs me ravissent. Ils me disent « Nous ne passons plus devant un chantier comme avant » ou « Nous ne regardons plus les vendeurs de rose de la même manière ». Ça efface toutes mes nuits blanches.
-P.M. : Oui. En fait j’hésite entre une histoire qui se passerait entre Paris et Trouville et une autre qui me ferait prendre la route de la Syrie. Mais je vais me décider bientôt.
>Pascal Manoukian, Les échoués, Don Quichotte
>Découvrez une vidéo dans laquelle Pascal Manoukian parle de son livre "Les échoués":
>Lire un extrait du livre :
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