Pendant une semaine, à l'occasion de l'édition 2011 du festival Paris en toutes lettres, l'auteure Joy Sorman s'enfermait volontairement dans la Gare du Nord. Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi, Samedi, Dimanche: Paris Gare du Nord est le compte-rendu d'une semaine type aux évènements anti-romanesques, c'est-à-dire bien réels. Un texte court qui évite heureusement le « témoignage » pour un humble exercice poétique instantané.
Qui, du public ou de l'écrivain, trouve le plus son intérêt dans l'occupation des espaces publics voulue par le Festival Paris en toutes lettres? A l'époque (l'expérience remonte à mai 2011), François Bon avait fait le déplacement jusqu'à la Défense, Robert McLiam Wilson, plus pantouflard, s'était réfugié au bistrot Le Duc d'Enghien dans le 10ème, et Joy Sorman, donc, avait fait ses bagages pour la Gare du Nord. Mais sans train à prendre. Un livre à écrire? La gare semble le lieu idéal pour débuter un roman, une histoire folle de rencontres fortuites et de destins contrariés. Sorman y croit elle aussi: dès les premières lignes, elle donne dans l'incongru, l'inhabituel, comme si elle découvrait la vie (mais nous sommes tous un peu comme ça, heureusement, en débarquant dans un lieu inconnu): « une adolescente en pantalon ethnique et sandales de cuir: elle tient un hamster par la main. [...] Suivent un curé en soutane sous un chapeau de paille à larges bords et fumant une clope roulée, puis deux soeurs jumelles octogénaires aux cheveux rouges. C'est au moins un film de Peter Sellers. » Très vite pourtant, après avoir souhaité l'incident romanesque («Je suis une vilaine auteure qui veut de la chair fraîche ») Sorman oublie la possibilité d'un rapport soutenu et précis des visages, attachés-case, bagages et pas pressés des voyageurs. Elle aurait pu imaginer la vie de tous ces êtres en transit, mais elle abandonne le roman pour se consacrer au lieu qui l'accueille. Tant mieux.
C'est Joy Sorman qui l'a choisie, et c'est elle qui se justifie le mieux: « Internationale, lumineuse, agitée, de plain-pied avec la ville », la Gare du Nord est pour elle la plus « attirante ». La résidence dans la structure permet à Sorman de l'apprivoiser, d'en approcher les détails, des plus visibles au plus inconnus: il y a d'abord ce triste constat observable à loisir, celui de la « privation de l'espace public ». Il ne s'agit plus seulement d'une peur constante du rassemblement (toujours désigné comme attroupement, plus réducteur), mais de la recréation d'espaces vides et dégagés (sous le prétexte tenace de l'attentat): « dès qu'on rénove on démonte les bancs, on plante des piques, on rase les plots ». 600 000 voyageurs par jour, rappelle justement l'auteure, mais « [e]ntre l'intérieur et l'extérieur, tout change et pas seulement la lumière aveuglante qui blanchit l'espace ». Il aurait été encore plus judicieux, et toujours dans le ton de l'expérience, de résider de nuit (une, au moins !) dans la gare, pour juger là aussi du contraste. Quand Sorman explique qu'un employé SNCF lui a conseillé de ne pas traîner autour de la gare après 23 heures, on comprend vite qu'elle n'a pas cherché à en savoir plus. L'intérêt littéraire, et sans aucun doute poétique, d'une gare silencieuse et vide (du moins de ses voyageurs) n'aurait sans doute pas été quantité négligeable pour Paris Gare du Nord. L'expérience, oui, mais avec des limites.
Quand elle suit les policiers (ou plutôt la BRF, la Brigade des Réseaux Ferrés), et tente d'éviter de « passer pour un journaliste de TF1 en planque » elle y arrive plutôt bien, grâce à cette gouaille fulgurante qu'elle partage avec son compère François Bégaudeau (quand même maître en la matière). Mais c'est surtout lorsqu'elle entre en contact avec les employés de la gare que l'auteure découvre l'autre sujet de son court texte. Au bâtiment, elle associe désormais sa population: les employés de la SNCF, de la RATP, et ceux de toutes les exploitations: TER, Corail, Transilien, TGV, Thalys, Eurostar, Intercités... Autant de structures autonomes qui se disputent le contrôle des voies : « Corail ne veut pas être emmerdé si TGV tombe en panne, et chacun veut passer en premier sur les rails. » Bien sûr, l'auteure parle privatisations, « image de la SNCF » (l'entreprise la plus détestée de France) et management sauvage (« hop demi-tour mur et on reprend ses esprits »), mais on se doute bien que le pamphlet n'est pas son objectif. Malgré tout, remarquant sobrement que la gare du Nord est « un empire immobilier et géographique » qui couvre « un dixième d'arrondissement », sa description se change en question, parfois dérangeante. Sorman découvre à force de déambulations que le bâtiment public est transformé (parfois fermé) par ces conflits de pouvoir. Le sol même de la Gare du Nord est ainsi significatif: s'il est blanc, c'est le territoire de la SNCF, s'il est noir c'est celui de la RATP. Les hommes se mélangent, pas les sigles.
Joy Sorman, Paris Gare du Nord, L'arbalète Gallimard
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