Chade-Meng Tan, un sage chez Google

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d'Olivia Phélip
Rencontrer Chade-Meng Tan est un privilège et une chance. Un privilège, si l’on en juge par la galerie de portraits qui orne le mur de son « All the President’s Meng » : de Barak Obama au dalaï-lama, en passant par Bill et Hillary Clinton, Al Gore, Jane Goodhall ou Jane Fonda, tous les VIP qui se rendent chez Google viennent saluer celui qui est surnommé « jolly good fellow » (super bon camarade). Une chance, car avec son grand sourire, son « hug » (accolade) bienveillant et ses paroles positives, il est une personnalité lumineuse, qui donne le sentiment de se sentir plus grand.

La règle des 3 B : Bienveillance, Bien-être, Bonheur

Chade-Meng Tan se définit lui-même comme un homme qui voue sa vie « au bonheur et à la paix dans le monde ». On est loin de l'image qu'on pourrait se faire d'un ingénieur de chez Google. Avec lui, c’est un peu la règle des 3 B : Bienveillance, Bien-être, Bonheur. Dans son livre « Connectez-vous à vous-même » (« Search inside yourself »), déjà best seller outre-Atlantique, qui vient de sortir en France, Meng explique sa démarche, ainsi que les grandes lignes de sa méthode. Comme tous les sages, c’est avec le sourire qu’il délivre un message simple et accessible. A ne pas confondre avec simpliste. Du reste Mathieu Ricard, qui est venu avec lui à Paris pour jouer les interprètes, n’a pas manqué de le rappeler. Premier constat : Meng sait choisir ses amis. Et deuxième constat : quand une star de chez Google se met à la méditation... il en sort un livre, une méthode et de grandes ambitions pour la paix. 

Du développement numérique au développement personnel

Tout ce que touche Meng semblerait-il voué au succès ? Avant de me rendre à cette rencontre avec « un homme remarquable », je reconstitue sans difficulté son itinéraire, grâce à quelques rapides recherches. J’apprends que rien ne destinait « Meng » à son destin hors-norme, si ce n’est son exceptionnelle intelligence, qui l’a amené après ses études à Singapour à poursuivre son cursus en Californie et à rejoindre en 1999, Larry Page et Sergueï Brin, les créateurs de Google, ce drôle de moteur de recherche encore balbutiant. Bonne pioche. Quelques années plus tard, Google avait envahi le monde et les actions de petite start-up s’étaient transformées en dividendes de géant du web. A 30 ans, Meng était déjà millionnaire. Que pouvait-il rêver de plus ? En 2003, Meng traverse une véritable révolution intérieure, en découvrant les bienfaits de la méditation et de la « pleine conscience ». Le voici qui passe du développement informatique de haut niveau, au développement personnel intensif. Troisième constat : en bon scientifique, Meng ne se contente pas d’observer sur lui-même les transformations positives, il veut comprendre ce qui se passe « vraiment » à l’intérieur du cerveau.  

Nom de code : SIYLI

Pendant les 20% de son temps dévolu à ses explorations personnelles créatives, ainsi qu’il est d’usage chez Google, Meng s’initie aux dernières recherches sur la neuroplasticité (la réactivité du cerveau aux stimulations), ainsi que sur l’intelligence émotionnelle, à partir notamment des travaux de Daniel Goleman (un de ses mentors). Fruit de ce travail, il compose une synthèse et démontre que quelques principes simples permettent non seulement de se sentir mieux, mais aussi d’être plus performant dans sa vie tant professionnelle, que personnelle. Une école était née : la SIYLI (pour « Search Inside Yourself  Leadership Institute»), testée d’abord auprès de quelques leaders chez Google. Depuis, mille volontaires ont déjà suivi le programme de développement personnel de Meng et nombreux sont ceux qui attendent une place dans une prochaine session.Quatrième constat : le programme de Meng séduit les leaders.

A la recherche de la paix dans le monde

Non content d’avoir déjà converti à sa cause la plupart de ses « good fellows » (bons camarades), Meng veut aller plus loin. Convaincu par l’effet de levier positif de ces nouvelles pratiques, il souhaite transmettre ses conseils au plus grand nombre, avec la bénédiction de Google qui le soutient dans sa démarche. Il pense même qu’aider chacun à mieux mobiliser ses émotions, pourrait être une voie d’équilibre individuel et collectif. C’est décidé, Meng se consacrera désormais à « la recherche de l’harmonie et de la paix dans le monde. » Cinquième constat : Meng voit grand.  

 « La performance sans conscience n’est que tristesse de l’homme » 

Est-il un utopiste plein de bonnes intentions ? Un progressiste qui fera bouger les lignes de front ? Un manipulateur de masse ? C’est ce que nous allons chercher à comprendre. Nous connaissions le « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » de Rabelais, avec Meng nous découvrons  que « La performance sans conscience n’est que tristesse de l’homme». A la question de la contradiction entre vie intérieure et performance de l’action, Meng répond qu’au contraire, « s’initier à la méditation et à la pleine conscience, pratiquer la bienveillance vis à vis d’autrui, permet une meilleure régulation de ses émotions et ainsi de se montrer non seulement plus heureux, mais aussi plus performant ». Je comprends que la voie du bonheur n’oblige pas à renoncer aux actions de la vie moderne, mais aide à trouver son rythme en étant « autorégulé ».  A l’inverse, courir après une performance illusoire en se « décentrant » de soi, est une perte de son humanité qui mène à la tristesse, voire à la dépression. C’est du sérieux.

La méditation, un entraînement du cerveau 

Tout le monde peut-il accéder à ces techniques ? Faut-il des aptitudes particulières ? « Tout le monde peut développer ces nouvelles aptitudes. Il y a différents stades dans cet apprentissage. Et même en ne se consacrant qu’un peu à la méditation, cela peut changer beaucoup déjà. ». On investit un peu et cela peut rapporter gros ? Si j’en juge à ma difficulté à me consacrer à des séances de musculation, j’émets quelques doutes. Serait-ce comme un sport ? «  C’est un peu comme un sport du cerveau. C’est un entraînement. De la même manière que nous avons pris l’habitude d’entretenir nos muscles par de l’exercice physique, nous avons découvert que nous pouvons aussi exercer certaines zones du cerveau grâce à la méditation. » Or, qu’apprend-on ? Que le cerveau a une plasticité extraordinaire.  Davantage donc que les abdos. Est-ce que cela pourrait être dangereux ? « Non, les exercices de méditation et de pleine conscience sont sans danger. Ils ne peuvent être que bénéfiques. » Comme ces analyses se fondent sur des observations scientifiques, elles sont imparables.Sixième constat : Meng démontre les bienfaits de la méditation.

La compassion, nouvelle qualité pour les futurs leaders ? 

Cependant, si je comprends maintenant les bienfaits de la méditation, je ne visualise pas nécessairement leur lien avec la bienveillance. Au contraire, si je suis boostée par ma « gym du cerveau », remplie d’énergie et de confiance en moi-même, pourquoi n’aurais-je pas plutôt envie d’écraser le voisin ? C’est ici que le message de Meng, prend une dimension surprenante. « La méditation aide à développer l’empathie. Quand on ressent l’empathie, on développe une plus grande conscience de soi et des autres, mais aussi une bienveillance et même de la compassion. » Mais alors, la performance dans tout ça ? Ça m’étonnerait que chez Google on passe son temps à méditer en pensant au bonheur de son prochain ! « Il y a 50 ans, les dirigeants ne se souciaient pas de leur forme physique. Aujourd’hui, un dirigeant prend soin de sa santé, car il a conscience qu’une bonne gouvernance doit aller de pair avec un bon équilibre physique. Il en sera de même pour l’équilibre psychique : dans quelques décennies, je crois que les dirigeants muscleront leur cerveau comme ils musclent leurs biceps.  Nous allons voir se développer une nouvelle génération de leaders, beaucoup plus conscients du sens de leurs actions, animés par la bienveillance. » Septième constat : Meng croit en l’avenir de la bienveillance.

Un sage qui parle à l’oreille des foules

Meng  pratique-t-il une religion ? « Je suis bouddhiste à titre personnel. » Il a même inventé un mantra à propos des autres, que Bouddha  n’aurait pas renié : «  Aime-les. Comprends-les. Pardonne-leur. Grandis avec eux.  » Méditation, bienveillance, compassion… Mais, alors qu’apporte Meng de nouveau ? D’abord, il a rassemblé les démonstrations scientifiques sur ce qui ne relevait jusqu’alors que de l’intuition. Les constatations sur les effets positifs et même résilients de la méditation sur le cerveau sont aujourd’hui reconnues. Ensuite et surtout, Meng a construit un programme original qui met en œuvre ces principes, adapté aux problématiques d’aujourd’hui. Point n’est besoin se de retirer dans un monastère pour en retirer quelque bénéfice. Quelques minutes plusieurs fois par jour peuvent être suffisantes. De toute évidence, le fait que Meng incarne la quintessence de la réussite, en compatibilité avec la pratique de sa méthode (voire même grâce à sa méthode) plaide en sa faveur. Huitième constat : Meng est en train de rejoindre le cercle très fermé de « ceux qui parlent à l’oreille des foules », comme le dalaï-lama ou Mathieu Ricard.

Ambassadeur de bonne volonté de Google ou gourou 2.0 ?

Le rôle que joue l’entreprise Google suscite davantage de questions. Laboratoire d’essai de nombreuses recherches, Google a laissé Meng libre d’avancer sur son chemin et l’a même encouragé à en faire un « programme pour les leaders du groupe ». Mais, maintenant que Meng écrit des livres, donne des conférences, développe des centres qui pourraient diffuser sa méthode, son action prend une autre dimension. Pourquoi reste-t-il chez Google ? « Google est le vecteur qui m’aide à promouvoir mes idées ». Google va-t-il développer ses concepts d’empathie au travers de ses activités ? Meng l’espère, car « les leaders qu’il aura formés en ce sens seront eux-aussi porteurs d’une nouvelle responsabilité ». Google n’aurait-il pas trouvé en  la personne de ce «jolly good fellow» son meilleur ambassadeur corporate ? En tous cas, les relations entre Meng et Google ressenblent à une association improbable entre un homme porteur de valeurs désintéressées et une entreprise à l’ambition non dissimulée. Nul ne sait si Meng gagnera son pari de convertir les populations à la bienveillance et au pacifisme. La petite pratique de la méditation qu’il prône pourrait représenter un grand pas pour le bonheur de chacun – peut-être même pour l’humanité. Et, en attendant, la meilleure opération de communication dont le géant du web pouvait rêver…


Chade-Meng Tan, Connectez-vous à vous-même. Une nouvelle voie vers le succès, le bonheur ( et la paix dans le monde). Traduction Katia Holmes. Belfond. Collection « L’esprit d’ouverture » dirigée par Fabrice Midal.

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