En pleine montée des populismes et recrudescence d'actes racistes en Europe, les éditions Bernest rééditent en version bilingue français-allemand, Miriam Mafou métisse, écrit par Marie Sellier et magnifiquement illustré par Diagne Chanel. Une fable sur les difficultés d'intégration d'une petite fille, Miriam, au pays des Métis, qui résonne avec une acuité particulièrement forte, alors que les flux migratoires et les croisements de culture n'ont jamais été aussi nombreux. Diagne Chanel qui est à l'origine de l'ouvrage, l'un des rares sur le sujet, répond à nos questions.
Ouvrir le livre Miriam Mafou métisse et partir en voyage. Cela pourrait être ici ou ailleurs. Ce lieu qui ne se nomme pas est celui de la rencontre et de la différence : un pays peuplé de "mafous", animaux étranges, dans lequel la petite Miriam, "mafou métisse", a du mal à trouver sa place. Elle intrigue. Les Mafous ont du mal à admettre qu'elle soit du même pays qu'eux. Car être métisse, c'est être construction de soi, singulier issu d'un pluriel. C'est ne pas être reconnu par ceux qui ne se retrouvent pas en miroir. Et c'est pourtant, par un vis à vis croisé, que le/la métis va révéler l'autre, l'interroger sur ce qui existe d'universel, qui rassemble et non pas qui divise. Tel est le message exprimé de manière limpide par le livre de Diagne Chanel et Marie Sellier, qui vient d'être édité en version bilingue français-allemand par les éditions Bernest.
Miriam Mafou métisse n'est pas seulement un album à "message". Il se présente aussi comme un album aux illustrations issues du travail d'artiste de Diagne Chanel. Les couleurs mises en lumière dans une nuit des mille et une différences révèlent les visages de chacun. En gouache sur papier kraft, les illustrations colorées, au trait moderne, représentent des petits animaux dans lesquels certains verront des petits cochons, d'autres des rongeurs, des êtres aquatiques, ou toute autre chose... Enfants comme adultes peuvent rentrer dans l'histoire par les dessins qui parlent avec force. Le texte court le long du livre comme un support à l'image et non l'inverse. Ce beau livre évoque avec élégance et simplicité la question du métissage, thème très rarement abordé et qui pourtant concerne des millions de personnes à l'heure de la mondialisation.
Diagne Chanel arrive avec une robe qui semble danser sur elle-même. L'artiste nous reçoit dans son atelier qui ressemble à une grotte remplie de trésors. Elle nous accueille avec un large sourire qui croque la vie comme son héroïne : avec énergie et entrain. Engagée dans de nombreux combats, cette artiste sans-frontières milite pour la richesse de la pluralité et la beauté du geste comme art universel. Rencontre.
-Diagne Chanel : J’ai toujours pensé que le sujet du métissage aurait de plus en plus de succès, si l’on commençait à en parler. C’est une sorte de boite de Pandore, mais positive. Ce que l’on voulait cacher se montre enfin. Marie Sellier avait tout de suite réagi de manière très créative à mes propos, en souhaitant écrire ce livre pour la jeunesse. Maintenant Myriam Mafou commence à passer les frontières. J’espère qu’elle fera le tour de la terre. D’après les éditions Bernest, la publication bilingue allemand/ français correspond à l’une des composantes de la société autrichienne, que sont les mariages franco-allemands.
-D. C. : Il est d’actualité à plusieurs titres. Tout d’abord parce que des couples dit mixtes sont de plus en plus nombreux et de plus en plus visibles. Les gens se déplacent beaucoup, pour diverses raisons. Les échanges Erasmus doivent aussi créer des rencontres entre étudiants et créer des couples. C’est d’ailleurs lorsqu'ils étaient étudiants tous deux à Paris, que mes parents se sont rencontrés. Ces couples peuvent mettre au monde des "Mafous Métis".
-D. C. : La crainte de l’autre diffèrent peut se comprendre et elle peut être surmontée. C’est du reste un des messages de Mafou Métisse. Ce qui est plus grave, c’est la haine de l’autre et la tentation de l’éliminer.
Dans le cas du métissage l’autre est en fait un autre soi-même que l’on ne veut pas voir.
Je vis effectivement la même chose depuis trois ans, lorsque je suis en Casamance, que ce que j’ai connu longtemps à Paris et dans le village de ma grand-mère pendant mes vacances en Bresse.
Le personnage emblématique et historique de la ville est mon grand-père écrivain et l’avenue dans laquelle j’habite porte son nom. Mais les gens souvent m’interpellent en disant : « Voilà la Blanche qui passe » et les enfants courent derrière moi en disant « Toubab ! », ce qui veut dire blanc ou étranger. J’essaye de ne pas m’énerver, je suis très ferme et explique chaque jour que l’on doit nommer une personne par rapport à ce qu’elle est et non pas ce que l’on croit voir.
C’est à dire tout simplement dire, madame ou mademoiselle, ou juste dire, bonjour. Et ne pas transformer quelqu’un qui passe en objet en ne le reconnaissant pas comme une personne, mais comme une chose. Et je leur demande « Mais est-ce que moi je vous dis bonjour le Noir ? »
Parfois de tous petits enfants se mettent à pleurer en me voyant et l’on m’explique gentiment qu’ils n’ont jamais vu de Blanc et qu’ils ont peur. Malgré cela, ces comportements, même très agaçants, non rien de comparable avec la haine à laquelle j’ai été confrontée dans ma ville, Paris, et mon pays, la France. En Casamance la population est flattée de rencontrer des étrangers, des Blancs.
-D. C. : Marie Sellier avec beaucoup d’empathie et de finesse a retranscrit avec ce texte ce que j' ai vécu dès la maternelle. C’était très important pour moi de connaître quelqu’un qui comprenait ce que j’avais vécu. C’est elle que j’aurais dû rencontrer dans ma classe... La cour d’école est souvent, et c’est consternant, un lieu de violence. Cela concerne tout le monde et pour de multiples raisons qui peuvent être autres que le métissage.
-D. C. : Je parlerais plutôt d’une réalité du métissage que l'on refuse de voir. La problématique selon moi vient du regard sur le métis. L’autre projette sur le métis sa propre complexité et crée de ce fait un problème qui n'existe pas. L’Interculturel parle de plusieurs cultures. Mais Myriam Mafou, comme moi, ne connaît pas d’autres cultures puisqu’elle est née ici. C’est ça le sujet principal du livre : les autres pensent qu’elle vient d’ailleurs, alors qu’elle est d’ici.
Avec le livre bilingue, l’éditeur autrichien Bernest, s’adresse également à ceux qui possèdent 2 langues maternelles et on peut l’imaginer 2 cultures. Une amie d’enfance dont les enfants sont métis et les petits enfants de langue française et allemande est venue acheter le livre au salon. C’est vraiment une richesse, puisque enfants et petits enfants, bénéficient dans cette famille réellement d’une triple culture puisque les couples sont restés unis.
-D. C. : Il est question avec ces éditions d’une traduction en allemand-arabe.
Je me souviens lors d’une lecture avec des enfants au Salon du livre. Nous leur demandions s’ils avaient vécu la même chose que Myriam Mafou. Un petit garçon très tendre qui s’appelait Fayçal, un prénom arabe, nous avait dit qu’on l’appelait fesses sales, cela m’avait fait mal au coeur. Je trouvais cela terriblement méchant.
Ce qui est intéressant, c’est que ces livres bilingues s’adressent à une double culture. Je ne suis pas concernée par cette réalité, puisque je n’ai connu que la culture de ma famille française, c’est le cas de beaucoup de métis autour de moi. Je suis donc très contente du prolongement de ce livre qui s’adapte à cet aspect du monde dans lequel nous vivons. Je n’avais pas songé à cette possibilité.
Marie Sellier et moi, sommes très heureuses de cette seconde vie pour notre ouvrage.
-D. C. : J’ai utilisé ma peinture, ma sculpture et la vidéo pour alerter sur le génocide du Soudan et l’esclavage toujours d’actualité en Mauritanie et au Soudan,
Cette démarche m’a entrainée beaucoup plus loin que ce que j’imaginais, et m’a amenée a créer le Comité Soudan. Avec les évènements du Darfour j’ai rejoins le groupe Urgence Darfour, dont je suis vice-présidente. Des chercheurs m’ont demandé d’écrire des articles d’analyses politiques. Cet engagement m’a donc ouvert la voie de l’écriture. Ecrire était en fait très important pour moi, sans que je ne l’aie jamais mesuré.
-Diagne Chanel : Ce livre a en fait précédé Mafou métis dans la réflexion sur le métissage.
C’est parce que j‘ai écrit pour défendre les autres, que j’ai pensé qu’il était temps d’utiliser le pouvoir du livre pour me défendre, puisque personne ne l’avait jamais fait pour moi, ni ma famille, ni mon entourage. Une manière de sortir définitivement de la cour d’école peut être …
Ce que j’avais pressenti et écrit dans mon essai sur le métissage s’est produit.
Entre autres, la radicalisation de la société française par le refus de nous voir, alors que nous sommes de la même culture de la même chair et que nous n’avons pas de revendication communautaire.
Après un long chemin, cet essai devrait être publié prochainement.
>Myriam, Mafou métisse, de Marie Sellier et Diagne Chanel, Bernest
Diagne Chanel est née et vit à Paris. Artiste internationale, c’est une artiste éclectique et engagée travaillant avec la peinture, la sculpture, la performance, la vidéo et la photographie. Son œuvre est fortement inspiré par l'architecture de la Renaissance italienne. Au cours des 10 dernières années, Diagne Chanel a développé des thèmes interculturels qui composent la société française, avec des expositions dans plusieurs grands musées internationaux et deux livres pour enfants publiés par Paris Musées. Elle achève en 2010 un essai autobiographique, Métis invisibles. Le livre Myriam Mafou Métisse vient d’être réédité en version bilingue, par les éditions Bernest de Vienne en Autriche. Le processus créatif de Chanel a révélé le génocide au Soudan du Sud, et elle a participé à de nombreuses campagnes de droits humains. Elle est présidente du Comité Soudan et vice-présidente d’Urgence Darfour.
>Légende photo : sculptures en résine de Diagne Chanel, Les écolières,
>Plus d'informations sur le site personnel de l'artiste
>Visionner une vidéo présentant l'exposition Sica art contemporain à la Maison Rouge (Paris) sur le thème du métissage dans laquelle Diagne Chanel était exposée.
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