A l’occasion de la parution de son roman « Les
serrements d’amour » (La Grande Ourse), Richard Cannavo se livre pour
Viabooks à l'exercice de l'autoportrait par le texte
et l’image.
Réalisation Annick Geille
Je suis dans mon jardin, dans ma maison près de Paris. Sans doute le lieu où je me sens le mieux au monde, auprès de ma femme et de mes enfants. Il y a des tortues qui se baladent, deux poules, un lapin et… quelque 300.000 abeilles (quatre ruches) ! J’éprouve un besoin vital de ce contact quotidien avec la nature, c’est une chose qui me ressource face à la pression du travail, et à l’enfer de Paris.
Depuis toujours je crois. Enfant je noircissais des pages, j’écrivais des poèmes, des chansons, des nouvelles, mais je ne soupçonnais pas qu’on puisse vivre de cette activité : chez les immigrés italiens que nous étions, on gagnait sa vie à la force de ses bras, pas avec ce qu’on avait dans la tête ! J’ai grandi dans une famille plutôt misérable où il n’y avait pas de livres, encore moins d’ambition. D’avoir pu accéder à ce milieu, à ce métier, je me suis toujours senti comme une sorte de miraculé. C’est une banalité, mais je crois qu’on écrit pour une unique raison : pour être aimé.
J’ai lu, fasciné, le Voyage au bout de la nuit d’une traite, sans dormir (et dans la foulée j’ai fait la même chose avec La Condition humaine de Malraux). C’était une révélation : ainsi, par la grâce de la littérature on pouvait voyager, rencontrer des gens, rire ou souffrir, et être heureux. C’était le remède à tous les chagrins, et un formidable instrument d’évasion.
Une grande enquête journalistique sur la vie des Français, puis une biographie d’Alain Souchon, parce que j’avais envie de devenir son copain – ce qui s’est produit (je me sens plus proche de cet homme que de mes propres frères). Mon premier roman, Le Chien fou, d’une violence inouïe. Comme si j’avais voulu me libérer, décharger tout ce désespoir diffus, cette peur, cette colère aussi que je sentais gronder en moi.
Même s’il est d’une certaine âpreté, c’est mon roman le plus apaisé. J’ai voulu écrire une histoire extrêmement simple, et même banale – le trio amoureux – avec des personnages aussi ordinaires que possible. Il n’y a ici plus de fou, plus de minable, plus de héros ou de psychopathe : rien que des gens normaux ! La force vient, je crois - j’espère - de ce qu’ils éprouvent, ces sentiments qui nous déchirent et nous écrasent, ces tempêtes intérieures qui nous emportent tous, balayant tout. Rien d’extraordinaire : juste le bonheur et la souffrance d’aimer, jusqu’au bord d’en mourir.
« J’ai rencontré un homme… »
« Elle savait que si elle gardait sa petite main dans la sienne, Marian la conduirait vers le bonheur, cette chimère qu’elle s’était tant épuisée à poursuivre, dans le désordre et l’aveuglement, avec l’orgueil amer des sacrifiés. »
« Lorsque Mathilde annonce à Lorenzo qu'elle le quitte, celui-ci perd pied. Tout s'écroule. Elle, cette femme qu'il aime tendrement, "sa Mathilde", décide de mettre un terme à leur histoire, une liaison tendre et complice. Car Lorenzo est marié et Mathilde ne supporte plus cette relation murée dans une attente interminable, mêlée de solitude et de doute. Alors qu'elle tente de passer de l'ombre à la lumière, il s'enfonce dans la tristesse. Et lorsqu'il rebondit enfin, Mathilde, elle, rechute. Entre confusion, colère et regrets, l'épanouissement saura-t-il se faire une petite place ? »
C’est un manuscrit que j’ai gardé longtemps sur une étagère, que je voyais peu à peu se couvrir de poussière. Je n’étais pas sûr d’avoir envie de continuer. L’écriture, qui a éclairé ma vie, me semblait soudain vaine : trop de livres, de vaines connivences, de cruauté, d’indifférence… J’ai envoyé mon manuscrit aux éditions de La Grande Ourse pour une raison très simple : un ami (dont le texte y avait pourtant été refusé) m’avait dit qu’ils lisaient les manuscrits avec beaucoup d’attention et, surtout, qu’ils étaient bienveillants. La bienveillance, cette qualité miraculeuse, si rare… L’expérience m’aura montré que cet ami avait raison : c’est une maison exigeante mais très chaleureuse, une maison où l’on se sent exister. Et même aimé !
Le numérique procède sur un rythme à l’inverse de l’écriture. Il est foisonnant, il va vite, il passe ; l’écriture, c’est lent, laborieux, solitaire. Le numérique, c’est le vacarme du monde ; l’écriture, c’est le silence. Et puis l’écriture reste. Le numérique, c’est l’ivresse de l’éphémère. L’écrit – le livre - c’est le marbre des temps modernes.
Je pars demain pour quelques jours en Bretagne, voir la mer. La mer, c’est comme les livres, c’est l’infini à portée de regard, on peut s’y perdre, et s’y noyer (je viens d’apprendre le suicide d’un de mes amis bretons qui s’est jeté dans les tourbillons de la Ria d’Etel, là où nous pêchions ensemble la daurade et le bar). J’aurais aimé lui offrir mon livre, pour qu’il soit moins triste.
Les lauréats du Prix Mare Nostrum 2024 vient de livrer la liste de ses lauréats. Chaque lauréat recevra une dotation de 2 000 € pour sa c
Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast