Chronique de Lorenzo Soccavo

« Covidiennes de la joie » de Sylvie Dallet : ravissements et confinements

Avons-nous bien profité du grand confinement du printemps 2020 ? Dans son recueil « Covidiennes de la joie » (Éditions L’Harmattan), Sylvie Dallet, professeure des universités et présidente de l’Institut Charles Cros, nous offre un regard chamanique sur ce passé récent. Et si nous avions laissé passer les opportunités d'une créativité « confinée » ?

Avons-nous bien profité du grand confinement du printemps 2020 ? Dans son recueil « Covidiennes de la joie » (Éditions L’Harmattan), Sylvie Dallet, professeure des universités et présidente de l’Institut Charles Cros, nous offre un regard chamanique sur ce passé récent. Ce faisant elle attire notre attention sur les opportunités que nous aurions alors peut-être laissées passer...

Une succession de courts récits

Le livre, illustré de quelques photographies et d’une peinture de son auteur, se présente sous  l’aspect innocent d’une succession de courts récits. D’abord vingt-cinq textes issus d’un Journal de confinement qui couvre la période du 16 avril au 1er juin 2020. Puis, quatre-vingt chroniques sous le titre générique La danse des masques, et qui de Covidienne 1 à Covidienne 80 s’étirent jusqu’à septembre 2023. Mais l’entreprise n’est pas si innocente que cela.

Un jardin à soi...

L’ouvrage n’est pas une énième tentative de surfer sur de dystopiques dérives. Sa lecture réveille et révèle. Quoi ? Que la réclusion forcée aurait pu dépasser le tempo monastique et nous entraîner dans une bifurcation n’étant pas sans rappeler Le Jardin aux sentiers qui bifurquent de l'argentin Jorge Luis Borges.
Le 21 avril 2020, soit 35 jours après le déclenchement du premier confinement, Sylvie Dallet s’interroge : «Ôtez de ma portée tout visage humain et tout est changé. Il était donc responsable de tant de fatigue, de tant d’intolérance ? » Avant de pouvoir à nouveau sortir, et j’écris bien à nouveau, c’est-à-dire de ressortir, mais, différemment d’avant, d’avant la pandémie, et non pas sortir de nouveau comme avant, c’est le jardin, aussi petit ou sauvage soit-il, qui est alors le révélateur de ce qui est en train de se passer.

« La porte verte »

L’action se déroule d’abord en effet dans une sorte de face-à-face avec un petit jardin en Seine-Saint-Denis. A Montreuil. L’action c’est la vie. Ce sentiment étrange, que nous sommes nombreux à avoir ressenti, d’un dévoilement en plein jour des mondes animal et végétal qui, de loin et progressivement, se révélaient à nous. En nous cloîtrant, les autorités ont ainsi potentiellement ouvert plus de portes qu’elles n’en ont fermées. Et nous avons été libres alors de les entrebâiller ou pas, de les ouvrir ou pas. Et Sylvie Dallet de l’exprimer ainsi: « En fait, comme beaucoup, je crains le déconfinement, une grande frayeur animale me prend comme une contagion : ces présences familières vont elles se dissoudre dans le bruit, se cogner aux automobiles, être asphyxiées par le retour de la pollution ? » (5 mai 2020).

Ne pas rester en place...

Était-il donc possible de faire comme si rien ne se passait en dehors des tragédies humaines, et de reprendre après comme avant ? Alors que toutes et tous traversions une expérience à la fois collective et terriblement individuelle ? Un retour sur soi, un retour à soi. Beaucoup ont puisé des ressources dans leurs bibliothèques mentales, leurs musées imaginaires, ont entendu, même confinés en ville, l’appel de la forêt. Les quatre-vingt petits récits de voyages avec masque s’aventurent hors du jardin et nous emmènent en excursions à Vincennes, Fontainebleau et Marseille. Mais déjà ce de quoi nous nous étions rapprochés semble s’éloigner. Le couvre-feu n’était qu’une limite, et plus un enfermement. Alors que, note judicieusement Sylvie Dallet, nous commencions même à marquer plus d’attention et de soin aux objets. Simplement les objets.

Un rendez-vous manqué ?

Ce livre est ainsi un retour. Un retournement salutaire sur ce que la pandémie, qui aura tant coûté sur plusieurs plans, nous aura aussi apporté. Les non-humains, Les Furtifs dirait Alain Damasio, Le Règne animal pour le réalisateur Thomas Cailley (mais pas que, le règne végétal aussi) nous ont peut-être tendu la main. Ou ils s’apprêtaient à le faire. Si nous avions été moins dans la peur. Moins devant les écrans de télévision ou d’ordinateur, et davantage à les regarder par les fenêtres. Un jour peut-être alors la glace se serait brisée. Naturellement, ou bien à l’initiative des uns ou des autres. En plein printemps, notre anthropocentrisme a ainsi été interpellé. Mais en avons-nous bien eu conscience alors ? En 2024, n’avons-nous pas déjà oublié ?

> Sylvie Dallet, Covidiennes de la joie, Éditions L’Harmattan, Collection Éthiques de la Création,172 pages, 21 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
> Lien vers le site de l’Institut Charles Cros

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Lorenzo Soccavo est chercheur associé à l'Institut Charles Cros, rattaché au séminaire Ethiques et Mythes de la Création, conférencier et prospectiviste du livre et de la lecture à Paris.
>Suivre les travaux de Lorenzo Soccavo sur son blog : Prospective du livre

 
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