Lever de rideau

« Procès en scène » de Basile Ader : quand la Justice entre dans l'Histoire

Basile Ader, lui-même avocat, a reconstitué quelques procès exemplaires comme des tragédies spectaculaires. Cela a donné «Procès en scène » (Editions Marie Romaine), un texte qui remet en lumière parmi d'autres, les célèbres plaidoiries de Gisèle Halimi au sujet de l'avortement ou de Robert Badinter sur la peine de mort. Basile Ader répond à nos questions.

Basile et Sophie Ader à la librairie Pédone, lors de la signature du livre « Procès en scène » Basile et Sophie Ader à la librairie Pédone, lors de la signature du livre « Procès en scène »

Basile Ader est avocat. Ancien vice-bâtonnier, il est conservateur du musée du Barreau de Paris. Il a aussi la passion du théâtre. Eloquence et  droit sont au cœur de l'art des plaidoiries, dont certaines sont entrées dans l'Histoire. Cela ne lui a pas échappé.

La dramaturgie des procès

C'est ainsi que Basile Ader a eu l'idée de monter avec sa femme Sophie Ader des adaptations de quelques procès mémorables en pièce de théâtre, afin de montrer la puissance de ces textes emblématiques. Quelle belle idée ! Le théâtre s’y prête, tant il ressemble, par sa dramaturgie, à une audience judiciaire.

Quand l'avocat entre dans l'Histoire

Ainsi est né Procès en scène, joué à plusieurs reprises et devenu un livre édité par les éditions Marie Romaine. Ces textes continuent de porter haut et fort le verbe des avocats comme Gisèle Halimi, dont la plaidoirie dans le procès de Bobigny, en 1972, entraîna quatre ans après, la légalisation de l’avortement ou Robert Badinter, qui avec sa plaidoirie en faveur de Patrick Henry, en 1977, annonça l’abolition de la peine de mort en 1981. En contrepoint, Basile Ader a choisi de parler d'un autre procès, mettant en scène un tout jeune avocat, requis pour défendre cinq de ses camarades promis au peloton d’exécution, au plus terrible de la guerre de 14-18 : ce texte raconte comment la justice peut être expéditive, lorsqu’elle se veut exemplaire. La plaidoirie parle ici autant au cœur qu'à la raison. 

L'avocat contribue à transformer le regard de la société

Ce livre nous place face à ce constat : le droit est vivant, toujours en mouvement, comme un corps organique. Ainsi que le rappelle Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats dans sa préface :  « La conscience collective se transforme plus vite que la loi ne change. C'est l'une des noblesses du métier de l'avocat, et non des moindres, lorsqu'il est convaincu et habité de valeurs supérieures au droit imparfait et temporel, de transformer le regard de la société et de faire en sorte, grâce la puissance essentielle du verbe, que le Parlement modifie la loi (...) » 

Un livre brillant qui n'intéressera pas seulement les juristes. Il passionnera toutes celles et ceux qui souhaitent entrer dans les coulisses des procès, antichambres de l'Histoire. 

Basile Ader a accepté de répondre à nos questions.

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Viabooks : Pourquoi avoir voulu écrire des adaptations théâtrales de grands procès ?

- Basile Ader : J'aime le droit et le théâtre. J'appartiens à la troupe Conférence & Compagnie depuis près de trente ans. C'est dire si le théâtre fait partie de ma vie, parallèlement à mes fonctions d'avocat. C'est donc assez naturellement que j'ai d'abord imaginé une scénographie pour un procès extraordinaire qui se tint pendant la Grande Guerre. J'avais retrouvé les textes des plaidoiries du sergent Jean Bénac , un jeune avocat qui a finalement réussi en 1914 à sauver de l'exécution quatre sur cinq des accusés, dans un contexte de guerre et de pression extrême. Sa responsabilité a été immense. Ce procès démontre l’importance fondamentale de faire siéger une défense professionnelle, pour que les accusés puissent se faire entendre en donnant leur version des faits. Une justice d’exception, comme une cours martiale militaire, ne peut pas faire l’économie d’un tel système de défense. Ce procès l’a démontré, il a servi de précédent et d’exemple. Dans ce cas comme dans tous les procès d'assise, il existe une tension, une dramaturgie que je souhaitais rendre visible. J'avais envie que le grand public prenne la mesure de ce qui se passe. De lever le rideau sur le « mystère » d'un procès.

Après ce procès très particulier qui s'est tenu en période de guerre, pourquoi avoir choisi le procès de Bobigny et celui de Patrick Henry ?

-B.A. : Parce que ces deux procès sont entrés dans l'Histoire. Ils ont tous deux annoncé et préparé l'évolution de la loi.
Dans le cas du procès de Bobigny, il s'agissait pour Gisèle Halimi de défendre l'avortement qui était encore considéré comme un crime. Quatre ans après, la loi Veil sera votée. Mais Gisèle Halimi contribue déjà à transformer le regard sur l'interruption volontaire de grossesse. Dans sa plaidoirie, elle réussit l'exploit d'inverser l'accusation. C'est brillant, intense... et tellement théâtral !
Pour ce qui est du procès de Patrick Henry, Robert Badinter n'a pas cherché à minimiser l'acte de l'accusé. Il a élargi le débat en le situant sur le terrain du sens de la peine de mort. Il a posé la vraie question : qui est habilité à donner la vie ou la mort ? Les mots de Robert Badinter résonnent pour toujours. Il a parlé au nom de tous les hommes avec une dignité et une force qui font mon admiration. 

Qu'ont en commun ces trois situations pourtant très différentes ?

-B.A. :  Elles mettent en lumière trois avocats exceptionnels. Maniant le verbe avec un brio remarquable. Ces trois histoires ont aussi en commun que, chaque fois, l'avocat a pris la main sur le procès. Tous trois ont montré que le droit est vivant et qu'il doit savoir évoluer en fonction des époques et des consciences. Ces trois avocats ont montré combien leur rôle peut transcender un procès ,au point de transformer sa perspective. Cela en dit long de la responsabilité de l'avocat. Contrairement à ce que certains pensent, dans un procès, les jeux ne sont jamais faits d'avance.

En quoi vous semblait-il nécessaire de redonner vie à ces textes  ?

-B.A. :  Le théâtre permet de raconter l' histoire de ces procès avec une unité de lieu et de temps. Comme dans les tragédies. J'aurais pu intituler ce livre «Œuvres d'avocat», car j'ai vraiment voulu montrer qu'on peut lire et entendre ces plaidoiries comme des œuvres. On y découvre l'art de l'éloquence et de la stratégie, l'art d'élever le débat, voire de le décentrer, l'art de chercher le sens... C'est en cela que ces plaidoiries sont aussi rentrées dans l'Histoire. Il est important que leurs textes continuent de vivre. Chaque avancée sur les grandes questions de société a des résonances politiques et juridiques. Mais c'est souvent d'abord au sein des tribunaux que la réflexion se met en marche. C'est pourquoi, il est utile de pouvoir lire les textes, pas juste de les entendre. La lecture permet d'en prendre la mesure.

Allez-vous continuer de jouer au théâtre « Procès en scène » ?

-B.A. : Très certainement.  Cet été nous serons à Avignon, pour le Festival, car l'engouement du public ne se tarit pas. C'est une joie et un honneur que de montrer ce que la Justice peut avoir de grand. Et de beau.

« Procès en scène » de Basile Ader, Préface de Christian Charrière-Bournazel, Editions Marie Romaine, 208 pages, 18 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien

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