Fantasy mystique

« Du thé pour les fantômes » de Chris Vuklisevic : une quête intime où la poésie des contes infuse le réel

Une histoire vibrante où frôlent surnaturel, fantômes et sorcières. Une histoire également très concrète, des conflits de famille, la jalousie d’une sœur délaissée, des aïeux détestables. C’est, entre autres, ce que propose Chris Vuklisevic dans son nouveau roman Du thé pour les fantômes (Denoël). Un roman atmosphérique, parfait pour l’automne qui arrive, et qui donne des frissons. Analyse.

Un roman aux aires de conte

Chris Vuklisevic signe avec « Du thé pour les fantômes » un roman dont la trame floue, les personnages surnaturels et attachants et l’atmosphère mystique le rapprochent des histoires et de l’univers de Tim Burton. Un univers à la fois sensible, touchant et qui met « mal à l’aise positivement ». Entrez dans un salon de thé pas comme les autres, où les théières décident ou non d’être utilisées, et les fantômes font partie du paysage. Car Félicité est passeuse de fantômes, un métier bien curieux à Nice. L’auteure dépeint son histoire, et celle intimement liée de sa sœur jumelle Agonie, dans leur vie mouvementée, rocambolesque, et leur quête pour retrouver le fantôme de leur mère.

Un deuxième roman prometteur

Chris Vuklisevic est une écrivaine française, originaire du sud de la France, elle vit à Paris depuis 2011, où elle a mené des études en sciences du langage et en édition à la Sorbonne. Chroniqueuse pour La Bouquinerie Jeunesse, une émission littéraire de Radio Campus Paris, elle est aussi membre cofondateur de l’association Heptalone, qui offre aux écrivains des retours gratuits sur leur manuscrit. Elle est, de plus, la créatrice du podcast « Le club où l’on discute d’écriture sans filtre ». Son premier roman «Derniers jours d’un monde oublié » a remporté le concours organisé pour les vingt ans de la collection Folio SF. Indéniablement, une nouvelle grande voix de l’Imaginaire est née. « Du thé pour les fantômes », son deuxième roman, est décrit comme « un récit empreint de réalisme magique ».

Une invitation dans la vallée des Merveilles

Cela fait trente ans que Félicité et Agonie, sœurs jumelles, ne se sont pas adressé la parole. Mais voilà que la mort de leur mère les rapproche à nouveau, dans une quête commune de retrouver le fantôme de cette dernière. Car Carmine, qui les avait mises au monde un soir dans un village en haut de la montagne, les a dès lors départagées horriblement, choyant Félicité et ostracisant Agonie, enfant curieuse qui crachait des fleurs carnivores et des papillons toxiques. Les deux enfants, si semblables mais tellement différentes, deviendront respectivement sorcière et passeuse de fantôme, ce métier consistant à trouver les fantômes qui veulent mourir définitivement et les aider dans ce processus. Ainsi, lorsque leur mère trépasse à son tour, les deux sœurs laissent leurs rancunes de côté pour retrouver son spectre. Mais les témoins, qu’ils soient vivants ou morts, proposent des versions toutes plus contradictoires et incohérentes de la vie de la mystérieuse femme qui semble avoir eu mille vies.
Que voulait-elle révéler avant de mourir ? Qui était vraiment cette femme fragmentée, multiple ? Leur quête de vérité emmènera les sœurs des ruelles de Nice au désert d’Almería, de la vallée des Merveilles aux villages abandonnés de Provence, et dans les profondeurs des silences familiaux.

Un récit narré de façon originale

« Maintenant, si vous voulez passer le temps pendant qu’on boit notre thé, je peux vous conter le récit de Félicité, qui est aussi celui de Bégoumas et de son abandon.  Je peux vous retracer ce que j’ai compris d’elle, de sa sœur, de sa mère surtout, de leur village hanté et de l’été où les habitants l’ont fui. Je ne vais pas tricher, je ne vais pas mentir. Je vous donnerai toutes les vérités de ceux qui ont vécu cette histoire. Et comme je ne dirai que le vrai, il n’y aura sans doute là-dedans pas grand-chose de réel. » -C.V

Le narrateur de ce récit, dont on ignore tout au début du roman, à part qu’il s’installe dans un salon de thé pour s’abriter de la pluie niçoise, prend peu à peu de l’importance, à mesure que le lecteur comprend ses liens avec les protagonistes dont il raconte l’histoire. Il a donc un avis tranché sur chacun d’eux, amenant à une prise de position pour le lecteur. L’auteure dépeint des personnages plus surprenants les uns que les autres, une fillette de dix ans aux cheveux complètement blancs, une autre qui crache des papillons, une sœur perdue dans un désert espagnol qui détient le secret de l’éternité… Ces personnages sont complexes et jamais tout noirs, ni blancs.

La douleur : un thème récurrent

« Qui chérit assez sa douleur pour se l’infliger si souvent ? » -C.V

Les personnages dans « Du thé pour les fantômes » n’ont pas la vie simple, et leurs histoires sont dépeintes et accentuées sur les négativités dans le récit. L’auteure montre cependant que les solutions se méritent, qu’il faut se relever et trouver des alternatives tout en relativisant sa situation, et faire des concessions. Le personnage d’Agonie est particulièrement intéressant, maltraitée dès sa naissance par une mère qui avait décidé avant même de voir son bébé qu’elle n’y prêterait pas attention, puis maudite par une tendance à faire pourrir, faner, dégrader, tout ce qu’elle touche. Habituée à la misère alors que sa sœur jumelle est choyée comme une reine, la jeune femme revient quand même à sa sœur lors de la mort de leur mère, et l’aidera dans sa quête pour retrouver son fantôme malgré tout. Une belle leçon de courage.

Sorcières !

« Agonie et Félicité savent qu’elles n’appartiendront jamais à cette foule colorée. Rien ne les attend dans ce monde rutilant. Elles, les jumelles du mont Bégo, elles sont le corbeau et le chat noir qui ne sortent que le soir, des morceaux ambulants de nuit, des trous dans la lumière qu’on préfère contourner pour oublier qu’il existe autre chose que le soleil. » -C.V

Thème récurrent dans la littérature, la sorcellerie fascine autant qu’elle effraie. Les habitants du village des jumelles les ostracisent, les prennent à part, les battent, à cause de leurs différences. C’est une caractéristique profonde de l’humain ; il rejette ce qu’il ne comprend pas. Cette thématique est abordée dans un autre ouvrage chroniqué, « La sorcière de Limbricht » de Susan Smit, dans lequel une vieille femme se retrouve accusée de sorcellerie et torturée alors qu’elle est innocente, simplement atypique. L’auteure dénonce les inégalités familiales et les dégradations sur le physique, entre autres thèmes inspirants de ce roman passionnant.

> « Du thé pour les fantômes », Chris Vuklisevic, éditions Denoël, 439 pages, 21 euros

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