Chronique d'Agnès Séverin

«Le Passager» de Cormac McCarthy, un roman testament, quantique et poétique

Cormac McCarthy, disparu le mois dernier, laisse avec Le passager (L'Olivier), un roman testament. Un thriller métaphysique qui oscille entre physique quantique, recherches mathématiques et plongées hallucinatoires dans la psyché d’une jeune schizophrène, Alicia. Agnès Séverin s'est laissée porter par cet univers onirique de haut vol, qui se lit comme un long poème.
>Lire aussi notre article d'hommage à Cormac McCarthy

Cormac McCarthy, disparu le mois dernier, laisse un roman testament où l’amour flirte avec la mort, le danger et l’interdit. Un thriller métaphysique qui oscille entre physique quantique, recherches mathématiques et plongées hallucinatoires dans la psyché d’une jeune schizophrène, Alicia. Un univers onirique de haut vol, qui laisse parfois un peu désarçonné. Laissons-nous porter !

« Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », prônait le grand Cocteau. Dans Le passager  - si l’on excepte Stella Maris, les entretiens de la trop belle Alicia, sœur du héros, avec son psychiatre -, Cormac McCarthy cultive les situations limites.

Un roman qui se lit comme un poème

Les sujets de ce roman imposent au lecteur beaucoup d’humilité pour en suivre les envolées et les volutes, qui flirtent avec le fantastique. Jugez-en, il ne s’agit rien de moins que du caractère réel ou non du monde, de la puissance des sentiments - a fortiori lorsqu’ils sont interdits - des recherches en physique quantique ou des mystères que révèle le langage mathématique. Originaux et exigeants, ils font de ce dernier (ou avant-dernier) roman, une lecture dépaysante. Sinon planante.

Lire et « lâcher prise »

Pour l’apprécier, employons un mot à la mode, il faut « lâcher prise ». Il faut avoir l’humilité de reconnaître qu’il n’est pas possible (sauf à avoir un bagage scientifique proche du paranormal) de tout en comprendre. Mieux vaut donc se laisser porter par ces images hallucinatoires. Se laisser embarquer dans les spirales de ces discussions sur les avancées de la physique quantique. Par les rebondissements de l’existence à risque du hors-la-loi de haut vol qu’est le héros du Passager. De ce roman étrange, nous ne sommes que… les passagers clandestins.

Dialogues philosophiques dans les bas-fonds

Ce roman se lit comme de la poésie. Il s’agit de se laisser entraîner dans un monde dont la portée nous dépasse, de se laisser bousculer par le paradoxe pour pénétrer dans un monde imaginaire et exigeant. Le tour de force du lauréat du prix Pulitzer (pour La Route) consiste à insérer ces sujets de haut vol dans des discussions d’hommes d’action et de voyous. Ici, la verve et la réalité brute, brutale, de l’existence valsent sans cesse avec la philosophie. D’où l’impression irrépressible de lire un roman testament.

Un roman transgenre, d’amour, d’action et d’espionnage

L’intrigue aussi est riche, entre histoire d’amour - pour le moins dérangeante mais d’autant plus fascinante - et roman d’action et d’espionnage. Un roman transgenre en quelque sorte. Bobby, le héros du Passager est plongeur de récupération. Dès les premières pages, un danger inhabituel plane autour de lui. Le suspense ne cessera de croître avec la menace grandissante, liée à un secret qui le restera longtemps. On a l’art de raconter les histoires ou on ne l’a pas !  

Tout l’art de l’intrigue ne tient qu’à celui de se taire

Tout l’art de l’intrigue ne tient qu’à celui de se taire. De garder ses secrets le plus longtemps possible pour mettre ainsi le lecteur au supplice. Bobby a été à bonne école, puisque son père est aussi celui de la bombe atomique, Oppenheimer lui-même. Pas étonnant qu’il discute « matrice S », « physique des hautes énergies » ou absence de définition correcte de la particule avec ses amis, tous très en marge de la normalité. Á la vie, à la mort, comme dans tout monde interlope qui se respecte. C’est un héros aussi brillant qu’impertinent. Souvent drôle. Toujours surprenant. 

Cormac McCarthy voit tout en cinémascope

Pas étonnant non plus que sa sœur Alicia soit un prodige des mathématiques - qu’elle fait progresser entièrement de tête et sans notes, s’il vous plaît - en plus d’être d’une beauté renversante. Ses délires sont aussi étranges qu’inquiétants. Les chiens ne font pas des chats. « Cette année-là (…) elle avait cessé tout traitement et en une semaine ils étaient de retour. Le Thalidomide Kid et la vieille dame à l’étole de charognes et Grogan le Grand Cradingue et les nains et les faux Noirs. »
Cormac McCarthy voit tout en cinémascope. C’est en cela qu’il est très Américain. L’amour, le danger, les poursuites de l’Etat fédéral, et ses secrets qui circulent lentement, les capacités de notre cervelle, et les affres dans lesquelles l’existence s’ingénie à nous plonger. « Voici une histoire. Le dernier d’entre les hommes, seul dans l’univers qui s’entête autour de lui. Qui pleure toutes choses d’un unique chagrin. Des vestiges pitoyables et exsangues de ce qui fut son âme, il ne tirera rien dans quoi confectionner la moindre chose divine pour le guider en ces derniers jours. »

Un roman hors-limite

C’est un roman noir qui vole très haut sans échapper totalement au fatalisme (à la paranoïa ?) du genre.
« Tu crois toujours que quand il y a une chose qui te paralyse, tu peux te contenter de lui tourner le dos et oublier. Mais en fait elle ne te suit pas. Elle t’attend. Et elle t’attendra toujours. »
Un roman toujours un peu hors limite. À ne pas mettre entre toutes les mains sans doute. Mais une lueur d’espoir toutefois, timide, traverse un rêve. Sorte de morale romanesque. « Si on se lance dans la bataille chargé de son passé, on est sûr de courir à la mort. L’austérité élève le cœur comme la vision. Voyage léger. Quelques idées suffisent. »

> Le Passager de Cormack Mc Carthy. Traduit de l’anglais (État-Unis) par Serge Chauvin. Editions de L’Olivier, 536 pages, 24,50 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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