Ecrire en marchant

Patrick Modiano : Les "horizons" d'un promeneur des mots

Patrick Modiano le prince des lettres nous revient avec un livre fort et nostalgique. Ce nouvel " Horizon" nous entraîne dans un Paris inédit et nous promène dans les flottements de la mémoire. Une fois encore le style droit et simple  de Modiano nous emporte, une fois de plus la magie opère. Suivons l'écrivain des promenades dans sa géographie si particulière, et partons à la rencontre de son grand Paris. 

Dans un récent entretien à la Tribune de Genève, Modiano soulignait que « Marcher est une manière de réfléchir ». Les idées viennent à Modiano au cours de promenades, provoquées par ce qu’il peut voir de curieux. Il rappelle qu’il est un enfant des villes et que le Paris présent dans ses livres est lié à des sensations que j’ai reçues quand j’étais assez jeune (…) Mais ces sensations semblent avoir fait l’objet d’une métamorphose, une sorte de processus chimique qui a participé à l’élaboration d’un paysage intérieur, une ville métaphysique »… notait Modiano. L’écrivain est au cœur de l’actualité avec une année 2009 où colloques et textes critiques lui ont été consacrés. Plus que jamais en ce mois de Mars, où sort son dernier livre, L’Horizon 

Des rues, des places mais aussi des halls d’hôtels, des arrières salles de cafés, celles qu’affectionnent particulièrement les fantômes du père. Des endroits de passage pour s’enfuir très vite avec ses secrets, laisser planer les non-dits, suspendre les instants et accueillir les souvenirs à éclipses.

La Ville comme Personnage

La ville est ainsi plus que tout autre le grand personnage des livres de Modiano et l’infatigable source d’inspiration de l’auteur qui confiait : «  les villes sont de gigantesques croisements d’anonymes, et cette multitude de visages croisés qui resteront pourtant des inconnus, cela a toujours provoqué pour moi l’imagination. Une sorte de désir d’essayer d’identifier les gens et de rendre compte de ce foisonnement d’existences : une envie de ramener à la surface ce qui s’est perdu dans cet anonymat, les visages et les gestes entrevus »

  A la manière des textes de Perec, l'espace est principe créatif. Et, le personnage de flâneur tient comme domaine de travail précisément la rue. Amoureux de la ville comme l’était Queneau mais aussi Breton, Nerval, Aragon ou encore Proust, Modiano utilise les lieux à la fois comme sujet et objet, matière et essence. La ville est ainsi l’inspiratrice majeure des errances de personnages en quête de sens, en mal de repères.

Le problème disait Perec réside à interroger l’espace ou à le lire car la quotidienneté n’est pas évidence mais bel et bien opacité. On n’en a jamais fini avec les lieux, traces d’une poétique de la quête, expressions de souvenirs, épanouissement de ce procédé que Modiano manie avec talent : l’allusion.

A l'Horizon

Vivre dit Perec c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. Chez Modiano, on retrouve cette même idée, nourrie par la transmission de l’émotion avec des séries de petits riens: Ici, la collision entre deux jeunes gens dans le métropolitain qui ouvre L’Horizon. Margaret Le Coz est légèrement blessée à l’arcade sourcilière. Une tache de sang sur le col de son imperméable, elle laisse Bosmans lui retirer le sparadrap. Et quelques lignes plus loin,  « Il essayait vainement de se rappeler dans quel livre était écrit que dans chaque première rencontre est une blessure ».

Dans L’Horizon, on retrouve Paris mais on part aussi pour la Suisse et pour Berlin. L’Allemagne est évoquée en pointillés tout au long du livre. Ce n’est que dans le dernier chapitre que le lecteur y pénètre vraiment. Et pourtant, il semble que l’on soit déjà venu, que l’on ait déjà foulé ces rues comme si au fond, le temps n’avait plus d’importance. Seul l’espace est-ce merveilleux fil d’Ariane qui ouvre les portes et permet de réanimer le souffle. Le récit procède ainsi par visions. L’écrivain est ce paysagiste qui tisse son texte avec des fils de trame urbain, des territoires où s’épanouissent des « fleurs de ruines ».

Résonances de livre en livre et regards sur un Nouveau Paris

L’espace offre au temps les moyens de ne plus signifier seulement la douleur. Et, à l’horizon, on distingue même des signes d’espoir, et d’avenir… Les choses et les êtres ont existé. Ils sont passés. Nul regret mais plutôt l’étonnement curieux de les voir renaître au croisement d’une rue, à la vue d’un numéro ou d’une silhouette de dos poussant une voiture d’enfant. Au début et à la fin de Villa Triste, il est question d’un café qui s’appelait peut-être café des cadrans ou de l’Avenir. Dans Fleurs de Ruine, on parle d’un hôtel muré dont la plupart des fenêtres n’ont plus de vitres. Seule l’enseigne a résisté : on y lit : hôtel de l’avenir mais, souligne le texte « Quel avenir ? Celui déjà révolu, d’un étudiant des années trente, louant une petite chambre ». Dans L’Horizon, le ton a changé. Emane un souffle de sérénité, nouvel axe d’une œuvre qui sait se remettre en question.

Louki, dans Le Café de la Jeunesse Perdue parlait d’ Horizons perdus de James Hilton, ouvrage très connoté sixties, quand les gens partaient pour Katmandou en l'idéalisantLouki, note que ce livre raconte «  l'histoire de gens qui gravissent les montagnes du Tibet vers le monastère de Shangri-La pour apprendre les secrets de la vie et de la sagesse.» Et elle ajoute aussitôt: «Ce n'est pas la peine d'aller si loin. Pour moi, Montmartre, c'est le Tibet.» Avec L’Horizon, le champ du temps se déplace et la mélancolie prend des reflets plus doux. 

Dans L’Horizon, Modiano part à la découverte d’un nouveau Paris : le nouveau XIIème, le parc de Bercy et ces nouvelles rues datant d’à peine cinq ans dont un agent immobilier connu par intermédiaire bien des années plus tôt lui fait l’article. Drôle de coïncidence qui ouvre des portes à un récit qui regarde devant. Peu commun chez Modiano qui en parallèle inclut le petit génie d’internet. Retrouver en un clic le nom de quelqu’un qui a hanté une partie de sa vie.  « L’avenir… Un mot dont la sonorité semblait aujourd’hui à Bosmans poignante et mystérieuse. » tandis-que les fantômes du passé se promènent au gré des saisons en toute liberté.  

L'Avis de Viabooks

L’Horizon est un livre lumineux où l’on sent Modiano apaisé, relisant certains moments de l’existence avec sérénité. On retrouve pourtant ces personnages mystérieux et malfaisants qui courent de livre en livre. Un Paris qui n’existe plus mais aussi l’approche d’un nouveau Paris. Des garages et des lieux insolites, des échappées en Suisse et à Berlin. Un personnage principal Bosmans. En promenade dans Paris, il se souvient d’un nom, Mérovée. Puis d’un visage. Et d’une femme, Margaret Le Coz rencontrée métro Opéra un jour d’affluence. Deux êtres qui se sont aimés et rassurés. Deux êtres en mal avec leurs fantômes : une femme aux cheveux rouges, un prêtre défroqué, un homme au pardessus trop serré qui porte sur lui un revolver dans un étui en daim. Jusqu’au jour… Le dernier livre de Modiano, l’Horizon se confronte aux fantômes du passé mais tend vers un futur esquissé. Il est bien rare de trouver dans ses livres un ton proche de l’espoir. L’Horizon est un livre où le sentiment de mélancolie est transcendé. La fin nous laisse supposer un nouveau départ. Si l’action se passe majoritairement à Paris, nous partons aussi pour Lausanne. Certains textes de Modiano nous ont fait voyager en Suisse mais nous n’étions jamais restés aussi longtempsdans cette ville. Au bord du lac, évoquant à priori l’apaisement et la tranquillité elle se révèle au contraire le lieu de visions et de rencontres angoissantes.  Bosmans écrit à Paris dans le quartier d’Auteuil chez Margaret Le Coz, tandis que celle-ci travaille chez Richelieu Interim. « Lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses ». Le quartier est refuge de celle qui fuit son passé mais aussi celui de l’écrivain qui n’a pas d’autres diplômes que le baccalauréat… Jean Bosmans écrit et tient plusieurs journées par semaine la librairie des éditions du Sablier, spécialisé dans les sciences occultes. Le flou, l’indécision, le non-dit planent merveilleusement sur L’Horizon. Les noms, les adresses mais aussi les faits se répondent en miroirs comme autant de signes. Ce roman enjambe le temps. Bosmans passe de l’adolescent qu’il était, amoureux d’Elisabeth à l’homme qu’il est devenu, quarante ans plus tard. Et au fond, rien n’a vraiment changé car les fragments du passé se recomposent dans les carnets moleskine. Mieux encore car L’Horizon ne pénètre pas seulement dans les plis du temps passé mais ouvre le champ des possibles. « Pour la première fois, il avait dans la tête le mot : avenir, et un autre mot : l’horizon. Ces soirs là, les rues désertes et silencieuses du quartier étaient des lignes de fuite, qui débouchaient toutes sur l’avenir et L’HORIZON »

Paris 01


01
ARCADES DU PALAIS ROYAL ET SON MÉTRO   
PAGE 47
Galerie marchande et ses magasins divers où Magaret Le Coz croit reconnaître Boyaval.

02
COUR DU LOUVRE
P44   
Lieu où Bosmans jouait enfant. Au bout de la grande Cour Carrée, un commisariat lui faisait peur.

03
RUE RADZIWILL
P55
Bureaux de Richelieu Interim où travaille Margaret le Coz
 

Paris 02


04
BOULEVARD DES CAPUCINES
P16
La bande joyeuse se retrouve de l’autre côté du boulevard au salon de thé « la Maquise de Sévigné »

05
25, RUE DU QUATRE-SEPTEMBRE
PAGE 28
Les bureaux de Richelieu Interim où travaille Magaret Le Coz
 

Paris 06


06
AVENUE DE L’OBSERVATOIRE ET SES JARDINS
P68,70,ET 79
Le professeur Ferne et sa femme habitent sur les jardins de l'Observatoire. Margaret Le Coz garde leurs deux enfants.

07
RUE DE SEINE
PAGE 42
Passage où la femme aux cheveux rouges et à la canne frappe Bosmans
 

Paris 08


08
RUE DU COLISÉE / AVENUE FRANKLIN ROOSEVELT
P18
A ce carefour, Bosmans reconnaît bien des années plus tard Mérovée,
l’un des collègues de Margaret Le Coz chez Richelieu Interim.


09
FAUBOURG SAINT-HONORÉ
PAGE 57
Agence de placement Stewart où Bosmans et Magaret Le Coz se présentent.
 

Paris 09


10
27, RUE BLEUE
P 152
Lieu où se réunisaient des hommes et des femmes pour pratiquer la magie,
dont le livre « Le Cénacle d’Astarté » du docteur Poutrel fait allusion.

11
PLACE DE L’OPÉRA - MÉTRO OPÉRA
P22,32
Bosmans et Magaret Le Coz se heurtent dans les escaliers du métro Opéra 
au milieu de la foule. Magaret Le Coz se blesse contre le mur et saigne à l’arcade sourcilière.


12
AVENUE TRUDAINE    
PAGE 25       
Cette avenue « qui ne commence ni ne finit nulle part »
 

Paris 10


13
BOULEVARD MAGENTA   
PAGE 162   
Départ de Margaret Le Coz pour l’Allemagne.
 

Paris 12

   
14
49, RUE DE BERCY   
P128   
Adresse de l’agence immobilière Alain Boyaval

15
GARE DE LYON
PAGE 88
Arrivée de Magaret Le Coz à Paris
 

Paris 14


16
QUARTIER DE LA TOMBE ISSOIRE ET DE MONTSOURIS.
P53
Quartier où Bosmans s’est installé.

17
28, RUE DE L’AUDE
P56, 59
Adresse de Bosmans qu’il donne pris de cours à l’agence de placement Stewart.

18
AVENUE REILLE
P64
Au tournant, Bosmans distingue Margaret du bureau des Editions du Sablier
 

Paris 15


19
32, RUE DES FAVORITES
PAGE 163 ET 165
Adresse de Mademoiselle Suzanne Kraay où le petit Peter,
fils du docteur Poutrel et d’Yvonne Gaucher doit être emmené
 

Paris 16


20
L2,6,10,12,16,20,26 AVENUE DODE-DE-LA BRUNERIE
P136
Adresse de mademoiselle Clément qui tape les manuscrits de Bosmans

21
EGLISE DE LA PORTE-DE-SAINT CLOUD
P135
L’église Sainte Jeanne de Chantal où Bosmans se cache tout l’après-midi
de peur que la femme aux cheveux rouges et le prêtre défroqué ne le repèrent.

22
RUE POUSSIN
P36
Bar de Jacques l’Algérien.

23
QUARTIER D’AUTEUIL
P34
Quartier de Magaret Le Coz dans lequel elle loue une chambre où parfois Bosmans écrivait et se réfugiait.

24
6 RUE DE BELLOY
Hotel Sévigné où réside Magarget Le Coz avant d’habiter sa chambre à Auteuil.

25
37, RUE LA PÉROUSE
P 93
Adresse de Michel Bagherian employeur de Magaret Le Coz

26
RUE BREY
P40
Rue de l’hôtel où a séjourné Magaret Le Coz avant de s’installer dans une chambre à Auteuil

En savoir plus

L'Horizon, Patrick Modiano, Gallimard.

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