Patrick Modiano vient d'être choisi par l'Académie Nobel pour le Nobel de la littérature. Une consécration que l'écrivain de la mémoire des ombres n'attendait pas. Emblématique de son oeuvre , son dernier livre « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » (Gallimard), est un récit sous forme d’énigme, comme une nouvelle variation sur le thème de l’absence et du chagrin. Eternels.
«Presque rien. Comme une piqûre d’insecte qui vous semble d’abord très légère. Du moins c’est ce que vous vous dites à voix basse pour vous rassurer. Le téléphone avait sonné vers quatre heures de l’après-midi chez Jean Daragane, dans la chambre qu’il appelait “le bureau”. Il s’était assoupi sur le canapé du fond, à l’abri du soleil. Et ces sonneries qu’il n’avait plus l’habitude d’entendre depuis longtemps ne s’interrompaient pas. Pourquoi cette insistance ? »Ainsi commence « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier », le dernier livre de Patrick Modiano. En quelques phrases, un univers, reconnaissable entre tous, envoûtant comme nul autre. Ce presque « rien » transmet déjà son trouble, envahit comme l’humidité de l’automne qui tombe avec le soir.
Avec ce nouveau récit, le plus mélancolique des écrivains français nous entraîne dans une nouvelle traversée énigmatique. D’une géographie virtuelle à une géographie tout court, nous partons en promenade à Paris avec Jean Daragane, un écrivain, dont la résonance avec l’auteur est affichée sans filtre. Ce héros a pris de l’âge. Trente ans ont passé depuis l’époque du jeune homme de la « Rue des boutiques obscures » ou des « Boulevards de ceinture ». Et pourtant, c’est comme si le temps s’était arrêté. Ici, il est question d’un carnet d’adresses égaré puis retrouvé,d’une ancienne connaissance dont l’empreinte laissée par son nom inscrit est le seul lien avec un passé oublié. Il y a toujours des cafés, des rendez-vous manqués, des rencontres improbables, des personnages qui surgissent de nulle part et qui disparaissent sans raison, des énigmes, des recherches, des nuits à Paris… Un livre de Modiano n’est jamais ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Il porte en lui la trace d’un message indéchiffrable. Comme si un morceau du puzzle était manquant à jamais.
Patrick Modiano n’a pas son pareil pour donner à une sonnerie de téléphone ou un banal café de la rue des Arcades un caractère menaçant. Une intention assumée par l’écrivain qui confie dans un entretien publié par son éditeur : « Oui, je crois que les regards des enfants et des écrivains ont le pouvoir de donner du mystère aux êtres et aux choses qui, en apparence, n’en avaient pas. » Alors, écrire. Pour tenter de percer ce mystère. Ou pour créer un imaginaire protecteur ?
Plus que dans ses précédents livres, Patrick Modiano laisse surgir sa tristesse. Souvenir des tourments d’une enfance malmenée par l’abandon et les ombres de l’Après-guerre. Est-ce cette mélancolie qui émeut tant le lecteur ? N’aurions-nous pas « tous en nous quelque chose de Modiano » ? Quel enfant n’a pas ressenti un jour l’effroi d’une nuit sans réponse ? Comme son héros, Patrick Modiano contient sa mémoire, ose l'aborder par incursions allusives et craint d’être rattrapé par des évènements incontrôlables, surtout lorsqu’un certain Gilles Ottollini se met à vouloir le reconnecter avec Guy Torstel, tenant d’un passé oublié : « Il craignait trop que le chagrin, enfoui jusque-là, ne se propage à travers les années comme le long d’un cordon Bickford.» Tout est écrit : le chagrin, l’enfance et cette peur que l’ombre des souvenirs, évanescents « comme des bulles de savon » ne réapparraisse à la lumière. Mémoire de ces années 50, traversées par le réveil d’une société qui n’était plus qu’un champ d’absences, et qui a vite enseveli les signes dérangeants.
A l’instar du héros, Jean Daragane, qui a même oublié un roman de jeunesse écrit pour retrouver une femme : « Le Noir de l’été ». Une mise en abyme très « modianesque » à laquelle l’auteur répond : « Il m’est souvent arrivé de semer dans mes livres des noms et des détails − comme des signaux de morse – à destination de certaines personnes dont les traces s’étaient perdues. Je savais d’avance qu’elles ne donneraient pas signe de vie, mais c’est leur silence qui me donnait envie d’écrire. » Nouvelle bouteille à la mer ? Dans ce livre-ci, Patrick Modiano sait que les survivants de son enfance n’existent plus. Le téléphone sonne dans le vide d’un passé à jamais révolu. Les signaux ne s’adressent plus à leurs destinataires. Ils rencontrent simplement la solitude d’un écrivain qui sait que, désormais, seuls les mots seront ses compagnons de mémoire.
>>Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Patrick Modiano, Gallimard
Pour lire un extrait du livre, cliquez sur ce lien.
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