Prix Stanislas 2021

«Mobylette» de Frédéric Ploussard, une comédie grinçante sur les enfants abandonnés

Avec Mobyletteune comédie grinçante sur le milieu de l’aide sociale à l’enfance, Frédéric Ploussard a décroché le Prix Stanislas et a été sélectionné pour les sélections du Prix de Flore ainsi que celui des Inrockuptibles. La satire sociale crue, à la manière de Strip-tease, se double d’un roman d’action un peu surjoué. Le burlesque ne souffre guère la facilité, au risque de verser dans l’outrance.

Portrait de Frédéric Ploussard, Editions Héloïse d'Ormesson Portrait de Frédéric Ploussard, Editions Héloïse d'Ormesson

Dominique est un exemple de résilience. Dans cette autobiographie fictive, le héros de Mobylette évoque une enfance en forme de champ de bataille. Le face-à-face que décrit Frédéric Ploussard entre ce grand dadais poussé trop vite avec ses parents tient plus de la survie que de l’éducation proprement dite. Bon sang ne saurait mentir. Dans ce décor de forêts sombres ponctuées de marécages, le gène de la tendresse saute des générations.

Ces familles où le gène de la tendresse saute des générations

« Les avortements tardifs avaient été pratiqués par le peuple des forestiers jusqu’à la fin des années quatre-vingt. Fallait le savoir et comprendre : le temps d’être sûr qu’on avait vraiment un petit gars qui corresponde bien à ses attentes. Pas trop grand, ni trop gros, rustique, bon chasseur, pas geignard, ni végétarien. Jusqu’à la vingtaine d’années, c’était possible par là-bas. C’était plus simple aussi à l’époque, suffisait d’un trou (…) Papa avait eu deux frères et sœurs qui avaient disparu du plan de table entre dix et seize ans. Ils appelaient ça la mort subite du nourrisson. »

Rien n’est épargné à celui qui aurait dû s’appeler Laurent. Ni les brimades, ni les vexations (particulièrement efficaces le jour de Noël) en rafale. Ou encore les conversions forcées aux « sports co’ » alors qu’il n’aime que la nage libre dans le lac, le dessin, et, de temps en temps, bouquiner sur son lit. Il n’y a qu’à la violence physique qu’il aura échappé. D’ailleurs son père, un pompier-moniteur d’auto-école, le lui répète sans cesse « Ah, tu nous auras tout fait ! ».

Rien d’étonnant donc à ce que ce grand échalas débonnaire se tourne vers les adolescents en difficulté, maltraités, pour les aider à les remettre dans le droit chemin. Dans cette chronique sociale grinçante, Frédéric Ploussard a choisi l’humour noir pour faire passer la pilule de la violence – la vraie cette fois, inceste compris.

Un héros (et un roman) plein de bonnes intentions

Les mésaventures de cet éducateur plein de bonnes intentions, autant que de maladresse, donnent lieu à un roman à l’encan. Elles lui donnent un côté tour à tour attachant et agaçant. En doublant la satire sociale, efficace, émouvante, d’un roman d’action, Frédéric Ploussard lorgne du côté du burlesque. Un cocktail à manier avec précaution, au risque de péché par excès.

La Mobylette dont rêve Dominique à l’âge de 14 ans symbolise l’accumulation d’une ribambelle de frustrations. C’est un modèle de héros candide qui ne se dépare ni de son enthousiasme, ni de ses espérances au fil de ce roman initiatique en pleine lorraine désindustrialisée. Jouant parfaitement son rôle de héros épique, il sort de chacune de ses épreuves avec une volonté de bien faire sans faille. Sa conviction force l’admiration. Son travail pour rendre ces enfants-loups « un peu plus curieux, un peu moins flippés, un peu plus sérieux, un peu moins dangereux ».

D’où l’idée de l’auteur, fidèle en cela aux règles d’un futur scénario potentiel, de le plonger dans des situations de plus en plus dangereuses. Face à des ennemis de moins en moins fréquentables. Les adolescents qu’il encadre ne sont pas toujours les moindres. Même si en ce qui les concerne, l’espoir est permis, on l’a dit.

Un humour noir parfois surdosé

Comme dans tout bon roman noir, la toile de fond offre une vision peu amène de la société. Frédéric Ploussard joue habilement de ce décalage entre une réalité cruelle et un regard optimiste - on ose à peine dire bienveillant aujourd’hui, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais à multiplier les péripéties pour mettre son héros à l’épreuve, l’humour noir est parfois surdosé. Reste un sens de l’observation efficace.

Ni la municipalité, ni la notabilité locale, comme une partie des cadres de la « Dent du diable » (c’est le nom du foyer où œuvre le jeune éducateur), en particulier la psy, plongée dans des abîmes de tristesse n’en sortiront indemne. Cette dernière n’hésite pas à user de la pharmacopée pour acheter la paix sociale. « Atténuées. J’aimais bien le terme. Elles étaient défoncées avec une méchante came légale de labo pharmaceutique, mais atténuées, c’était presque poétique. Penser à m’atténuer un de ces vendredis soirs ».

Un regard candide qui fait les bons (anti-)héros

Ce roman social qui vaut d’abord pour la candeur de ce regard sur les jeunes en difficulté. Un regard encourageant et indulgent tel que chacun devrait en bénéficier dans son jeune âge. Et c’est en cela que Dominique, avec son air bonasse, ne joue pas seulement les anti-héros.

>Mobylette de Frédéric Ploussard, Éditions Héloïse d’Ormesson, 409 pages, 21 euros

En savoir plus

Visionner la présentation en vidéo que Frédéric Ploussard fait de son livre Mobylette pendant le salon Le livre sur la place à Nancy.

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