Projecteur

Notre sélection : les livres phares de la rentrée littéraire 2023

Moins de 500 nouveautés : la rentrée littéraire de l’automne 2023 est au régime sec. Elle compte exactement 466 romans dont 321 romans français, parmi lesquels 74 premiers romans. Ce chiffre est loin du record des 701 nouvelles publications de septembre 2010. Au programme cette année, quelques stars, coutumières des grands tirages, comme Éric Reinhardt, Amélie Nothomb, Sorj Chalandon, Laurent Binet, Serge Joncour ou Sylvain Prudhomme : les éditeurs jouent la sécurité. Découvrez leurs romans, déjà sous les feux de la rampe.

1. Les heures heureuses de Pascal Quignard, Albin Michel, 240 pages, 19,90 euros

Quelle histoire ? Pascal Quignard confie lui-même les clés pour comprendre son livre. Voici ce qu'il écrit dans sa présentation : Derrière les heures ce sont les paysages.
Le temps qui se tient derrière le temps c'est la rotation des paysages.
Le printemps, l'été, l'automne, l'hiver.
Les paysages sont les visages inoubliables du temps originaire qui fuse. À l'intérieur de l'énigme de chaque vie, chacun devient alors l'indice d'une chance, d'un heur qui est comme tombé du ciel.
J'ai eu l'heur de vivre.
Bon heur : bonne pioche.
Mal heur : mal chance, mauvaise étoile. 
»

Pourquoi on aime ? Ce livre qui mélange références littéraires, pensées du jour, écriture poétique est le douzième tome de Le dernier Royaume, l'œuvre magistrale de celui qui a eu récemment les honneurs de la BNF. Un texte sur le temps et la vie. Magnifique.

2. Perspectives de Laurent Binet, Grasset, 304 pages, 21,50 euros

Quelle histoire ? Florence, 1557. Le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Un tableau a été maquillé. Un crime de lèse-majesté a été commis. Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, est chargé de l’enquête. Pour l’assister à distance, il se tourne vers le vieux Michel-Ange exilé à Rome. La situation exige discrétion, loyauté, sensibilité artistique et sens politique. L’Europe est une poudrière. Cosimo de Médicis doit faire face aux convoitises de sa cousine Catherine, reine de France, alliée à son vieil ennemi, le républicain Piero Strozzi. Les couvents de la ville pullulent de nostalgiques de Savonarole tandis qu'à Rome, le pape condamne les nudités de le chapelle Sixtine.
Pourquoi on aime ? Perspective(s) est un polar historique épistolaire. Du broyeur de couleurs à la reine de France en passant par les meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, chacun des correspondants joue sa carte. Tout le monde est suspect. Et Laurent s'amuse avec l'Italie, l'art, le suspense. Le lecteur est emporté avec joie dans cette cavalcade qui mélange avec brio références historiques et roman.

3. Déserter de Mathias Enard, Actes Sud, 256 pages, 21,80 euros

 

Quelle histoire ? Quelque part dans un paysage méditerranéen orageux familier et insaisissable, en marge d’un champ de bataille indéterminé, un soldat inconnu tente de fuir sa propre violence. Le 11 septembre 2001, sur la Havel, aux alentours de Berlin, à bord d’un petit paquebot de croisière, un colloque scientifique fait revivre la figure de Paul Heudeber, mathématicien est-allemand de génie, disparu tragiquement, resté fidèle à son côté du Mur de Berlin, malgré l'effondrement des idéologies. Deux figures qui résonnent sans se ressembler. Deux destins.


Pourquoi on aime ? La guerre, la désertion, l’amour et l’engagement... le nouveau roman de Mathias Enard observe ce que la guerre fait au plus intime de nos vies. Il parle aussi de ce qui est caché, des dessous de la vie ou de l'Histoire. Il parle aussi  de ces ombres qui vacillent comme des fantômes à la lueur d'une bougie.

 

 

4. Sarah, Suzanne et l’écrivain d’Éric Reinhardt, Gallimard, 432 pages, 22 euros

Quelle histoire ? Sarah a confié l'histoire de sa vie à un écrivain qu'elle admire, afin qu'il en fasse un roman. Dans ce roman, Sarah s'appelle Susanne. Au départ de ce récit, Susanne ne se sent plus aimée comme autrefois. Chaque soir, son mari se retire dans son bureau, la laissant seule avec leurs enfants. Dans le même temps, elle s'aperçoit qu'il possède soixante-quinze pour cent de leur domicile conjugal. Troublée, elle demande à son époux de rééquilibrer la répartition et de se montrer plus présent, en vain. Pour l'obliger à réagir, Susanne lui annonce qu'elle va vivre ailleurs quelque temps. Cette décision provoquera un enchaînement d'événements aussi bouleversants qu'imprévisibles...

Pourquoi on aime ? Réflexion sur le lien troublant et mystérieux qui peut apparaître entre lecteurs et écrivains, ce roman puissant, porté par la beauté de son écriture, fait le portrait d'une femme qui cherche à être à sa juste place, quelque périlleux que puisse être le chemin qui y mène. Il met en scène aussi le processus de construction à l'oeuvre entre une femme et un écrivain qui la transforme en personnage. Une mise en abyme assez fascinante qui enferme doublement la femme dans une toile d'araignée.

5. L’Enragé de Sorj Chalandon, Grasset, 416 pages, 22,50 euros

Quelle histoire ? « En 1977, alors que je travaillais à Libération, j’ai lu que le Centre d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer allait être fermé. Ce mot désignait en fait une colonie pénitentiaire pour mineurs. Entre ses hauts murs, où avaient d’abord été détenus des Communards, ont été « rééduqués » à partir de 1880 les petits voyous des villes, les brigands des campagnes mais aussi des cancres turbulents, des gamins abandonnés et des orphelins. Les plus jeunes avaient 12 ans.
Le soir du 27 août 1934, cinquante-six gamins se sont révoltés et ont fait le mur. Tandis que les fuyards étaient cernés par la mer, les gendarmes offraient une pièce de vingt francs pour chaque enfant capturé. Alors, les braves gens se sont mis en chasse et ont traqué les fugitifs dans les villages, sur les plages, dans les grottes. Tous ont été capturés. Tous ? Non : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manquait à l’appel.

Pourquoi on aime ? L'auteur dit s'être glissé dans la peau de ce fugitif surnommé La Teigne et c’est son histoire qu'il  raconte. Celle d’un enfant battu qui ressemble à celui que fut Sorj Chalendon, qui a écrit précédemment sur les violences qu'il a subies. «La métamorphose d’un fauve né sans amour, d’un enragé, obligé de desserrer les poings pour saisir les mains tendues. »

6. Chaleur Humaine de Serge Joncour, Albin Michel, 352 pages, 21,90 euros

Quelle histoire ? Ceci est un roman total. Ecrit pendant l'épidémie de Covid, il est le reflet d'une peur et d'une tentative de reconquête familiale. Entrelaçant l'histoire du monde et une histoire de famille, il embrasse notre présent et nos fautes passées. En quelques semaines, du début du mois de janvier 2020 à la fin du mois de mars, le quotidien d'une famille française va basculer en même temps que l'humanité. Fuyant le confinement urbain, Vanessa, Caroline et Agathe se réfugient aux Bertranges, une ferme du Lot entre les collines et la rivière, où leurs parents vivent toujours. Les trois soeurs y retrouvent Alexandre, ce frère si rassurant avec qui elles sont pourtant en froid depuis quinze ans, ainsi que des animaux qui vont resserrer les liens du clan. Tandis que, du dérèglement climatique aux règlements de compte, des épidémies aux amours retrouvées, la nature reprend ses droits, ces hommes et ces femmes vont vivre un huis clos inquiétant.

 Pourquoi on aime ? Avec Chaleur humaine, Serge Joncour parle avant tout de ces dérèglements climatiques ( et épidémiques) à l'oeuvre et de ce que la folie des hommes provoque dans les sphères familiales et intimes. 

7. L’enfant dans le taxi de Sylvain Prudhomme, Editions de Minuit, 210 pages, 20 euros

Quelle histoire ? Sylvain Prudhomme annonce tout de suite son propos : « Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui. »

Pourquoi on aime ? Prenant, touchant le nouveau roman de Prudhomme nous emmène toujours plus loin dans une quête du sens. Une naissance improbable qui fait suite à un moment impérissable : quoi de mieux pour donner à une existence une part de fiction et d'imaginaire ?

8. Le grand secours de Thomas B. Reverdy, Flammarion, 320 pages, 21,50 euros

Quelle histoire ? Il est 7 h 30, sur le pont de Bondy, au-dessus du canal. C'est un de ces lundis de janvier où l'on s'attend à ce qu'il neige, même si ce n'est plus arrivé depuis très longtemps. Sous l'autoroute A3 qui enjambe le paysage, un carrefour monstrueux, tentaculaire, sera bientôt le théâtre d'une altercation dont les conséquences vont enfler comme un orage, jusqu'à devenir une émeute capable de tout renverser. Nous la voyons grossir depuis le lycée voisin où nous suivons, au fil des cours et des récréations, la vie et le destin de Mo et de Sara, de leurs amis, mais aussi de Candice, la prof de théâtre, de ses collègues et de Paul, l'écrivain qu'elle a fait venir pour un atelier d'écriture. Une banlieue, des tensions, jusqu'aux émeutes. Mais aussi la vie des habitants et les liens qui se tissent.

Pourquoi on aime ? Tout au long de cette journée fatidique, chacun d'entre eux va réinventer le sens de sa liberté, et de ses choix. Thomas B. Reverdy porte un regard de l'intérieur sur cette banlieue souvent stigmatisée. Il ne s'arrête pas à un constat, il montre comment la vie développe ses solidarités, ses rêves et ses résistances.

9. Samsara de Patrick Deville, Seuil, 179 pages, 19 euros

Quelle histoire ? Les deux héros de ce « roman sans fiction » semblent avoir vécu plusieurs existences. Le jeune avocat londonien Mohandas Gandhi en redingote noire et chapeau haut-de-forme est devenu l’infatigable marcheur vêtu de drap blanc, tandis que Pandurang Khankhoje, lui aussi militant indépendantiste indien, a bourlingué un peu partout dans le monde, du Japon à la Californie, combattant révolutionnaire au Moyen-Orient pendant la Première Guerre mondiale, par la suite exilé au Mexique et proche de la petite bande de Diego Rivera et de Frida Kahlo. Il deviendra alors un scientifique célèbre, mènera des recherches en agronomie comme Alexandre Yersin, le personnage principal de Peste & Choléra venu en Inde lors de la grande épidémie de peste. Le« samsara » définit la grande roue des vies successives à travers la réincarnation. Et c’est bien dans une grande roue que nous entraîne Patrick Deville dans ce nouveau roman, vaste fresque peinte tambour battant, sur un rythme haletant, de l’Inde coloniale puis indépendante, à travers les deux figures fil rouge de Gandhi le pacifiste, et plus encore de Khankhoje le révolutionnaire cosmopolite.

Pourquoi on aime ? C’est pendant une autre épidémie, récente, que le narrateur parcourt le pays devenu le plus peuplé du monde, depuis les contreforts de l’Himalaya jusqu’à la pointe extrême du sous-continent, à Kanyakumari au sud du Tamil Nadu. Il rencontre des historiens et des géographes, des écrivains et des étudiants, et grâce à eux essaie de comprendre un peu l’histoire des bouleversements souvent terribles qui se sont enchaînés, depuis l’installation du Raj britannique à Calcutta dans les années 1860 jusqu’à nos jours. Son livre est porté par un souffle qui mélange fiction et réalité. D'autant plus passionnant, que l'Inde est en train de devenir un pays charnière entre l'Occident actuel et les pays du nouvel ordre économique mondial.

10. Psychopompe d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 162 pages, 18,90 euros

 

Quelle histoire ? Amélie Nothomb se souvient de son enfance, de son viol à 12 ans, de son goût des oiseaux, de son appel de l'écriture. On connaît une partie des événements qu'elle a déjà narrés dans ses précédents livres, mais ici il s'agit d'un retour qui part du souvenir et s'envole plus haut pour le regarder autrement. 

Pourquoi on aime ? Parce la romancière donne quelques clés sur sa méthode, en racontant notamment pourquoi elle a écrit Soif et  Premier sang. Parce que les oiseaux sont sa passion et nous les découvrons comme des êtres qui nous élèvent. Parce qu'Amélie Nothomb a créé un monde bien à elle avec une écriture à la serpe, des pirouettes pleines d'esprit. Parce que devenir romancière est une éternelle aventure qui se lance chaque jour comme un défi, sans jamais se terminer. Même quand le dernier chapitre annonce la fin d'un récit. Pas celui d'une oeuvre.

 

11. Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andréa, L’Iconoclaste, 580 pages, 22,50 euros

Quelle histoire ? Au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre sans envergure. Mais il a du génie entre les mains. Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d'une famille prestigieuse, elle a passé son enfance à l'ombre d'un palais génois. Mais elle a trop d'ambition pour se résigner à la place qu'on lui assigne. Ces deux-là n'auraient jamais dû se rencontrer. Au premier regard, ils se reconnaissent et se jurent de ne jamais se quitter. Viola et Mimo ne peuvent ni vivre ensemble, ni rester longtemps loin de l'autre. Liés par une attraction indéfectible, ils traversent des années de fureur quand l'Italie bascule dans le fascisme. Mimo prend sa revanche sur le sort, mais à quoi bon la gloire s'il doit perdre Viola ?

 Pourquoi on aime ? Un roman plein de fougue et d'éclat, habité par la grâce et la beauté. Un hommage à l'Italie, la sculpture, la contemplation et à l'amour. Le lecteur devient lui aussi veilleur auprès de son héros qui réfugié dans un monastère veille sur une sculpture ultime. A juste titre le livre vient de recevoir le prix du roman Fnac 2023.

12. Et si c'était une nuit de Tobie Nathan, Stock, 400 pages, 22 euros

Quelle histoire ? C’est un vendredi, le 10 mai 1968. Sur sa mobylette, le jeune Tobie, maoïste en déshérence, louvoie entre « CRS SS », barricades et étudiants en colère. Alors que la foule envahit le Quartier latin, il va à contre-courant comme il l’a toujours fait, Juif d’Égypte exilé qui grandit à Gennevilliers. L’exode a brisé sa mère, son père est insaisissable et lui est devenu autre, dans une « absolue étrangeté », celle de « vivre étranger dans un pays étrange, étranger à soi-même ». Reste l’amour pour se rattacher au monde qui va, l’amour à fleur de peau et le désir ardent, dans les bras de femmes initiatrices qui le ramènent à l’épaisseur de l’existence. Et si c’était en une nuit que se décidait son destin.

Pourquoi on aime ? Parce que cette nuit évoquée par Tobie Nathan a imprimé en lui une trace profonde. Deux rencontres lui ont servi de miroir, de révélateur. Parfois il suffit d'un vis à vis pour orienter une vie.

 

 

13. Les instants suspendus de Philippe Delerm, Seuil, 120 pages, 14,90 euros

Quelle histoire ?  Laissons Philippe Delerm parler de son livre : « Ce n’est pas un éblouissement, pas une surprise. On est tout à coup dans cette lumière-là, comme si on l’avait toujours habitée. On vient de sortir du tunnel. Le train n’a pas changé de cadence, il y a juste eu un petit crescendo dans la musique, moins un bruit de moteur qu’une tonalité nouvelle, offerte au vent. Une infime parenthèse entre deux talus, et d’un seul coup : le paysage. Montagne, lac ou forêt, château en ruine ou autoroute, on sait tout absorber, tout devenir. »

Pourquoi on aime ? Parce que Philippe Delerm a l'art de nous transporter dans la félicité des plaisirs minuscules, qui cristallisent les instants suspendus de nos vies. Passer le doigt sur une vitre embuée. La mouche de l’été dans la chaleur de la chambre. Le jaillissement du paysage à la sortie du tunnel ferroviaire… Philippe Delerm est un maître des enchantements ordinaires. Grâce à lui, notre regard se métamorphose.

 

14. Le château des rentiers d’Agnès Desarthe, Actes Sud, 224 pages, 19,50 euros

Quelle histoire ? Agnès Desarthe situe son livre au sein d’une tour du XIIIe arrondissement de Paris, au huitième étage d’une tour du XIIIe arrondissement de Paris. L'héroïne, Agnès, rejoint en pensée Boris et Tsila, ses grands-parents, et tous ceux qui vivaient autrefois dans le même immeuble. Rue du Château des Rentiers, ces Juifs originaires d’Europe centrale avaient inventé jadis une vie en communauté, un phalanstère. Le temps a passé, mais qu’importe, puisque grâce à l’imagination, on peut avoir à la fois 17, 22, 53 et 90 ans : le passé et le présent se superposent, les années se télescopent, et l’utopie vécue par Boris et Tsila devient à son tour le projet d’Agnès. Vieillir?? Oui, mais en compagnie de ceux qu’elle aime.

Pourquoi on aime ? Ce roman plein de tendresse, d’humour et de devinettes – à quoi ressemble le jardin d’Éden?? quelle est la recette exacte du gâteau aux noix?? qu’est-ce qu’une histoire racontée à des sourds par des muets?? –, nous entraîne dans un voyage à travers les générations. Agnès Desarthe rend hommage à ses aïeux, ses racines et son histoire de déracinée magnifique.

15. Le grand feu de Léonor de Récondo, Grasset, 224 pages, 19,50 euros

Quelle histoire ? En 1699, Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d’étoffes, à Venise. La ville a perdu de sa puissance, mais lui reste ses palais, ses nombreux théâtres, son carnaval qui dure six mois. C’est une période faste pour l’art et la musique, le violon en particulier. À peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pietà. Cette institution publique a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnées en leur épargnant infanticides ou prostitution. On y enseigne la musique au plus haut niveau et les Vénitiens se pressent aux concerts organisés dans l’église attenante. Cachées derrière des grilles ouvragées, les jeunes interprètes jouent et chantent des pièces composées exclusivement pour elles. Ilaria apprend le violon et devient la copiste du maestro Antonio Vivaldi. Elle se lie avec Prudenza, une fillette de son âge. Leur amitié indéfectible la renforce et lui donne une ouverture vers le monde extérieur.

Pourquoi on aime ? Le grand feu, c’est celui de l’amour qui foudroie Ilaria à l’aube de ses quinze ans, abattant les murs qui l’ont à la fois protégée et enfermée, l’éloignant des tendresses connues jusqu’alors. C’est surtout celui qui mêle le désir charnel à la musique si étroitement dans son cœur qu’elle les confond et s’y perd. Le murmure de Venise et sa beauté sont un écrin à la quête de la jeune fille : éprouver l’amour, s’élever par la musique, puis se brûler à la flamme de son destin. Un roman plein d'ardeur et de rythme.

16. L’amour de François Bégaudeau, Verticales, 96 pages, 14,50 euros

Quelle histoire ? Les Moreau vont vivre cinquante ans côte à côte, en compagnie l'un de l'autre. C'est le bon mot : elle est sa compagne, il est son compagnon. Seule la mort les séparera, et encore ce n'est pas sûr.

Pourquoi on aime ?  François Bégaudeau a voulu raconter l'amour tel qu'il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crise ni événement. Au gré de la vie qui passe, des printemps qui reviennent et repartent. Dans la mélancolie des choses. Dans la simplicité et l'ordinaire. Il est nulle part et partout, il est dans le temps même. IL réussit à rendre désirable une existence faite de petits rien qui font un grand tout, d'élans qui se disent pudiquement. Cet amour-là est bien réel . Il donne une grande claque à tous ceux qui confondent attachement véritable avec passion théâtrale. A l'heure des grands exhibitionnismes, ce livre est un petit trésor qui parle vrai.

 

 

17. Le récit du combat de Luc Lang, Stock, 360 pages, 21, 50 euros

Quelle histoire ? Avec Le Récit du combat, Luc Lang offre pour la première fois un récit initiatique, contant sa traversée d’un demi-siècle, de l’Europe à l’Asie en passant par l’Afrique.
Fils d’une mère louve capable d’imposer son désir à l’ordre du monde, d’un père pionnier du judo japonais en France. Disciple errant en quête du maître rêvé, puis se révélant à ses côtés. Père enfin, obsédé par la transmission.

Pourquoi on aime ? L’auteur, indissociablement romancier et karatéka, parcourt les différents âges de son existence, se souvenant de toutes ses chutes et comment l’on y survit.
Certaines furent tragiques, le jetant à terre, d’autres lui offrirent la chance de combattre, toutes ont forgé une vie d’adulte encore debout. Parce que vivre est périlleux, vivre est un combat. Un combat dont on découvre ici la grammaire, l’éthique, les vertus, la discipline, l’art en somme .Un livre original qui suit le karaté comme une métaphore de la vie. Ce combat-là est le plus précieux, car nul n'en sort gagnant, ni perdant.

18. Mon enfant, ma soeur d’Eric Fottorino, Gallimard, 265 pages, 21 euros

Quelle histoire ?  Eric Fottorino évoque sa mère, qui chaque 10 janvier de sa vie, depuis soixante ans, reste couchée, comme si elle remettait au monde son enfant. Celui qui a disparu. Cette soeur arrachée.
Pourquoi on aime ? Dans Dix-sept ans, Éric Fottorino évoquait le fantôme qui hantait le début de son roman familial : une petite fille née trois ans après lui et aussitôt arrachée à sa mère, Lina, puis adoptée dans la clandestinité d’une institution religieuse bordelaise. Mon enfant, ma sœur est d’abord la quête de cette inconnue. Ce monologue sensible, long poème en prose, se transforme peu à peu en une enquête qui conduira le narrateur sur la trace de cette sœur disparue. Éric Fottorino continue sa bouleversante recherche d’identité entamée en 1991 avec Rochelle, et poursuivie depuis avec Korsakov et L’homme qui m’aimait tout bas. Ecrire pour combler le vide laissé par l'abandon, cette béance du non-dit.

 

 

19. Proust, roman familial de Laure Murat, Robert Laffont, 256 pages, 20 euros


Quelle histoire ? Toute son adolescence, Laure Murat a entendu parler des personnages d' À la recherche du temps perdu, persuadée qu'ils étaient des cousins qu'elle n'avait pas encore rencontrés. À la maison, les répliques de Charlus, les vacheries de la duchesse de Guermantes se confondaient avec les bons mots entendus à table, sans solution de continuité entre fiction et réalité. Car le monde révolu où l'auteure a grandi était encore celui de Proust, qui avait connu ses arrière-grands-parents, dont les noms figurent dans son roman.
Laure Murat a fini, vers l'âge de vingt ans, par lire la Recherche. Et là, sa vie a changé. Proust savait ce que l'écrivaine traversait. Il lui montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. Avant même, que Laure Murat ne coupe les ponts avec sa propre famille, Proust lui offrait une méditation sur l'exil intérieur vécu par celles et ceux qui s'écartent des normes sociales et sexuelles.
Pourquoi on aime ?  Une ode à Proust, qui a aidé l'auteure à se constituer comme sujet, lectrice active de sa propre vie, en lui révélant le pouvoir d'émancipation de la littérature. Une ode à devenir soi-même et à s'affranchir des carcans sociaux.  Un texte émouvant et  libérateur. Le livre le plus personnel de Laure Murat, que l'on retrouve plus souvent sur le terrain des essais historiques.

 

20. Panorama de Lilia Hassaine, Gallimard, 240 pages, 20 euros

Quelle histoire ? « C'était il y a tout juste un an. Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais. On m'a chargée de l'enquête, et ce que j'ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s'agissait pas d'un simple fait-divers, mais d'un drame attendu, d'un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l'expression soudaine d'une violence qu'on croyait endormie.»  Voilà comment Lilia Hassaine présente le propos initial de son roman d'anticipation. Son héroïne, Hélène, ex-commissaire de police, reprend du service pour retrouver un couple et leur petit garçon, Milo. Elle rencontre les dernières personnes à avoir été en contact avec eux. Depuis que la France a basculé dans l'ère de la Transparence, ces hommes et ces femmes vivent dans un monde harmonieux, libéré du mal, où chacun évolue sous le regard protecteur de ses voisins. Mais au cours de son enquête, Hélène va dévoiler une vérité aussi surprenante que terrifiante.

Pourquoi on aime ? À travers cette contre-utopie, c'est le monde d'aujourd'hui que l'auteure interroge. Ce roman montre des êtres en proie à leurs pulsions et à leurs fêlures derrière leur apparente perfection. Il montre aussi les dangers d'une société de la Transparence qui finit par cacher les ombres de ses secrets.

 

21. Pauvre folle de Chloé Delaume, Seuil, 240 pages, 19,50 euros

Quelle histoire ? Pour comprendre la nature de sa relation avec Guillaume, Clotilde Mélisse observe les souvenirs qu’elle sort de sa tête, le temps d’un voyage en train direction Heidelberg. Tandis que par la fenêtre défilent des paysages de fin du monde, Clotilde revient sur les événements saillants de son existence. La découverte de la poésie dans la bibliothèque maternelle, le féminicide parental, l’adolescence et ses pulsions suicidaires, le diagnostic posé sur sa bipolarité. Sa rencontre, dix ans plus tôt, avec Guillaume, leur lien épistolaire qui tenait de l’addiction, l’implosion de leur idylle au contact du réel. Car Guillaume est revenu, et depuis dix-sept mois Clotilde perd la raison. Elle qui s’épanouissait au creux de son célibat voit son cœur et son âme ravagés par la résurgence de cet amour impossible. La décennie passée ne change en rien la donne : Guillaume est toujours gay, et qui plus est en couple. Aussi Clotilde espère, au gré des arrêts de gare, trouver une solution d’ici le terminus.

Pourquoi on aime ? Dans toutes les histoires d’amour se rejouent les blessures de l’enfance : on guérit ou on creuse ses plaies. Chloé Delaume poursuit son oeuvre d'autofiction, où elle se raconte tout en sublimant son récit à travers un personnage qui lui ressemble, mais qui est mis à distance. Comme si l'auteure se mettait en joue avec elle-même. 

 

22. Les Terres animales de Laurent Petitmangin, Manufacture de livres, 224 pages, 18,90 euros

Quelle histoire ? Tout de suite le décor est posé : de petites villes avec leurs églises, quelques commerces, des champs, et au loin, la centrale. C’était initialement un coin paisible entouré de montagnes et de forêts. Jusqu’à l’accident. Il a fallu évacuer, condamner la zone, fuir les radiations. Certains ont choisi de rester malgré tout. Trop de souvenirs les attachaient à ces lieux, ils n’auraient pas vraiment trouvé leur place ailleurs. Marc, Alessandro, Lorna, Sarah et Fred sont de ceux-là. Leur amitié leur permet de tenir bon, de se faire les témoins inutiles de ce désert humain à l’herbe grasse et à la terre empoisonnée. Rien ne devait les faire fléchir, les séparer. Il suffit pourtant d’une étincelle pour que renaisse la soif d’un avenir différent. Un enfant peut-être ?

Pourquoi on aime ? Parce que Laurent Petitmangin montre ce qu'une contamination peut transformer dans un écosystème. Parce que l'auteur veut montrer comment les hommes peuvent laisser libre cours à leurs instincts irrépressibles. Et comment ces terres abîmées par eux finissent par être rendues au règne animal. Un roman sur le fil de la chlorophylle.

 

23. L'Épaisseur d'un cheveu de Claire Berest, Albin Michel, 240 pages, 19,90 euros

Quelle histoire ? Etienne est correcteur dans l'édition. Avec sa femme Vive, délicieusement fantasque, ils forment depuis dix ans un couple solide et amoureux. Parisiens éclairés qui vont de vernissage en concert classique, ils sont l'un pour l'autre ce que chacun cherchait depuis longtemps. Mais quelque chose va faire dérailler cette parfaite partition. Ce sera aussi infime que l'épaisseur d'un cheveu, aussi violent qu'un cyclone qui ravage tout sur son passage.

Pourquoi on aime ? Implacable trajectoire tragique, L'Épaisseur d'un cheveu ausculte notre part d'ombre. Claire Berest met en place un compte-à-rebours avec l'extrême précision qu'on lui connaît pour se livrer à la fascinante autopsie d'un homme en route vers la folie. La violence qui se déclenche pour un rien. Ce n'est pas un livre sur la violence , mais sur le mécanisme à l'oeuvre dans un passage à l'acte. Subtil et terrifiant.

 

24. L’échiquier de Jean-Philippe Toussaint, Les Éditions de Minuit, 256 pages, 20 euros

Quelle histoire ?  Jean-Philippe Toussaint annonce qu'il voulait que ce livre traite autant des ouvertures que des fins de partie, que ce livre le raconte, l’invente, le recrée, l’établisse et le prolonge. Qu'il voulait dire sa jeunesse et son adolescence, débobiner, depuis ses origines, ses relations avec le jeu d’échecs, et faire du jeu d’échecs le fil d’Ariane de ce livre.  Un texte composé de soixante-quatre chapitres, comme les soixante-quatre cases d’un échiquier.

Pourquoi on aime ? Une autobiographie qui ne ressemble à aucune autre. Depuis La salle de bain, Jean-Philippe Toussaint décline à chaque livre son esprit poétique. Cet échiquier est une partition. Les cases bougent au rythme de la mémoire. Et le jeu du roi tutoie parfois celui du fou. 

 

 

25. Les silences des pères de Rachid Benzine, Seuil, 176 pages, 17,50 euros

Quelle histoire ? Un fils apprend au téléphone le décès de son père. Ils s’étaient éloignés : un malentendu, des drames puis des non-dits, et la distance désormais infranchissable. Maintenant que l’absence a remplacé le silence, le fils revient à Trappes, le quartier de son enfance, pour veiller avec ses soeurs la dépouille du défunt et trier ses affaires. Tandis qu’il débarrasse l’appartement, il découvre une enveloppe épaisse contenant quantité de cassettes audio, chacune datée et portant un nom de lieu. Il en écoute une et entend la voix de son père qui s’adresse à son propre père resté au Maroc. Il y raconte sa vie en France, année après année.

Pourquoi on aime ? Parce que c'est un livre sur le mystère des liens père-fils. La découverte par un fils du récit que le père faisait de sa vie à destination de son propre père... et découvrir par là même qui est son père. Pénétrer une intimité. Voir défiler les grands moments de son existence : Le nord de la France, les mines de charbon des Trente Glorieuses, les usines d’Aubervilliers et de Besançon, les maraîchages et les camps de harkis en Camargue.... On se dit que c'est lorsque les parents s'en vont qu'une vérité surgit. Ici c'est plus que la vérité. C'est littéralement une voix qui parle outre-tombe. Et un père qui se dévoile. Un livre qui sonne juste et qui génère beaucoup d'émotion. 

26. Les amants du Lutetia d’Émilie Frèche, Albin Michel, 384 pages, 21,90 euros

Quelle histoire ? Un matin, un garçon d'étage de l'hôtel Lutetia, découvre un couple d'octogénaires, main dans la main, endormis pour l'éternité. Ce geste ultime et romantique, cette liberté qu'ils n'ont pas hésité à s'offrir a certes du panache, mais Ezra et Maud ont-ils pensé à leur fille Eléonore qu'ils laissent en proie à l'incompréhension et au chagrin ? Ont-ils seulement pensé à elle en planifiant leur mort spectaculaire, leur funérailles extravagantes, le legs compliqué de leur maison des Bulles ? Ultime coup d'éclat d'un couple de publicitaires, vendeurs de rêves, stars de la réclame dans les années 80 ou témoignage d'amour maladroit, absurde, tapageur mais d'amour malgré tout ?

Pourquoi on aime ? Emilie Frèche part d'un fait divers réel. Le suicide organisé par un couple, qui a voulu mourir ensemble en buvant du champagne interroge. L'auteure ne juge pas. Elle ne dramatise pas non plus. Choisir sa mort n'empêche pas d'aimer la vie.

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