L' incroyable épopée d'une plume rose sentimental

L'incroyable épopée d'une plume rose sentimental de Bénédicte Mamode

« Viens, mon Ange, mes millions, mon partage. Viens, on s'ennuie ici. On va voir la vie, on va voir les autres. Donne-moi la main, ça fait si longtemps. Je vais m'essouffler à marcher plus vite, à faire le jeune. On va se moquer de la trogne des gens comiques, regarde celui-là avec sa chemise rouge fluo. Allez, viens ! Souris, on va rêver de longs voyages, la Tanzanie, le Pôle Nord, choisis. Allons nous asseoir sur ce banc au bord du fleuve. Tu feras signe aux quelques bateaux qui passent.
Ris mon am', ris, c'est bien. La vie est ce qu'on en fait. 
»

Découvrant ses mots, j'étais déjà ailleurs.
Ce jour de juillet, le soleil le réveilla comme tous les autres matins. Rien n'annonçait une journée différente. Comme à son habitude, huit mois sur douze, Cory avait dormi à la belle étoile. Les lueurs de l'aube ne le réveillaient plus désormais, seul le soleil déjà haut à neuf heures du matin et les clameurs lointaines de la ville arrivaient à le sortir de ses torpeurs ensommeillées.
Il fit le tour de sa propriété pour récolter un ou deux œufs que ses poules auraient pondus aux aurores. Il les ferait frire ou les goberait selon son envie de l'instant, boirait dans sa tasse ébréchée un café bien serré, nectar aussi noir que le dessous de ses ongles. Puis il se dirigerait machinalement vers sa boîte aux lettres. Cette dernière n'accueillait que factures et prospectus depuis plus de trente ans. C'était par pure routine, presque inconsciemment, que dimanche et jours fériés compris, il tournait la petite clé rouillée qui lui permettait de l'ouvrir. Il ne regardait même plus ce que ses doigts attrapaient, son toucher savait reconnaître, à leur texture, s'il s'agissait de papiers publici­taires ou de factures. Mais ce matin-là, à sa grande stupeur, une enveloppe un peu dodue dormait sur une publicité pour tondeuses à gazon dernier cri. Ébaubi, il inspecta l'enveloppe : ses nom et prénom y étaient inscrits, dans une écriture fine et appliquée, son adresse complète y figurait, un « UNITED STATES » en lettres majuscules avait même été rajouté. Les quatre jolis timbres représentant des cosmos de différentes couleurs qui venaient égayer ce qui était somme toute, une banale enveloppe, lui firent comprendre que ce petit bout de papier avait traversé la moitié de la planète pour atterrir entre ses mains. Cory resta en contemplation totale devant cette missive : quelqu'un, quelque part, avait pensé à lui. Il s'en trouva sincèrement ému. À un point tel qu'il ne songea même pas à ouvrir son trésor. Il savoura pleinement sa surprise et sentit des larmes de bonheur perler le long de ses joues. (...) »

& aussi