Printemps des poètes

Florence Trocmé : « La poésie rend libre »

Florence Trocmé est créatrice et rédactrice en chef de la revue en ligne Poezibao. Elle a reçu en 2022  le Grand Prix de l'Académie Française pour son site. A l'occasion du Printemps des Poètes, elle revient sur l'aventure de la revue qu'elle dirige, sur le monde de la poésie aujourd'hui et sur les poètes qu'elle aime.

Portrait de Florence Trocmé. DR

Légende photo : Florence Trocmé, DR

Viabooks : La poésie est porteuse d'espoir. Est-ce une des raisons pour lesquelles vous avez créé Poezibao ?

F.T: Je pense que la poésie et la littérature de façon plus générale sont indispensables. Particulièrement dans une époque où le prêt à penser fleurit, où se développent des pratiques dites de mainstream dont le seul nom donne envie de fuir. Lire de la poésie, ou toute œuvre ressortissant du champ littéraire, permet à mon sens de rester indépendant intérieurement, de développer un véritable esprit critique, de continuer à penser en dehors des schémas dominants.
Poezibao n’est pas un blog. C’est une revue qui s’est donnée pour but de suivre l’actualité éditoriale de la poésie, avec toute l’exigence d’un journalisme professionnel. Je suis au demeurant journaliste de métier. Je pars du constat que la poésie n’a plus aucune place dans aucun des grands médias traditionnels : la télévision n’en a jamais parlé, mais il fut un temps où les journées de la chaîne de radio culturelle étaient ponctuées par des extraits poétiques ! Quant aux journaux, même de haut niveau intellectuel, comme le Monde ou Libération, ils ne lui accordent plus aucune place. Même constat dans les librairies dont souvent la poésie est absente. Il fallait donc s’emparer des nouvelles techniques pour assurer un minimum de visibilité à la poésie. C’est ce que tente de faire Poezibao. Centré, il faut le répéter, sur l’actualité éditoriale de la poésie. Ce n’est donc pas un lieu pour la publication des travaux, souvent amateurs, des très nombreuses personnes qui me sollicitent à cette fin. Le travail fait par Poezibao est encore une fois un travail de journalisme et de critique littéraires et pas un travail d’édition.
Poezibao (nom formé de la contraction de Poésie et de Dazibao, les feuilles couvertes de caractères géants placardées par les chinois sur les murs) a été créé fin novembre 2004. Il a publié à ce jour plus de 5000 articles (entre une et cinq publications quotidiennes) et reçoit entre 600 et 700 visites par jour. Par ailleurs, le poème choisi pour l’anthologie permanente (qui parait tous les jours de la semaine) est adressé à plus de 500 abonnés, par mail. La banque de données de fiches bio-bibliographiques compte également plus de 500 fiches de poètes français et étrangers.

Quels sont les poètes que vous aimeriez souligner, ceux dont on ne parle pas assez?

F.T: Ils sont très nombreux et je ne pourrai les citer tous aussi vais-je très arbitrairement en choisir cinq, qui me sont très proches : Antoine Emaz, Caroline Sagot-Duvauroux, Nicolas Pesquès, Jean-Pascal Dubost et une poète relativement peu connu, Françoise Clédat. Mais encore une fois je pourrais citer encore au moins trente poètes contemporains que je lis régulièrement et qui comptent selon moi.

Quels sont les poètes contemporains ou classiques que vous relisez régulièrement ?

 F.T: Dans le désordre le plus complet, Michaux, Nerval, Milosz, Butor, Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Paul Valéry, Supervielle, Pessoa, Jacques Dupin, du Bouchet, Emily Dickinson, Paul Celan, Ingeborg Bachmann. Je termine intentionnellement par des poètes étrangers, car il me semble très important de traduire et de lire les poètes étrangers. Je rendrai ici hommage au travail de Jean Baptiste Para par exemple qui dans la revue Europe introduit en permanence des poètes étrangers, même chose pour les revues Poésie de Michel Deguy et Martin Rueff avec notamment beaucoup de poésie italienne. Et que ce soit enfin aussi l’occasion de saluer ici le travail essentiel des revues, toutes les revues, là encore impossible de les citer toutes mais au moins Rehauts, Fusées, Nue, Le Cahier critique de poésie, Conférence, Fario, etc.
Qu’il soit bien dit cependant que je n’ai pu citer tous ceux que j’aurais voulu citer. Qu’ils ne m’en tiennent pas rigueur.

Quels sont à votre avis les petits éditeurs de poésie qui gardent le cap?

Florence Trocmé: C’est un sujet qui pourrait faire l’objet de l’entretien à lui seul. Je crois que nous sommes en face d’un univers très fluctuant, en perpétuelle recomposition, avec quelques points stables, des disparitions, des créations. Mais c’est un fait que part importante de l’édition de poésie est le fait aujourd’hui de petites maisons. C’est Michel Deguy, je crois, qui a coutume de dire que l’univers de la poésie, c’est celui du petit, petits éditeurs, petits livres, petits tirages et petit public. Petit public en effet mais qui néanmoins semble quantitativement relativement stable. Public composé il faut bien le dire en grande partie par les poètes eux-mêmes et par une part du public marginale mais souvent fervente.
Il y a quelques éditeurs de dimensions plus importantes qui publient encore régulièrement de la poésie. Dans l’impossibilité de les citer tous, devant le risque d’être injuste en oubliant telle ou telle maison, je mettrai l’accent sur la maison Flammarion et sa remarquable collection Poésie, dirigée par Yves di Manno. Ensuite je pense que les maisons d’édition se répartissent un peu en fonction des nombreux courants qui traversent la poésie française, depuis une poésie de facture plutôt classique, voire lyrique, jusqu’aux avant-gardes qui sont également très actives. On peut citer parmi ses maisons actives et dans des genres très différents Al Dante, Le Clou dans le Fer, Cheyne Éditeur, Obsidiane, l’Amourier, l’Amandier, La Différence, José Corti, L’Atelier La Feugraie, Dernier Télégramme. Certaines maisons plus généralistes publient aussi régulièrement de la poésie comme La Table Ronde, Champ Vallon, Verdier ou P.O.L. Et de nouvelles maisons voient aussi le jour, comme celle que vient de créer Bruno Doucey, après la disparition regrettée des Éditions Seghers qu’il dirigeait. Il y a donc une vie foisonnante de ce milieu.

La poésie est parfois jugée marginale. Le Printemps de la poésie est la manifestation phare. En existe-t-il d'autres ? 

F.T: Il y a à la fois quelques grandes manifestations qui fédèrent le monde de la poésie et une multitude de petits évènements qui ont aussi un très grand rôle à jouer. Le Marché de la poésie est incontestablement un temps fort, mais plusieurs festivals et de nombreuses initiatives attestent aussi d’une forme de vitalité de la poésie. Le salon de la Revue de Paris, à l’automne, est aussi un moment important pour la poésie, car celle-ci trouve refuge dans les revues qui sont très souvent les premières à publier tel ou tel poète français encore inconnu, ou tel poète étranger, très connu ailleurs, encore inconnu en France. Il faudrait citer également tous ceux qui organisent des évènements réguliers autour de la poésie, les libraires par exemple, comme Tschann et Le Divan et bien d’autres à Paris, Kléber à Strasbourg, etc. Certains aussi multiplient les initiatives et souvent inventent de nouvelles formes de diffusion de la poésie comme Marc Blanchet, Jérôme Mauche, Marc Delouze, Jacques Fournier à la Maison de la Poésie de Saint Quentin en Yvelines. Une action me parait assez exemplaire par son niveau d’exigence mais aussi par son ouverture, c’est celle de la Maison de la Poésie de Nantes, sous la houlette de Jean-Pascal Dubost.

Les poètes et les artistes entretiennent des rapports très étroits. Pouvez-vous revenir sur cet aspect de la poésie?

F.T: De tous temps les arts et la poésie ont cheminé ensemble et je tiens que certains des plus beaux textes sur la peinture sont l’œuvre de poètes ! Et les textes des poètes sont les supports privilégiés de ce qu’on appelle les livres d’artiste. Un secteur qui peut lui aussi sembler un peu marginal mais qui continue à produire de très belles réalisations. On en voit en général quelques-unes au Marché de la poésie comme par exemple les créations d’Anik Vinay pour l’Atelier des Grames. Pour ma part, invitée à cette soirée du 16 juin, j’ai choisi de rapprocher des poètes étrangers et leurs traducteurs. Trois poètes étrangers seront présents, l’américaine Rachel Blau DuPlessis, l’italien Carlo Bordini et je l’espère l’allemand Reiner Kunze. Les peintres, les graveurs, les dessinateurs sont souvent très présents dans les livres de poésie (ainsi pour citer ici encore un seul exemple, parmi tant d’autres, le livre Plaie d’Antoine Emaz, publié chez Tarabuste, est ponctué d’encres de Djamel Meskache qui jouent un vrai rôle dans la construction du livre). Les revues aussi jouent beaucoup sur le dialogue peintres et poètes, de manière souvent innovante. 

Quid de la poésie pour les enfants? Aimeriez-vous parler de quelques auteurs en particulier?

F.T: Sur ce sujet que je ne connais que très incomplètement, je voudrais citer toutefois le remarquable travail entrepris par le Centre de Création pour l’Enfance de Tinqueux, près de Reims avec notamment la publication de la revue Dans la Lune, « garantie garantie 100 % décarêmélisée.» animée par la poète Valérie Rouzeau. Elle me semble parmi les rares initiatives à avoir trouvé un ton et une exigence susceptibles de mettre la poésie à la portée des plus jeunes.

En savoir plus

Retrouver la revue de Florence Trocmé sur : http://poezibao.com

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