BD : «Le Printemps suivant- Après la pluie »

Margaux Motin : « Je poursuis mon autofiction en remontant le cours de mes émotions »

Margaux Motin, la célèbre autrice de BD poursuit son autofiction avec Après la pluie (Casterman), le tome 2 de sa série : Le Printemps Suivant. Celle qui n'a pas son pareil pour interroger les états d'âme des jeunes femmes modernes a mûri. Son dessin aussi. Les lecteurs aiment cette introspection qui n'a rien perdu de son humour. Rencontre avec une super-nana des années 2000.

Margaux Motin © studio Marie B - Casterman

Légende photo : Margaux Motin © studio Marie B - Casterman

Les femmes des années 70 se sont incarnées en Claire Bretécher. Celles des années 2000 se retrouvent en Margaux Motin. Les Frustrés ont fait place à de joyeuses trentenaires qui de La tectonique des plaques au Printemps suivant racontent la vie d'une jeune femme qui court après le bonheur en s'écorchant au relief du réel. Quand les premières étaient désabusées, la deuxième tempête, tape du pied, part en croisade, mais ne renonce jamais. Quand les unes étaient foncièrement urbaines, l'autre se révèle chantre d'une nature magicienne, s'émerveillant devant une fleur ou un coucher de soleil. 

Femmes des années 2000

Quelques décennies sont passées par là. Les femmes font aujourd'hui entendre leur voix. Même si elles ne se sentent pas toujours écoutées. Une communauté de fidèles lectrices suivent avec passion le moindre croquis de Margaux Motin, trouvant en elle une de leur sœur de cœur, qui sait saisir en un croquis leur humeur du moment. Elles partagent son rire et ses questionnements qui épousent ceux de l'époque sur le couple, la famille, les enfants, le lien avec le paysage, l'énergie du vivant... 

Scènes de la vie conjugale entre humour et poésie

Dans ce deuxième tome du Printemps suivant, la trentenaire en colère revient plus apaisée, après quelques remises en question et un zest de développement personnel. Dans Après la pluie, avec sa couverture jaune soleil qui claque, Margaux Motin croque ses petits et grands bonheurs, ses émerveillements et ses agacements (quand même). Dans l'album, on retrouve les scènes d'une vie conjugale et familiale. Le trait de Margaux se fait plus affirmé. Ses personnages se déploient de plus en plus dans leur environnement, comme si la BD devenait le storyboard d'un film et que les personnages n'existaient plus seulement par et pour eux-mêmes. Derrière l'humour toujours présent, Margaux Motin laisse émerger sa verve poétique. A l'instar de son maître Myazaki dont les dessins animés comme le Voyage de Chihiro sont pour elle une source infinie d'inspiration. Avec son compagnon et complice Pacco, lui aussi auteur de bandes dessinées, l'autrice est partie vivre au pays basque. Tous deux y ont trouvé un équilibre des contraires qui font osciller les cycles de la lune et du vent. Et cela se sent. Il fleure dans Après la pluie un air de brise marine et de nature joyeuse.
Nous retrouvons Margaux Motin dans les locaux de son éditeur Casterman. Avec son sourire qui respire le grand air de l'Atlantique et sa chevelure lâchée, elle ressemble à une Princesse Mononoké des collines basques. Rencontre. 

Légende photo : Margaux Motin présente son dernier livre avec sa couverture aux couleurs du soleil : Le printemps suivant- Après la pluie

Viabooks : Le Printemps suivant, c'est un peu votre narration au long cours ?

-Margaux Motin : Après la pluie succède à Vent lointain qui composent les deux tomes de Le printemps suivant. J'ai quitté le récit immédiat du blog ou d'un album simple, pour une narration longue en effet, avec davantage d'introspection et la possibilité de tourner autour de mon personnage. Je me suis lancée dans une véritable autofiction en images et en mots. Je remonte le cours de ma vie avec dix ans d'écart à peu près, ce qui me donne le recul suffisant pour l'humour et la hauteur de vue. Quand je me retourne, je mesure le chemin parcouru. Après la pluie, on annonce déjà le soleil, non ?

Avec vos yeux d'aujourd'hui, comment regardez-vous votre héroïne, qui ressemble beaucoup à celle que vous étiez il y a quelques années ?

-M.M. : Je la trouve attachante ! Je sais par quoi je suis passée. J'éprouve de la tendresse pour celle que j'étais. Dans le Tome 1 je m'étais montrée sans complaisance, un peu exaspérante même si touchante. Dans le Tome 2, je me regarde comme quelqu'un qui commence à prendre conscience des choses, qui a peur de perdre son compagnon et qui accepte de sortir de ses habitudes. Je la regarde et je lui trouve plus de densité. Les lectrices me le disent : en lisant le Tome 2, elles sourient, mais elles trouvent aussi le fruit d'une réflexion. D'une transformation en profondeur. J'aime cette idée de divertir en laissant transparaître du fond.

Ce travail coïncide aussi avec une évolution de votre dessin. Une démarche volontaire ?

-M.M.: Ma technique de dessin a évolué, car le temps long m'a invité à composer une énorme quantité de dessins et à élargir le sujet des planches. J'ai eu envie de travailler davantage les arrière-plans, de donner leur pleine place aux décors, de m'exposer à des zones de dessin qui étaient alors inexplorées pour moi. J'ai construit avec plus de complexité le déroulement des images et leur fonction narrative. C'est tout l'intérêt de l'exercice finalement. Au fur et à mesure que mon personnage évolue, son univers s'agrandit, il donne plus de place aux autres et à son environnement. Le dessin exprime donc cette transformation par la forme aussi. 


Légende photo : Deux pages extraites de la BD de Margaux Motin

Parmi ces évolutions, il y a la place que vous donnez à la nature. Un vrai retour aux sources ?

-M.M.: J'ai grandi en pleine nature, au cœur de la campagne normande. Mon grand-père était éleveur de moutons. En allant m'installer au pays basque avec Pacco après avoir habité Paris, j'ai retrouvé cette sève originelle. Je ne pourrais plus m'en passer. Sur mon Instagram je partage régulièrement des dessins qui expriment mon rapport avec la magie de la nature. 

Vous évoquez souvent l'admiration que vous avez pour Miyazaki. Allez-vous jusqu'à investir cette nature d'une âme comme les japonais ?

-M.M.:  Les dessins animés de Miyazaki montrent la présence d'un environnement vivant et poétique. Et la culture japonaise est animée de cette conception presque sacrée du lien avec la nature. Je ressens qu'il existe une grande puissance émotionnelle qui nous nourrit dans la contemplation du vivant au sens large. Depuis que je vis au pays basque, je trouve un lien entre la mer et la montagne qui est très fort et très ancré dans la culture locale. Plus que jamais aujourd'hui, il est important de respecter et d'entretenir la richesse du monde. 

Vous mettez en scène votre compagnon Pacco. Il est aussi votre complice en création et vice versa. C'est cela votre secret, être un couple de co-créateurs ?

-M.M.: Nous sommes complémentaires. Pacco par sa connaissance des scénarios et du cinéma m'influence dans ma construction narrative. De mon côté, j'ai une capacité à donner une forme visuelle immédiate qui  apporte un élan vers la représentation juste. Nous communiquons beaucoup sur nos projets respectifs et nous nous accompagnons mutuellement. Nous avons trouvé notre manière de vivre ensemble et de mêler nos regards. Cela nous rend heureux et nous aide certainement à nous renouveler et à avancer ensemble.

Les prochains défis ? 

-M.M.: Il faut que je digère ! Ce travail a été très impliquant dans la durée. J'ai besoin de reprendre un peu mon souffle. J'ai envie de croquer du temps court comme mes instantanés d'Insta. Pour les grands projets on va attendre un peu !

> Margaux Motin, Le printemps suivant. Tome 2 : Après la pluie. Casterman, 144 pages, 22 euros. Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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