Lauréat des prix Castel et Transfuge

«La troisième main» d'Arthur Dreyfus, la conscience des ombres

Après avoir reçu le prix Transfuge, Arthur Dreyfus reçoit le prix Castel pour son livre La Troisième Main (P.O.L.). Une fresque sombre qui flirte avec le réalisme fantastique à la Edgar Poe. Récit de la vie d'un soldat de la guerre de 1914, blessé par un bombardement, auquel un médecin va greffer un troisième bras dans le ventre. Cette troisième main deviendra sa force et sa perdition. Elle plongera aussi le lecteur dans un effroi déliquescent.

Il y avait foule chez Castel lors de la remise du prix décerné le 15 novembre dernier par le célèbre club de la rue Princesse à Arthur Dreyfus pour son livre La Troisième Main (P.O.L.). Une foule qui mélangeait habilement people, écrivains, éditeurs et journalistes. L'auteur du pléthorique Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui (P.O.L.) change de registre avec cette somme de près de 500 pages. On l'aura compris, le trublion des lettres branchées a la phrase alerte, mais il écrit long. Ce récit se lit à la lueur de la bougie, comme pour y exhumer les reflets d'une fresque du début du XXe siècle, sur fond de Première guerre mondiale. Le lecteur plonge dans un effroi déliquescent, avec ce récit rempli de rebondissements.

Un récit semi fantastique, éclairé par les lueurs obscures du fantôme d'Edgar Poe

Avec La Troisième Main, Arthur Dreyfus sort de l'auto contemplation et se révèle auteur d'une histoire qui  explore les rives du conte fantastique et réaliste, en s'inspirant d'Edgar Poe ou d'Oscar Wilde. Son  héros au nom double de Paul ou Charles selon, se voit greffer un autre membre ayant appartenu à un soldat allemand, du nom de Hans. Une triple oscillation qui transforme le personnage en individu multiple qui n'arrive plus à dire «je», mais «nous». Un questionnement identitaire qui renvoie à la complexité de chaque individu. «Je» est un «autre». Et même plusieurs autres. 

Journal d'un garçon monstrueux

Ecrit sous la forme d’un journal romanesque, La Troisième Main est un conte mélodramatique et gothique. Revenons sur l'articulation du roman. Pendant la guerre de 1914, à Besançon, un adolescent est pris sous un bombardement. Il est recueilli et soigné par un médecin qui entend expérimenter sur des blessés une technique révolutionnaire de greffes de membres, le jeune homme se réveille avec, greffé à l’abdomen, un bras et une troisième main qui appartenaient à un soldat allemand. Il réussit à s’enfuir des griffes de ce nouveau « docteur Frankenstein » et erre sur les routes entre la France et l’Allemagne en dissimulant sa monstruosité. Cependant, cette troisième main perverse, toxique et criminelle se révèle utile, grâce à la dextérité augmentée, qu'elle lui accorde. Arthur Dreyfus met en scène les aventures de Paul/Charles/Hans, depuis son mariage raté jusqu'à sa vocation dans un cabaret où il excelle dans les tours de prestidigitation (Arthur Dreyfus a aussi pratiqué la magie avant de devenir écrivain). Libertinage et débauche sont au rendez-vous des plaisirs décuplés du héros, jusqu'à sa plongée dans une tragique descente aux enfers. Cette Troisième Main nous conduit avec lui jusqu'au bout de la nuit de la vie.

La part d'ombre et ses talents cachés

Comme l'a expliqué Arthur Dreyfus lors de sa remise de prix  : « D'où m'est venue l'idée de la Troisième main ? Sans doute en référence à ma conscience d'être homosexuel lorsque j'avais 15 ans. J'ai mis ensuite vingt ans à dépasser la douleur de cette différence. Dans mon roman, cette Troisième main qui est un membre supplémentaire chez mon héros, le rend d'un côté difforme, mais lui accorde aussi des pouvoirs supplémentaires. Sa troisième main est celle de la créativité. Elle dessine, elle joue Bach, elle est virtuose. Mais elle révèle aussi la part d'ombre du personnage. Finalement, dans mon livre je tente de répondre à cette question : comment vivre avec les forces obscures qui nous traversent? »

Une obscurité flamboyante qui a séduit le jury du prix Castel composé d'Emma Becker, Claire Berest, Vincent Darré, Étienne Gernelle, Eva Ionesco, Marc Lambron, Justine Lévy, Tobie Nathan, Jean-Noël Pancrazi et Gaël Tchakaloff.

>Arthur Dreyfus, La Troisième Main, (P.O.L.), 496 pages, 24 € >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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