VOYAGE, VOYAGES

  • Année de publication : 2023
  • Genres :
    Fiction
  • Nombre de page : 246 pages
  • Prix éditeur : 20,00 €
  • ISBN : 2494282128
  • Source : Amazon

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Les avis sur ce livre (1)

Les avis

Le 19 mai, 2023 - 16:02

 

 


 

 

 

 

Christine SCHNEIDER

 

 

 

VOYAGE,

 

VOYAGES

 

 

 

 

 

Éditions Il Est Midi

 

 

 

 

 

 

 


 


 

A Julie, Izia, Eve, Vincent, Joëlle, Fatime, Jérémie, Philippe... et tous ceux qui m'ont aidée et soutenue dans l'écriture de ce roman.


 

1. CHRIS - VOYAGE VOLE


 

Le roulis régulier de la voiture finit par me bercer totalement. Je m’abandonne contre l’oreiller que j’ai glissé entre la portière et le côté droit de mon visage, afin de m’accorder une petite incursion dans ma vie intérieure. Laisser Jo gérer la route, ou plutôt l’autoroute sur laquelle nous filons à bonne allure. Je sais qu’elle conduit bien, elle me l’a prouvé lors des longues heures de voyage que nous avons déjà partagées en discutant.

Alors je plonge de plus en plus dans mes abysses personnels, et tandis que mon corps se laisse aller presque complètement, je sens que la voiture ralentit et Jo me lance avec douceur :

« On s’arrête cinq minutes sur l’aire d’autoroute, je vais faire tes petites courses et boire un café, je reviens. T’inquiète, j’ai pris ton sac pour payer avec tes espèces comme tu l’as dit ! »

Puis la portière se claque précautionneusement, et je poursuis ma chute dans mon autre monde.

Mon autre monde où je me revois en Afrique, les vagues de l’océan tapent en rythme contre le mur de ma petite maison, une légère brise fait onduler la moustiquaire autour de mon lit. Je sens le parfum de l’encens et j’entends au loin le bruit de la musique sur la plage, le temps semble figé dans une éternité rassurante…

Dire ce qui a fini par me réveiller est difficile. Sans doute une manière de conduire qui ne produit pas le ronron habituel, qui interpelle trois secondes avant de replonger dans les limbes du sommeil. Et puis… oui une odeur particulière qui sollicite le cerveau où il erre, une senteur indéfinissable, ni odeur corporelle, ni parfum à proprement parler. Et là…

J’ouvre les yeux pour voir le paysage défiler derrière la vitre… normal en voyage ! Mais une nouvelle inspiration odorante me fait tourner la tête côté conducteur, et pousser, hurler même, de stupeur !

Quand nous sommes parties hier toutes les deux avec mon amie Jo, notre objectif était de nous offrir quelques bonnes journées entre copines, loin de chez nous, au soleil. Avec si possible - et c’est ça qui avait guidé notre route - des churros à tremper dans notre café le lendemain. C’est Jo qui avait lancé l’idée en rigolant, et je l’avais prise au mot. Dans le décor, il nous fallait aussi la mer, des bons petits restaus et le tissage de notre relation amicale.

Même en se connaissant finalement peu, un principe de confiance assez immédiat s’était créé entre nous. On avait envie toutes les deux d’une bonne escapade, et c’était le moment où jamais. J’aimais bien sa silhouette juvénile et un peu fragile, son regard de biche et son petit visage de chat, ses cheveux joliment argentés. Mais aussi son humour ciselé, ses valeurs. Depuis hier, nous n’avions fait que discuter, sans arrêt, pour constater que nous avions plein de choses à partager. C’était chouette, le voyage s’annonçait cool.

Alors, quand je tourne la tête vers elle en sortant de mon sommeil juste lâché, un cri monte direct de mes tréfonds. Je me suis endormie auprès de ma copine et je me réveille pour voir ça ! A côté de moi au volant, c’est une silhouette massive, au profil aquilin, qui me lance un regard rapide. Le son jaillit de moi sans que je puisse le contrôler. J’ose espérer trois secondes que je vais me réveiller, mais la stridence de mon propre cri m’assure que non, c’est bien la réalité. Putain mais qu’est-ce qu’il fout là celui-là ?

Trente-six scenarii se bousculent dans ma tête, en n’osant bouger tant je suis pétrifiée de surprise. C’est qui ce mec ? On va où ? Il m’a kidnappée ? C’est peut-être un fou ? Un évadé de prison ? … je dois faire quoi là ??

Il a bien compris que sa présence au volant crée un remous inhabituel dans la vie de cette femme qui dormait là à côté de lui. Elle vient de l’apercevoir ; apparemment, cette vision n’est pas une bonne surprise pour elle. Il sait que quelque chose ne tourne pas rond, pas rond du tout même. Que probablement il ne devrait pas être là… mais pour être où ??

Sa voisine n’ose maintenant plus bouger ; il constate dans son immobilité exagérée qu’elle a peur ! Qu’elle est même terrifiée. Le cri strident a pris fin, c’est un soulagement pour les tympans. Il la voit se redresser d’un coup, et éloigner son corps le plus possible vers la portière, sans le lâcher des yeux jamais.

Il la regarde et se rend compte que cette femme est sans doute sexagénaire, qu’elle a des yeux verts perçants et des cheveux auburn. Il sait qu’il ne doit pas quitter la route malgré tout ce qui peut arriver.

Je ne comprends pas ce qu’il fout là ni ce qu’il me veut ! Et où est Jo ? Depuis combien de temps suis-je enfermée avec ce type dans ma propre voiture ? Je pense à mon portable qui n’est pas sur le tableau de bord devant moi et que je ne sens pas dans mes poches, merde il est où ? Je jette un coup d’œil à l’inconnu qui envahit mon espace et trouve le courage de hurler, plus que je ne voudrais d’ailleurs !

« Mais vous êtes qui ??? » tout en craignant une réaction virulente voire violente de sa part.

Pourtant il regarde la route et ne m’accorde même plus un coup d’œil, comme si je n’existais pas. Alors je m’enhardis et crie encore un peu plus fort :

« Vous faites quoi là ??? ».

Et n’obtiens pas davantage de réaction. Purée ce que ça m’énerve !!! Je le regarde maintenant sans retenue. Difficile de lui donner un âge, une tête peu ordinaire mais avec de la beauté, sans doute pas très grand, des fringues simples et classes. Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ?

Je reprends mon questionnement tout haut, cette fois en le suppliant presque :

« Mais vous êtes qui ? Et on va où là ??? » sans le faire ciller le moins du monde. J’ai envie de le frapper ou le secouer pour qu’il me réponde, mais pas non plus envie qu’il perde le contrôle du véhicule, ou s’énerve après moi, on ne sait jamais. Je voudrais JUSTE COMPRENDRE CE QUI EST EN TRAIN DE SE PASSER ! …

 

 

 

 

 

 

 


  2. JO - VOYAGE STATIQUE


 

Jo apprécie de sortir de la voiture pour respirer un peu, marcher même quelques pas et inspirer profondément après toute cette conduite. Elle sait que Chris est à moitié endormie et qu’elle peut aller boire un café tranquillement. La machine lui en sert un petit mais bien chaud et bien serré, ses voisins parlent en espagnol, ça sent les vacances.

Après avoir fini son gobelet et être passé acheter quelques bricoles que son amie lui a demandé de lui prendre au prochain arrêt, elle met tout cela dans le grand sac coloré et sort. Le soleil a fait son apparition, elle est heureuse d’être ici en Espagne comme elles en ont rêvé toutes les deux.

Elle s’éloigne de la station essence pour se rendre au parking, et se met à ressentir un certain malaise à sa vue. Quelque chose ne colle pas dans le paysage qui se présente à elle, quelque chose qui manque… mais OÙ EST LA VOITURE ??? Elle se dit qu’elle a dû se tromper et regarde autour d’elle le manège des automobiles qui arrivent et repartent dans un grand ballet savamment orchestré. Zut, où a-t-elle bien pu la garer, la petite Skoda blanche ? … Elle revient sur ses pas en se disant qu’elle n’a pas dû prendre la bonne sortie…

Et constate qu’il n’y en a qu’une et qu’elle avait bien garé la voiture juste à gauche en sortant, dans le premier parking où… il n’y a PAS de voiture blanche. Elle avance jusqu’à l’emplacement dont elle se souvient et regarde partout, tout autour d’elle et même plus loin en se déplaçant un peu, mais ses pas la ramènent toujours là, sur cette place de parking vide. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Une grosse envie de pleurer lui monte aux yeux. Elle s’assoit mollement sur le bord du trottoir et réfléchit.

Peut-être que Chris s’est réveillée et est allée faire le plein d’essence ? Ou laver les vitres ? Elle jette un coup d’oeil du côté des pompes, y va même … pas d’automobile claire à l’horizon ! Retourne au parking. Sans doute va-t-elle revenir bientôt ; il n’y a qu’à patienter ici. Le cou tendu du côté où les voitures arrivent, elle scrute chaque véhicule dans l’espoir de voir enfin le blanc tant attendu. Mais le temps passe et rien ne se passe.

Et le portable ??? … Elle aurait dû y penser plus tôt ! Elle va l’appeler et tout rentrera dans l’ordre ! C’est lorsqu’elle réalise que le sac pendu à son épaule n’est pas le sien mais celui de son amie, que le malaise la reprend. Bien sûr, dedans, il y a le téléphone de Chris et toutes ses affaires, mais pas son portable à elle !... Resté dans la voiture ! Zut ! Remontée de larmes dans les yeux. Bon on se calme, on respire, elle va arriver. Puis Jo se dit qu’elle va appeler son propre téléphone avec le sien ! Voilà une idée qu’elle est bonne !

Elle attrape le portable de Chris qui surnage au fond du grand sac dans un océan d’objets variés. L’allume et… constate qu’il lui demande un code qu’elle ne connait pas. Oh non, cette fois c’est foutu ! Elle réalise qu’elle n’a pas ses papiers, mais ceux de Chris… dont elle ne connait pas non plus le code de la carte bleu. Pour appesantir encore son désespoir, elle percute qu’elle ne connait par cœur aucun numéro d’un de ses proches, même pas celui de son mari, vu qu’ils sont tous enregistrés dans les contacts…

Dans le portefeuille de son amie, elle trouve les 15,50 euros en espèce qu’elle a mis tout à l’heure à la caisse. Mince, on ne va pas loin avec ça… et pourtant, elle décide de s’acheter à boire en attendant le retour de Chris. Elle se sent de plus en plus mal même si son esprit essaie encore de trouver des explications… et, une fois n’est pas coutume, l’idée d’un liquide puissant dans sa bouche lui fait envie.

En marchant vers le bar, et en constatant qu’elle attend depuis plus d’une heure, elle voit arriver une idée que sa raison refloue immédiatement. C’est en attrapant une bouteille de quelque chose de fort et pas trop cher, qu’elle finit par laisser s’insinuer la pensée que Chris a pu se barrer et la planter là ! … Non, impossible !!!

Elle retourne attendre dehors car rester dedans lui est intenable. Ses jambes flageolent un peu alors qu’elle n’a bu que deux grandes gorgées de cet alcool infâme, brûlant. Mais pour elle qui n’en boit que rarement, ça fait déjà beaucoup. Repère un banc en bois, avec une table en planches, et s’y laisse tomber avec soulagement, d’autant qu’il est pile poil en face de cette place de parking vide ! Une gorgée plus tard, elle admet avec elle-même l’idée qu’elle ne connait pas grand-chose de cette Chris après tout !! Qu’elle a effectivement pu se barrer et la planter là !!

Elles s’étaient rencontrées bien des années auparavant, sur les bancs d’un Master qu’elles fréquentaient à mi-temps toutes les deux. Tout ce temps avait passé depuis sans qu’elles ne se revoient ni même ne pensent l’une à l’autre. Le hasard d’une rencontre récente avait permis que Jo reconnaisse Chris et qu’elles renouent. Elles avaient vite été ensemble comme deux vieilles amies qui se redécouvrent ; mais finalement, que sait-elle véritablement de Chris ?

Son cœur butte sur les raisons de son amie pour se sauver ainsi. Non franchement, ça ne colle pas avec ce qu’elle a perçu de cette femme-là. Ou alors quelque chose lui échappe… Et si Chris avait eu un accident… Faut-il prévenir la police ? Elle se rappelle que c’est possible en faisant le 117 en France et même avec un téléphone bloqué, mais ici ? Elle pense aussi aux caméras de vidéosur­veillance. Il suffirait peut-être de demander à la boutique…

Puis elle s’imagine faire ce type de demande sans pouvoir montrer ses papiers, en baragouinant un français le plus hispanisé possible…de toute façon se dit-elle, ils appelleront la police… ça va prendre des plombes… il faudrait que ce soit moi qui aille directement à la police… Elle a soudain conscience qu’il y aurait sans doute quelque chose de plus pertinent à faire, mais ne voit pas quoi, paralysée qu’elle est par l’incongruité des événements…

La colère s’insinue à la suite du doute, comme un prolongement normal de sa situation inexplicable. Pour une raison inconnue mais sans doute majeure, Chris a foutu le camp et l’a plantée là, comme dans un mouvement de vengeance incompréhensible, ou de farce de très mauvais goût… ou alors avec un certain sadisme… Elle a un sentiment de vertige et de rage peu négociable, et donnerait n’importe quoi pour ne pas être à sa place !

Elle a soudain la vision qu’elle est en train d’errer dans cette insipide aire d’autoroute tout comme elle erre dans sa vie ordinaire. Qu’elle est en attente d’une délivrance de la même manière qu’elle attend dans sa vie de tous les jours que quelque chose ou quelqu’un vienne la délivrer de l’impasse dans laquelle elle se trouve… et dans son couple, et dans sa réalisation personnelle. Que tout ce qui lui arrive là n’est que le piètre symbole de son existence depuis trop longtemps…

Alors qu’il ne reste plus grand-chose dans la bouteille, et que son espoir de revoir la Skoda diminue comme le soleil à l’horizon, deux grandes jambes franchissent le banc en face du sien, de l’autre côté de la table. Suivies d’un grand corps vêtu d’un manteau vert, et d’un sourire de mec, qui a l’air d’emblée très sympa sous son bonnet rouge. Puis deux autres jambes plus fines, s’installent à leur tour sous le minois d’une femme au style vestimentaire presque théâtral.

Lui aussi d’ailleurs, se dit Jo dans un relent d’ivresse naissante, on dirait qu’il sort d’une comédie musicale ! Et sur la table en bois qui les réunit, ils posent tous deux des bouteilles qui ressemblent à celle de Jo en tout point, ce qui les fait éclater de rire ensemble. Jo se dit qu’ils ont probablement la moitié de son âge, mais que leur attitude là, à ce moment-là envers elle, est exactement ce dont elle a besoin. Deux êtres comme un don du ciel à qui elle va pouvoir expliquer sa situation et enfin, peut-être, savoir quoi et comment faire !

 

(...)

 

 

 

 

Christine SCHNEIDER

 

 

 

VOYAGE,

 

VOYAGES

 

 

 

 

 

Éditions Il Est Midi

 

 

 

 

 

 

 


 


 

A Julie, Izia, Eve, Vincent, Joëlle, Fatime, Jérémie, Philippe... et tous ceux qui m'ont aidée et soutenue dans l'écriture de ce roman.


 

1. CHRIS - VOYAGE VOLE


 

Le roulis régulier de la voiture finit par me bercer totalement. Je m’abandonne contre l’oreiller que j’ai glissé entre la portière et le côté droit de mon visage, afin de m’accorder une petite incursion dans ma vie intérieure. Laisser Jo gérer la route, ou plutôt l’autoroute sur laquelle nous filons à bonne allure. Je sais qu’elle conduit bien, elle me l’a prouvé lors des longues heures de voyage que nous avons déjà partagées en discutant.

Alors je plonge de plus en plus dans mes abysses personnels, et tandis que mon corps se laisse aller presque complètement, je sens que la voiture ralentit et Jo me lance avec douceur :

« On s’arrête cinq minutes sur l’aire d’autoroute, je vais faire tes petites courses et boire un café, je reviens. T’inquiète, j’ai pris ton sac pour payer avec tes espèces comme tu l’as dit ! »

Puis la portière se claque précautionneusement, et je poursuis ma chute dans mon autre monde.

Mon autre monde où je me revois en Afrique, les vagues de l’océan tapent en rythme contre le mur de ma petite maison, une légère brise fait onduler la moustiquaire autour de mon lit. Je sens le parfum de l’encens et j’entends au loin le bruit de la musique sur la plage, le temps semble figé dans une éternité rassurante…

Dire ce qui a fini par me réveiller est difficile. Sans doute une manière de conduire qui ne produit pas le ronron habituel, qui interpelle trois secondes avant de replonger dans les limbes du sommeil. Et puis… oui une odeur particulière qui sollicite le cerveau où il erre, une senteur indéfinissable, ni odeur corporelle, ni parfum à proprement parler. Et là…

J’ouvre les yeux pour voir le paysage défiler derrière la vitre… normal en voyage ! Mais une nouvelle inspiration odorante me fait tourner la tête côté conducteur, et pousser, hurler même, de stupeur !

Quand nous sommes parties hier toutes les deux avec mon amie Jo, notre objectif était de nous offrir quelques bonnes journées entre copines, loin de chez nous, au soleil. Avec si possible - et c’est ça qui avait guidé notre route - des churros à tremper dans notre café le lendemain. C’est Jo qui avait lancé l’idée en rigolant, et je l’avais prise au mot. Dans le décor, il nous fallait aussi la mer, des bons petits restaus et le tissage de notre relation amicale.

Même en se connaissant finalement peu, un principe de confiance assez immédiat s’était créé entre nous. On avait envie toutes les deux d’une bonne escapade, et c’était le moment où jamais. J’aimais bien sa silhouette juvénile et un peu fragile, son regard de biche et son petit visage de chat, ses cheveux joliment argentés. Mais aussi son humour ciselé, ses valeurs. Depuis hier, nous n’avions fait que discuter, sans arrêt, pour constater que nous avions plein de choses à partager. C’était chouette, le voyage s’annonçait cool.

Alors, quand je tourne la tête vers elle en sortant de mon sommeil juste lâché, un cri monte direct de mes tréfonds. Je me suis endormie auprès de ma copine et je me réveille pour voir ça ! A côté de moi au volant, c’est une silhouette massive, au profil aquilin, qui me lance un regard rapide. Le son jaillit de moi sans que je puisse le contrôler. J’ose espérer trois secondes que je vais me réveiller, mais la stridence de mon propre cri m’assure que non, c’est bien la réalité. Putain mais qu’est-ce qu’il fout là celui-là ?

Trente-six scenarii se bousculent dans ma tête, en n’osant bouger tant je suis pétrifiée de surprise. C’est qui ce mec ? On va où ? Il m’a kidnappée ? C’est peut-être un fou ? Un évadé de prison ? … je dois faire quoi là ??

Il a bien compris que sa présence au volant crée un remous inhabituel dans la vie de cette femme qui dormait là à côté de lui. Elle vient de l’apercevoir ; apparemment, cette vision n’est pas une bonne surprise pour elle. Il sait que quelque chose ne tourne pas rond, pas rond du tout même. Que probablement il ne devrait pas être là… mais pour être où ??

Sa voisine n’ose maintenant plus bouger ; il constate dans son immobilité exagérée qu’elle a peur ! Qu’elle est même terrifiée. Le cri strident a pris fin, c’est un soulagement pour les tympans. Il la voit se redresser d’un coup, et éloigner son corps le plus possible vers la portière, sans le lâcher des yeux jamais.

Il la regarde et se rend compte que cette femme est sans doute sexagénaire, qu’elle a des yeux verts perçants et des cheveux auburn. Il sait qu’il ne doit pas quitter la route malgré tout ce qui peut arriver.

Je ne comprends pas ce qu’il fout là ni ce qu’il me veut ! Et où est Jo ? Depuis combien de temps suis-je enfermée avec ce type dans ma propre voiture ? Je pense à mon portable qui n’est pas sur le tableau de bord devant moi et que je ne sens pas dans mes poches, merde il est où ? Je jette un coup d’œil à l’inconnu qui envahit mon espace et trouve le courage de hurler, plus que je ne voudrais d’ailleurs !

« Mais vous êtes qui ??? » tout en craignant une réaction virulente voire violente de sa part.

Pourtant il regarde la route et ne m’accorde même plus un coup d’œil, comme si je n’existais pas. Alors je m’enhardis et crie encore un peu plus fort :

« Vous faites quoi là ??? ».

Et n’obtiens pas davantage de réaction. Purée ce que ça m’énerve !!! Je le regarde maintenant sans retenue. Difficile de lui donner un âge, une tête peu ordinaire mais avec de la beauté, sans doute pas très grand, des fringues simples et classes. Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ?

Je reprends mon questionnement tout haut, cette fois en le suppliant presque :

« Mais vous êtes qui ? Et on va où là ??? » sans le faire ciller le moins du monde. J’ai envie de le frapper ou le secouer pour qu’il me réponde, mais pas non plus envie qu’il perde le contrôle du véhicule, ou s’énerve après moi, on ne sait jamais. Je voudrais JUSTE COMPRENDRE CE QUI EST EN TRAIN DE SE PASSER ! …

 

 

 

 

 

 

 


  2. JO - VOYAGE STATIQUE


 

Jo apprécie de sortir de la voiture pour respirer un peu, marcher même quelques pas et inspirer profondément après toute cette conduite. Elle sait que Chris est à moitié endormie et qu’elle peut aller boire un café tranquillement. La machine lui en sert un petit mais bien chaud et bien serré, ses voisins parlent en espagnol, ça sent les vacances.

Après avoir fini son gobelet et être passé acheter quelques bricoles que son amie lui a demandé de lui prendre au prochain arrêt, elle met tout cela dans le grand sac coloré et sort. Le soleil a fait son apparition, elle est heureuse d’être ici en Espagne comme elles en ont rêvé toutes les deux.

Elle s’éloigne de la station essence pour se rendre au parking, et se met à ressentir un certain malaise à sa vue. Quelque chose ne colle pas dans le paysage qui se présente à elle, quelque chose qui manque… mais OÙ EST LA VOITURE ??? Elle se dit qu’elle a dû se tromper et regarde autour d’elle le manège des automobiles qui arrivent et repartent dans un grand ballet savamment orchestré. Zut, où a-t-elle bien pu la garer, la petite Skoda blanche ? … Elle revient sur ses pas en se disant qu’elle n’a pas dû prendre la bonne sortie…

Et constate qu’il n’y en a qu’une et qu’elle avait bien garé la voiture juste à gauche en sortant, dans le premier parking où… il n’y a PAS de voiture blanche. Elle avance jusqu’à l’emplacement dont elle se souvient et regarde partout, tout autour d’elle et même plus loin en se déplaçant un peu, mais ses pas la ramènent toujours là, sur cette place de parking vide. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Une grosse envie de pleurer lui monte aux yeux. Elle s’assoit mollement sur le bord du trottoir et réfléchit.

Peut-être que Chris s’est réveillée et est allée faire le plein d’essence ? Ou laver les vitres ? Elle jette un coup d’oeil du côté des pompes, y va même … pas d’automobile claire à l’horizon ! Retourne au parking. Sans doute va-t-elle revenir bientôt ; il n’y a qu’à patienter ici. Le cou tendu du côté où les voitures arrivent, elle scrute chaque véhicule dans l’espoir de voir enfin le blanc tant attendu. Mais le temps passe et rien ne se passe.

Et le portable ??? … Elle aurait dû y penser plus tôt ! Elle va l’appeler et tout rentrera dans l’ordre ! C’est lorsqu’elle réalise que le sac pendu à son épaule n’est pas le sien mais celui de son amie, que le malaise la reprend. Bien sûr, dedans, il y a le téléphone de Chris et toutes ses affaires, mais pas son portable à elle !... Resté dans la voiture ! Zut ! Remontée de larmes dans les yeux. Bon on se calme, on respire, elle va arriver. Puis Jo se dit qu’elle va appeler son propre téléphone avec le sien ! Voilà une idée qu’elle est bonne !

Elle attrape le portable de Chris qui surnage au fond du grand sac dans un océan d’objets variés. L’allume et… constate qu’il lui demande un code qu’elle ne connait pas. Oh non, cette fois c’est foutu ! Elle réalise qu’elle n’a pas ses papiers, mais ceux de Chris… dont elle ne connait pas non plus le code de la carte bleu. Pour appesantir encore son désespoir, elle percute qu’elle ne connait par cœur aucun numéro d’un de ses proches, même pas celui de son mari, vu qu’ils sont tous enregistrés dans les contacts…

Dans le portefeuille de son amie, elle trouve les 15,50 euros en espèce qu’elle a mis tout à l’heure à la caisse. Mince, on ne va pas loin avec ça… et pourtant, elle décide de s’acheter à boire en attendant le retour de Chris. Elle se sent de plus en plus mal même si son esprit essaie encore de trouver des explications… et, une fois n’est pas coutume, l’idée d’un liquide puissant dans sa bouche lui fait envie.

En marchant vers le bar, et en constatant qu’elle attend depuis plus d’une heure, elle voit arriver une idée que sa raison refloue immédiatement. C’est en attrapant une bouteille de quelque chose de fort et pas trop cher, qu’elle finit par laisser s’insinuer la pensée que Chris a pu se barrer et la planter là ! … Non, impossible !!!

Elle retourne attendre dehors car rester dedans lui est intenable. Ses jambes flageolent un peu alors qu’elle n’a bu que deux grandes gorgées de cet alcool infâme, brûlant. Mais pour elle qui n’en boit que rarement, ça fait déjà beaucoup. Repère un banc en bois, avec une table en planches, et s’y laisse tomber avec soulagement, d’autant qu’il est pile poil en face de cette place de parking vide ! Une gorgée plus tard, elle admet avec elle-même l’idée qu’elle ne connait pas grand-chose de cette Chris après tout !! Qu’elle a effectivement pu se barrer et la planter là !!

Elles s’étaient rencontrées bien des années auparavant, sur les bancs d’un Master qu’elles fréquentaient à mi-temps toutes les deux. Tout ce temps avait passé depuis sans qu’elles ne se revoient ni même ne pensent l’une à l’autre. Le hasard d’une rencontre récente avait permis que Jo reconnaisse Chris et qu’elles renouent. Elles avaient vite été ensemble comme deux vieilles amies qui se redécouvrent ; mais finalement, que sait-elle véritablement de Chris ?

Son cœur butte sur les raisons de son amie pour se sauver ainsi. Non franchement, ça ne colle pas avec ce qu’elle a perçu de cette femme-là. Ou alors quelque chose lui échappe… Et si Chris avait eu un accident… Faut-il prévenir la police ? Elle se rappelle que c’est possible en faisant le 117 en France et même avec un téléphone bloqué, mais ici ? Elle pense aussi aux caméras de vidéosur­veillance. Il suffirait peut-être de demander à la boutique…

Puis elle s’imagine faire ce type de demande sans pouvoir montrer ses papiers, en baragouinant un français le plus hispanisé possible…de toute façon se dit-elle, ils appelleront la police… ça va prendre des plombes… il faudrait que ce soit moi qui aille directement à la police… Elle a soudain conscience qu’il y aurait sans doute quelque chose de plus pertinent à faire, mais ne voit pas quoi, paralysée qu’elle est par l’incongruité des événements…

La colère s’insinue à la suite du doute, comme un prolongement normal de sa situation inexplicable. Pour une raison inconnue mais sans doute majeure, Chris a foutu le camp et l’a plantée là, comme dans un mouvement de vengeance incompréhensible, ou de farce de très mauvais goût… ou alors avec un certain sadisme… Elle a un sentiment de vertige et de rage peu négociable, et donnerait n’importe quoi pour ne pas être à sa place !

Elle a soudain la vision qu’elle est en train d’errer dans cette insipide aire d’autoroute tout comme elle erre dans sa vie ordinaire. Qu’elle est en attente d’une délivrance de la même manière qu’elle attend dans sa vie de tous les jours que quelque chose ou quelqu’un vienne la délivrer de l’impasse dans laquelle elle se trouve… et dans son couple, et dans sa réalisation personnelle. Que tout ce qui lui arrive là n’est que le piètre symbole de son existence depuis trop longtemps…

Alors qu’il ne reste plus grand-chose dans la bouteille, et que son espoir de revoir la Skoda diminue comme le soleil à l’horizon, deux grandes jambes franchissent le banc en face du sien, de l’autre côté de la table. Suivies d’un grand corps vêtu d’un manteau vert, et d’un sourire de mec, qui a l’air d’emblée très sympa sous son bonnet rouge. Puis deux autres jambes plus fines, s’installent à leur tour sous le minois d’une femme au style vestimentaire presque théâtral.

Lui aussi d’ailleurs, se dit Jo dans un relent d’ivresse naissante, on dirait qu’il sort d’une comédie musicale ! Et sur la table en bois qui les réunit, ils posent tous deux des bouteilles qui ressemblent à celle de Jo en tout point, ce qui les fait éclater de rire ensemble. Jo se dit qu’ils ont probablement la moitié de son âge, mais que leur attitude là, à ce moment-là envers elle, est exactement ce dont elle a besoin. Deux êtres comme un don du ciel à qui elle va pouvoir expliquer sa situation et enfin, peut-être, savoir quoi et comment faire !

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A propos de l'auteur
Christine SCHNEIDER
Christine Schneider est née en France en 1959. Elle a fait toute sa carrière dans le domaine pédagogique. Elle est notamment...

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