Les éditions Allia publient ce court poème de William Blake, peintre et surtout poète mystique anglais qui a enflammé la littérature avec une mythologie à la puissance évocatrice incontestable. Comme l'indique son titre, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer dresse un pont entre le texte sacré et le récit apocryphe, empruntant aussi bien à la fable philosophique qu'à la mythologie païenne. Et fait boire au lecteur, en quelques lignes, le pur nectar du spirituel.
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Comment aborder l'immensité de l'Être suprême, sans réduire son aura à quelques formules bien pensées, ou à une poignée de préceptes dogmatiques? Probablement une question théologique qui tourmenta William Blake une bonne partie de son existence: né en 1757, il proclame à trente ans All Religions Are One (Toutes les religions sont une), sa première oeuvre, et publie en 1794 Le Mariage du Ciel et de l'Enfer, recueil de poésie en prose qui entremêle une vision mystique et une sorte d'appel au dénuement métaphysique. « une crête flamboyante apparut au-dessus des vagues; lentement elle se dressa comme une chaîne de rochers dorés, jusqu'à ce que se découvrent à nos yeux deux globes d'un feu cramoisi, d'où la mer se retirait en nuages de fumée; et nous vîmes alors que c'était la tête de Léviathan. »: côté évocation monstrueuse (comme à la fin du Phèdre de Racine), nous voilà servis. Démons, anges, « énormes araignées », le bestiaire est complet et personnel: dès le début du texte, un certain Rintrah, incarnant la colère du prophète, « fait claquer ses flammes dans l'air alourdi ». Blake n'aura de cesse de développer cette imagerie (n'oublions pas qu'il était peintre), notamment dans Les Visions des Fils d'Albion. Pallèlement, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer invite à une contemplation sensuelle et naïve, dans son acception la plus noble, de la création divine, incarnée dans « [l]es yeux du feu, les narines de l'air, la bouche de l'eau, la barbe de la terre. »
Grande différence entre William Blake et la plupart des théologistes de l'époque: il aime sa condition d'homme. En jouisseur averti (« L'Energie est la seule vie et elle vient du corps, et la Raison est la limite ou circonférence extérieure de l'Energie. »), Blake partage avec son lecteur quelques « Proverbes de l'Enfer », parmi lesquels le grandiose « Où l'homme fait défaut, la nature est stérile. »: humaniste, William Blake? S'il n'est pas puritain (comme son prédécesseur John Milton, convaincu que l'homme doit servir son créateur de la façon la plus humble), Blake soutient que l'homme n'est homme que dans la cas où il « est honnête » et ne résiste pas « à son génie ou à sa conscience ». Le Mariage du Ciel et de l'Enfer est d'ailleurs une satire de l'oeuvre d'un théologien suédois, Emanuel Swedenborg, mystique "illuminé" par ses rencontres avec les anges et Jésus-Christ. Si Johnny Depp occupe la couverture de l'édition du Mariage... des éditions Allia, ce n'est pas seulement pour son visage angélique et son allure d'ours diabolique, mais parce que le film Dead Man de Jim Jarmusch reprenait de nombreux éléments de la vision de Blake, en les transposant dans un Far-West inhospitalier: à la fin du long-métrage, Depp s'éloigne sur un frèle esquif, balloté sur une rivière. Peu importe le temps de l'errance, tant que le dénouement est sincèrement dépouillé.
Il y a encore un aspect de l'oeuvre de William Blake qui n'appartient nettement qu'à lui-même, et qui a inspiré de nombreux artistes et penseurs à sa suite. En 1954, Aldous Huxley rédige Les Portes de la Perception, un essai sur les drogues psychédéliques. Il précise que le titre est tiré d'un vers célèbre: « Si on nettoyait les portes de la perception, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est - infinie. », extrait du... Mariage du Ciel et de l'Enfer, signé William Blake. Et les Doors eux-mêmes sont redevables à l'écrivain du XVIIIème. Alors, William Blake, mystique drogué? « à l'aide de ces corrosifs qu'en Enfer on tient pour salutaires et pleins de vertus médicinales, en dissolvant les surfaces apparentes et en révélant l'infini qui s'y tenait caché. » écrit le poète, constituant ainsi sans le savoir la légende acide de son texte. Mais, plutôt que de voir dans Le Mariage du Ciel et de l'Enfer une apologie, il serait plus juste de le considérer comme un salutaire et sublime guide métaphysique, délicieusement charnel et sensuel, pour s'élever et... consommer la lune de miel.
William Blake, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer, Allia
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