Li-Kim LUU
RÉCIT D'UN MICROCOSME
Éditions Il Est Midi
À Mamie, Li-Ha, Li-Hua, Delphine, Danièle, Alice
et Mathieu
J'ai un flash. Un moment fugace sur une plage. La vision de cinq paires de pieds enfoncées dans le sable. Avions-nous fait l'aller-retour dans la même journée ? Le soleil m'éblouissait, ce même trouble rend aujourd'hui encore ce souvenir flou – le mélange de chaleur et d'air marin parfaisait cet instant de bien-être partagé.
Mon seul souvenir de vacances en famille.
Vers douze ans, j'ai soudainement éprouvé une hantise envers les serial killers, les kidnappeurs d'enfants. Mon père me faisait peur mais je me disais...
Il trouve extraordinaire, même dans l’ordinaire de son existence quotidienne, de sentir le sol sous ses pieds, et le mouvement de ses poumons qui s’enflent et se contractent à chaque respiration, de savoir qu’il peut, en posant un pied devant l’autre, marcher de là où il est à l’endroit où il veut aller. Il trouve extraordinaire que, certains matins, juste après son réveil, quand il se penche pour lacer ses chaussures, un flot...
Je me demande alors quelle est cette chose que nous appelons mort. Je ne parle pas du mystère de la mort, que je ne puis pénétrer, mais de la sensation physique de cesser de vivre. L'humanité a peur de la mort, mais de façon incertaine ; un homme normal se bat bien à l'armée, et c'est bien rarement qu'un homme normal, vieux ou malade, contemple avec horreur l'abîme de ce néant qu'il attribue à ce même abîme. Tout cela par manque...
Dans un immeuble proche de la rue Saint-Lazare, un long couloir conduit, au fond d'un appartement sombre transformé en siège d'association, au petit bureau de Marie-Laure Guislain, Babaka Tracy Mputu et Sara Brimbeuf, à l'œuvre en plein été. La première est juriste, doit avoir un peu moins de trente-cinq ans alors et travaille pour l'association depuis quelques années. Les deux autres n'ont pas vingt-cinq ans, sont élèves avocates et...
Si vous allez pour la première fois chez Artinos, on a dû vous prévenir qu'il était impossible d'y trouver une table sans avoir réservé. On a dû vous raconter la mésaventure survenue à d'importantes personnalités égyptiennes ou étrangères : estimant qu'Artinos était un restaurant comme les autres, elles s'y étaient rendues sans prévenir. Le propriétaire Georges Artinos s'était excusé poliment mais fermement puis il leur avait...
Qui suis-je ? Je réponds : je suis un être humain. C'est mon substantif. Mais j'ai plusieurs adjectifs, d'importance variable selon les circonstances ; je suis français, d'origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel, citoyen du monde, enfant de la Terre-Patrie. Peut-on être tout cela en même temps ? Non, cela dépend des circonstances et des moments où tantôt l'une tantôt une...
Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. Comme il portait beau, par nature et par pose d'ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d'un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s'étendent comme des coups d'épervier. Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois...
Peut-être qu'une partie de moi ne s'est jamais remise du miracle d'être une femme. La façon dont les hommes me regardent m'a donné envie de me regarder. Je me suis aimée. J'ai laissé les hommes faire de moi leur créature, j'ai appris d'eux tout ce que je suis. Ça ne m'a jamais contrecarrée, puisque je leur plaisais. Que je parlais leur langage. On pourrait appeler ça une mentalité d'esclave heureuse, peut-être. C'est assez peu...
J'ai relu les livres cinquième et sixième des Misérables. Victor Hugo y décrit la traversée nocturne de Paris que font Cosette et Jean Valjean, traqués par Javert, depuis le quartier de la barrière Saint-Jacques jusqu'au Petit Picpus. On peut suivre sur un plan une partie de leur itinéraire. Ils approchent de la Seine. Cosette commence à se fatiguer. Jean Valjean la porte dans ses bras. Ils longent le Jardin des Plantes par les rues...
La guerre ! J'ignore pourquoi j'ai répondu « la guerre » quand Sophie, la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe, m'a demandé pour quelles raisons mes résultats du dernier trimestre étaient si catastrophiques. Elle a insisté : « La guerre ? » J'ai répété : « Oui, la guerre. » Je n'allais quand même pas avouer que je n'avais rien foutu, que j'étais un tire-au-flanc qui passait son temps à rêvasser et à...