Il vit seul au troisième étage d'un vieil immeuble en brique sans vue sur le ciel. Quand il regarde par la fenêtre, il ne voit que sa fenêtre à elle – de l'autre côté de l'étroite ruelle, presque à portée de main, où elle vit seule, elle aussi, au troisième étage d'un autre vieil immeuble. Il ne connaît pas son prénom, ni elle le sien. Ils ne se sont jamais parlé. C'est l'hiver à Chicago.
Aucune lumière, ou presque, ne pénètre dans cette ruelle qui les sépare, ni d'ailleurs aucune pluie, neige, grésil, brouillard, ou ce truc mouillé, vaguement craquant, que les gens d'ici appellent mix hivernal. La ruelle est sombre et silencieuse, et la météo n'y change jamais. L'endroit semble n'avoir absolument aucune...
Où commence le voyage ? Dès mon plus jeune âge, un poète m’a incité à poser la question autrement : où et comment débute l’intention du voyage ? Oui, dans quel ruisseau ou filet d’eau prend-elle naissance ? Dans quelles pages de livre ou parfum de bazar l’élan vagabond vous incite-t-il à franchir le premier pas…
La poésie révèle le sens enseveli. Une phrase de Gérard de Nerval m’a très...
Les alliances ont la forme circulaire de l'univers. Une harmonie parfaite, à la seule condition d'être portées par deux personnes qui s'aiment plus que profondément, plus que sentimentalement, et infiniment plus que socialement.
Sans ces unions qui se font tous les jours, la sphère ne pourrait pas se former et ce serait le chaos. Mais il suffit de deux alliances et d'un amour vrai pour que tout soit préservé.
On peut dire également,...
Il trouve extraordinaire, même dans l'ordinaire de son existence quotidienne, de sentir le sol sous ses pieds, et le mouvement de ses poumons qui s'enflent et se contractent à chaque respiration, de savoir qu'il peut, en posant un pied devant l'autre, marcher de là où il est à l'endroit où il veut aller. Il trouve extraordinaire que, certains matins, juste après son réveil, quand il se penche pour lacer ses chaussures, un flot de bonheur...
Je me demande alors quelle est cette chose que nous appelons mort. Je ne parle pas du mystère de la mort, que je ne puis pénétrer, mais de la sensation physique de cesser de vivre. L'humanité a peur de la mort, mais de façon incertaine ; un homme normal se bat bien à l'armée, et c'est bien rarement qu'un homme normal, vieux ou malade, contemple avec horreur l'abîme de ce néant qu'il attribue à ce même abîme. Tout cela par manque...
Dans un immeuble proche de la rue Saint-Lazare, un long couloir conduit, au fond d'un appartement sombre transformé en siège d'association, au petit bureau de Marie-Laure Guislain, Babaka Tracy Mputu et Sara Brimbeuf, à l'œuvre en plein été. La première est juriste, doit avoir un peu moins de trente-cinq ans alors et travaille pour l'association depuis quelques années. Les deux autres n'ont pas vingt-cinq ans, sont élèves avocates et...
Si vous allez pour la première fois chez Artinos, on a dû vous prévenir qu'il était impossible d'y trouver une table sans avoir réservé. On a dû vous raconter la mésaventure survenue à d'importantes personnalités égyptiennes ou étrangères : estimant qu'Artinos était un restaurant comme les autres, elles s'y étaient rendues sans prévenir. Le propriétaire Georges Artinos s'était excusé poliment mais fermement puis il leur avait...
Qui suis-je ? Je réponds : je suis un être humain. C'est mon substantif. Mais j'ai plusieurs adjectifs, d'importance variable selon les circonstances ; je suis français, d'origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel, citoyen du monde, enfant de la Terre-Patrie. Peut-on être tout cela en même temps ? Non, cela dépend des circonstances et des moments où tantôt l'une tantôt une...
Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. Comme il portait beau, par nature et par pose d'ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d'un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s'étendent comme des coups d'épervier. Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois...
Peut-être qu'une partie de moi ne s'est jamais remise du miracle d'être une femme. La façon dont les hommes me regardent m'a donné envie de me regarder. Je me suis aimée. J'ai laissé les hommes faire de moi leur créature, j'ai appris d'eux tout ce que je suis. Ça ne m'a jamais contrecarrée, puisque je leur plaisais. Que je parlais leur langage. On pourrait appeler ça une mentalité d'esclave heureuse, peut-être. C'est assez peu...