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Nos coups de cœur de la rentrée littéraire de janvier 2018

Que nous reserve 2018 en terme de littérature ? Au programme de nombreuses têtes d'affiches et quelques découvertes. ​Cette rentrée sera forcement pleine de pépites et pourrait apporter quelques surprises. 498 nouveautés sont au programme, Viabooks a sélectionné pour vous ses 9 coups de coeur.

Philippe Forest, L’oubli, (Gallimard)

De quoi ça parle ? Un homme se réveille, convaincu d’avoir égaré un mot dans son sommeil, incapable de se le rappeler. Une idée s’insinue dans son esprit et prend bientôt l’allure d’une obsession : son langage se défait, sa vie se vide à mesure que les souvenirs se détachent de lui. Un homme – peut-être le même, peut-être un autre – observe l’océan depuis sa fenêtre. Une brume perpétuelle recouvre l’horizon, au loin il s’imagine distinguer une forme qui lui fait signe et qui l’appelle. L’histoire se dédouble – à moins qu’il ne s’agisse de deux histoires différentes dont demeure mystérieux le lien qui les unit. Tandis que les mots et la mémoire s’abîment dans un même précipice, l’univers recouvre amoureusement l’apparence splendide indispensable pour chacun au recommencement de l’existence.

Pourquoi on aime ? Dans la veine de ses deux précédents romans, Le chat de Schrödinger et Crue, le nouveau texte de Philippe Forest aborde des thèmes chers à l’auteur ; la mémoire et le souvenir. L’œuvre est construite de manière très rigoureuse avec d’un côté les chapitres impairs consacrés à l'écrivain, ses rêves et ses souvenirs, et de l’autre les chapitres pairs pour le narrateur, son île et sa rencontre. Au centre de L’oubli, le langage en perdition, la lecture et l’écriture. Chaque mot, chaque phrase doit retenir notre attention pour faire de cette lecture plus qu’un simple divertissement.

Pierre Lemaitre, Couleurs de l'incendie, (Albin Michel)

De quoi ça parle ? Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l'empire financier dont elle est l'héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d'un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement. Face à l'adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l'ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d'intelligence, d'énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d'autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l'incendie qui va ravager l'Europe.

Pourquoi on aime ? Avec « Couleurs de l’incendie », le romancier poursuit le feuilleton de l’entre-deux-guerres qui lui a valu le Goncourt en  2013, « Au revoir là-haut ». Si le tome précédent fut un succès, il est très probable que celui-ci suivra le même chemin. L’œuvre tient toutes ses promesses, et nous envoute complétement. Aussi haletant et bien écrit que le premier tome, les 530 pages défilent à une vitesse incroyable. Pierre Lemaitre nous plonge dans l'époque trouble des années trente et nous transmet sa passion de l'Histoire. Vivement le 3ième tome.

Philippe Delerm, Et vous avez eu beau temps ? La Perfidie ordinaire des petites phrases, (Seuil)

De quoi ça parle ? Est-on sûr de la bienveillance apparente qui entoure la traditionnelle question de fin d’été : « Et… vous avez eu beau temps ? » Surtout quand notre teint pâlichon trahit sans nul doute quinze jours de pluie à Gérardmer… Aux malotrus qui nous prennent de court avec leur « On peut peut-être se tutoyer ? », qu’est-il permis de répondre vraiment ? À la ville comme au village, Philippe Delerm écoute et regarde la comédie humaine, pour glaner toutes ces petites phrases faussement ordinaires, et révéler ce qu’elles cachent de perfidie ou d’hypocrisie. Mais en y glissant également quelques-unes plus douces, Delerm laisse éclater son talent et sa drôlerie dans ce livre qui compte certainement parmi ses meilleurs.

Pourquoi on aime ? A la manière de la Bruyère aux maximes cinglantes et désabusées, Philippe Delerm évoque les phrases-clés de la comédie humaine qui se glisse partout. Chez le boulanger, dans la rue, chez des amis, chez nous, elles sont universelles et nous concernent tous.  L’auteur revient à ses premières amours avec ce nouveau recueil qui analyse notre langue et ces petites phrases perfides et piquantes, bien que pas forcément conscientes. Pour chaque expression, Delerm révèle, sur deux à trois pages, leur sens caché, bien caché sous une fausse bienveillance. Cet exercice amusant pour le lecteur, invite à repenser, a la dernière fois où l’on a prononcé une de ces phrases.

Anne Dufourmantelle, Souviens-toi de ton avenir, (Albin Michel)

De quoi ça parle ? Tout à la fois épopée initiatique et roman philosophique, cette œuvre ultime d’Anne Dufourmantelle, magistrale et prémonitoire, nous mène aux confins du temps et de la terre. Deux quêtes s’y font écho, à des siècles de distance : quittant ses montagnes de l’Altaï, un roi mongol entreprend une expédition par-delà la Chine et l’océan Pacifique jusqu’aux rives de l’Equateur tandis que, de nos jours, un groupe de chercheurs, fasciné par son périple, tente d’en reconstituer le récit.

Pourquoi on aime ? Le 21 juillet dernier, Anne Dufourmantelle décédait après avoir usé de ses dernières forces pour ramener des enfants qui s’étaient aventurés loin du bord alors que la mer était mauvaise. Ce roman, devenu posthume, les lecteurs inconditionnels de l’auteure y  cherchent un sens. L’histoire, comme une prémonition, est celle d’un message lancé à travers les siècles. D’un bord à l’autre du monde, entre le XIVè et le XXIè siècle, ce roman fascine, captive et trouble tout à la fois. Ces deux intrigues, à sept siècles de distance, s’alternent de chapitre en chapitre avec une grande justesse. Le lecteur plonge à corps perdu dans ces histoires et voyage aisément dans le temps.  

Ivan Jablonka, En camping-car, (Seuil)

De quoi ça parle ? « Le camping-car nous a emmenés au Portugal, en Grèce, au Maroc, à Tolède, à Venise. Il était pratique, génialement conçu. Il m’a appris à être libre, tout en restant fidèle aux chemins de l’exil. Par la suite, j’ai toujours gardé une tendresse pour les voyages de mon enfance, pour cette vie bringuebalante et émerveillée, sans horaires ni impératifs. La vie en camping-car. »

Pourquoi on aime ? A travers son récit de voyage autour d’un motif ; le camping-car, Ivan Jablonka nous parle d’une époque marquée de la fin des années 60 jusqu’aux années 80 par un vent de liberté. L’auteur retrace via son récit personnel, l'histoire de cette atmosphère générationnelle si particulière, qui a eu énormément d’écho dans le tourisme (naissance du Guide du Routard, lancement de "Terre d'aventures", etc) et qui s’oppose au voyages de masse organisés. Cette œuvre, qui dénote dans le paysage littéraire habituel d’Ivan Jablonka, est également une manière pour l’auteur de se pencher sur sa propre enfance avec ses yeux d’historien.

Cécile Ladjali, Bénédict, (Actes Sud)

De quoi ça parle ? Bénédict, enfant d’une mère iranienne et d’un pasteur suisse, a grandi entre l’Orient et l’Occident, bercé par la poésie soufie et le souffle de l’Apocalypse, debout au milieu des contraires. Plus tard, devenu Maître Laudes pour ses étudiants, professant la littérature comparée à l’université de Lausanne et, un semestre sur deux, à celle de Téhéran, son enseignement singulier et sa mystérieuse personne inspirent passions et sentiments contradictoires à son public. C’est aussi que Bénédict semble une figure provocante, éminemment androgyne, affranchie des contraintes de sa naissance, prosélyte d’une parole de tolérance et de résistance, qui fait résonner dans les amphithéâtres des mots de liberté, ceux d’une révolution culturelle à conduire, ceux d’un monde où s’effacerait la dramatique et douloureuse séparation entre les sexes.

Pourquoi on aime ? Avec cette dernière œuvre Cécile Ladjali propose un récit à la forme parfaite et polie qui met en avant un fond dérangeant. Bénédict interroge les identités fixes et embrasse les genres, tout en refusant l’image lisse et normée que la société lui assigne. Les oppositions sont au centre de l’œuvre ; blanc et noir, masculin et féminin, Suisse et Iran, calme et révolution. Le lecteur passe sans cesse entre ces inversions, du négatif au positif. Toutes ces oppositions traduisent de l’authenticité des combats intérieurs que mènent Bénédict et ceux qui l’entourent. Homme-femme, Occident-Orient, la romancière porte un personnage androgyne, et explore les entre deux avec justesse.

Yanick Lahens, Douces déroutes, (SW Editeur)

De quoi ça parle ? À Port-au-Prince, la violence n’est jamais totale. Elle trouve son pendant dans une « douceur suraiguë », douceur qui submerge Francis, un journaliste français, un soir au Korosòl Resto-Bar, quand s’élève la voix cassée et profonde de la chanteuse, Brune. Le père de Brune, le juge Berthier, a été assassiné, coupable d’être resté intègre dans la ville où tout s’achète. À l’annonce de la mort de ce père qui lui a appris à « ne jamais souiller son regard », la raison de sa fille a manqué basculer. Six mois après cette disparition, tout son être refuse encore de consentir à la résignation. Son oncle Pierre n’a pas non plus renoncé à élucider ce crime toujours impuni. Après de longues années passées à l’étranger, où ses parents l’avaient envoyé très jeune – l’homosexualité n’était pas bien vue dans la petite bourgeoisie –, il vit reclus dans sa maison, heureux de rassembler ses amis autour de sa table les samedis.

Pourquoi on aime ? Avec Douces déroutes, Yanick Lahens propose une intrigue haletante. La romancière haïtienne se sert de l’enquête pour montrer comment survit Haïti, une île aux mains de criminels avec un système politico-économique dicté par la corruption. Le lecteur s’attache aux personnages tous aussi diffèrents les uns que les autres. L’auteure donne la voix aux habitants de Port-au-Prince, les pauvres, les riches mafieux, la fille du juge, un jeune poète ou un avocat ambitieux. Au rythme d’une écriture rapide, elle dévoile peu à peu ces hommes et ces femmes avec une véritable tendresse.

Colombe Schneck, Les guerres de mon père, (Stock)

De quoi ça parle ? « Quand j’évoque mon père devant ses proches, bientôt trente ans après sa mort, ils sourient toujours, un sourire reconnaissant pour sa générosité. Il répétait, il ne faut laisser que des bons souvenirs. Il disait aussi, on ne parle pas des choses qui fâchent. À le voir vivre, on ne pouvait rien deviner des guerres qu’il avait traversées. J’ai découvert ce qu’il cachait, la violence, l’exil, les destructions et la honte, j’ai compris que sa manière d’être était un état de survie et de résistance. Quand je regarde cette photo en couverture de ce livre, moi à l’âge de deux ans sur les épaules de mon père, je vois l’arrogance de mon regard d’enfant, son amour était immortel. Sa mort à la sortie de l’adolescence m’a laissée dans un état de grande solitude. En écrivant, en enquêtant dans les archives, pour comprendre ce que mon père fuyait, je me suis avouée, pour la première fois, que nous n’étions pas coupables de nos errances en tout genre et que, peut-être, je pouvais accepter d’être aimée. »

Pourquoi on aime ? Les guerres de mon père est un récit touchant. L’auteure parle d’elle et de son père. Elle cherche des réponses, mène une enquête scrupuleuse sur les zones d’ombre, sur l’identité de cet homme, sur ce qui le faisait avancer,  ce père qu’elle admirait tant. Des questions sont posées, il était temps pour elle d’interroger ceux qui restent, de fouiller les archives pour trouver des réponses. Le récit est en deux parties. D’un côté les guerres traversées par son père, qui décidait de garder le meilleur dans sa vie. De l’autre la quête d’information d’une fille qui cherche à passer à autre chose, à s’autoriser d’être heureuse. Très documentée, cette œuvre est bouleversante et touchante.

Christophe Bigot, Autoportrait à la guillotine, (Stock)

De quoi ça parle ? « Longtemps, j’ai cru que j’avais été guillotiné dans une vie antérieure. Cet aveu a toutes les allures d’une énormité, je sais. Tout ce que je puis dire à ma décharge est que ma croyance est révolue – quoiqu’elle fasse encore partie de moi. Il y a quinze ans, souffrant de problèmes de dos, j’ai consulté sur le conseil d’une amie un masseur versé en sophrologie. Tout en me pétrissant les lombaires, il m’a questionné sur mon passé. Avec une certaine réticence, j’ai évoqué cette croyance déjà ancienne. Lui a pris la chose très au sérieux. Aussi sec, il m’a parlé d’une patiente qui ressentait des douleurs aiguës entre les omoplates. Elles s’expliquaient, à l’en croire, par des coups de poignard reçus au xve siècle, alors que la dame était assaillie par des Ottomans en plein marché. J’ai trouvé ça exotique. Poétique, presque. En même temps, je me suis retenu de rire. Quand il est question de moi, hélas, je suis incapable de la même légèreté. »

Pourquoi on aime ? Avec ce cinquième livre, Christophe Bigot laisse la fiction de côté pour se livrer à l’étiologie. L’auteur ne se plonge pas dans l’Histoire en quête d’anecdote sur la Révolution. Ici le héros, c’est lui. C’est ici une psychanalyse couchée sur papier, il nous parle de lui, de sa vie et de ses failles. On vagabonde dans son âme, au travers de l’Histoire et de la bastille, qui a une certaine importance pour lui. Cependant Christophe Bigot ne se morfond pas. Il tient le lecteur en haleine car visiblement, la révolution de Christophe Bigot ne s’arrêtera pas là.

 

Delphine de Vigan, Les loyautés, (J. C. Lattès)

De quoi ça parle ? «Chacun de nous abrite-t-il quelque chose d'innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, antipathique, se révèlerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe ? »

Pourquoi on aime ? Que ce soit dans le couple ou dans les relations amicales, Delphine de Vigan explore la loyauté en donnant la parole à une multitude de personnages. Une sincérité se dégage continuellement dans tous ces écrits et permet de nous offrir un panel de protagonistes criant de vérité. Derrière eux se cachent la solitude, le mensonge et la souffrance. Par son style, fluide et simple, l’auteure parvient à créer un lien entre les personnages et le lecteur, voir même une identification. Ce roman, évoquant toutes ces maltraitances invisibles, fait partie de ces livres qu’on n’oublie pas et qu’on referme le cœur lourd.

 

Olivier Bourdeaut, Pactum Salis, (Finitude)

De quoi ça parle ? Très improbable, cette amitié entre un paludier misanthrope, ex-Parisien installé près de Guérande, et un agent immobilier ambitieux, prêt à tout pour « réussir ». Le premier mène une vie quasi monacale, déconnecté avec bonheur de toute technologie, tandis que le second gare avec fierté sa Porsche devant les boîtes de nuit. Liés à la fois par une promesse absurde et par une fascination réciproque, ils vont passer une semaine à tenter de s‘apprivoiser, au cœur des marais salants.

Pourquoi on aime ? Le contraire est décidément un thème qui attire Olivier Boudreaut. Après la mère déjantée et contradictoire d’En attendant Bojangles, il revient cette fois avec Jean et Michel, deux personnages diamétralement opposés. Le lecteur se prend d’affection pour ces hommes exubérants et suit avec un certain enthousiasme leurs aventures. Le style à la fois unique et burlesque, qui nous avait tellement plu dans le premier roman d’Olivier Bourdeaut, surgit de nouveau dans ces pages, au vocabulaire foisonnant, et prouve son talent incontestable. Laissez-vous entraîner par ce dernier roman où l'on retrouve tout l'humour des mots et la poésie, dont on a besoin en ces mois d’hiver. Une vraie réussite pour ce second roman, qui sait poser son univers avec force sans asubir les ombres du précédent succès, En attendant Bojangles. Et qui laisse entrevouir ce qu'est "la petite musique" Bourdeault : nostalgie et vibration sensible. Ce pacte du sel laisse dans notre mémoire une trace forte.

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