Chronique d'Agnès Séverin

« Ma vie avec Gérard de Nerval » d’Olivier Weber: de la poésie lumineuse à la mélancolie créatrice

La littérature peut-elle changer votre vie ? Á chacun de répondre. Dans « Ma vie avec Gérard de Nerval », le romancier et ancien reporter de guerre Olivier Weber, témoigne comment une citation aide à trouver sa voie. Celle du voyage, de la poésie et de la rencontre. 

La littérature peut-elle changer votre vie ? Á chacun de répondre. Le romancier et ancien reporter de guerre témoigne dans un essai en forme de confessions comment une citation aide à trouver sa voie. Celle du voyage, de la poésie et de la rencontre.

La poésie comme défi à la gravité. Le romancier, ancien ambassadeur et reporter de guerre, président du Prix Joseph Kessel et membre du jury du Prix Albert Londres, Olivier Weber cite souvent dans ces œuvres son mantra : « Je voyage pour vérifier mes rêves. »

De Gérard de Nerval, il parle non comme d’un mentor, mais d’un frère. Un frère d’âme pourrait-on dire en employant l’expression d’Edgar Morin. Celui qui écrit dans la préface d’Aurélia : « J'affectai la joie et l’insouciance, je courus le monde, follement épris de la variété du caprice ».

La voie de l’Orient

C’est à la lecture de la poésie de Gérard de Nerval que l’auteur de La Bataille des anges a trouvé la voie de l’Orient, de l’élan du voyage et du désir de rencontre comme moyen d’échapper à la mélancolie. Celui qui a  oserait-on dire écrit - Sous l’œil de l’archange, cultive, sous l’œil de Nerval, la mélancolie créatrice. Il découvre « un horizon rêvé ». Il apprend à naviguer sur les mers intérieures « entre grand calme et tempête ». « Rêver entre les vagues vous force à surnager. », écrit-il.

Dans cet essai autobiographique, il est aussi question de Sehnschut, « la nostalgie des lendemains » chère à Goethe cette fois. Elle signifie à la fois « aspiration », « langueur » et « ardeur ». Rien d’étonnant, à la suite des horreurs de la Révolution, de la Terreur et des guerres napoléoniennes - qui battaient alors les records de morts de toute l’histoire des guerres-, que le désenchantement le dispute à l’idéal dans le cœur des romantiques. Chez Nerval s’ajoute « une nostalgie de l’absolu ». Formule magique.

Une histoire de la violence

C’est une histoire de la violence à laquelle nous convie Olivier Weber, lorsqu’il retrace l’existence de Gérard de Nerval. Elle fut marquée dès l’enfance par le deuil – sa mère meurt alors qu’il a deux ans en suivant son père médecin militaire accompagnant la Grande Armée dans le froid et la fureur de la Prusse Orientale (l’actuelle Pologne, où la guerre gronde à nouveau). « Il nous apprend que le rêve et l’amour sont toujours à portée de main et toujours évanescents, fragiles cocons de soie que viendrait détruire la moindre brise. »

Ce sentiment d’abandon leur est commun, Olivier Weber le confie ici, comme il l’a rarement fait. Cause de la poésie oblige !

La poésie, justement, qui « plâtre les béances, dans un éphémère crépi de chimères. Elle devient une fenêtre sur un monde de lumière quand tout vous semble ténèbres. Oui, un jour, il me faudrait voyager pour vérifier mes rêves. »

« Voyager pour vérifier mes rêves. »

« Météore romantique, poète surréaliste avant l’heure, homme de grand vent, être libre et esprit double à la patiente humilité et à la poursuite du rêve infini, Nerval a surgi dans ma vie à ce moment-là (…) ». Alors que l’auteur vit à l’orphelinat de Willerhof avec son frère. « Le vertige précoce donne des ailes. L’appât du vide finit par creuser des racines. J’ai reçu des coups et les ai rendus, ce qui m’a permis d’écrire des livres sous le feu et de dormir dans les tranchées. Survivre en milieu hostile vous lègue des semelles de vent et vous offre des gants de plomb. »

Une candeur aussi qu’il convient, le message est passé, de ne pas confondre avec la naïveté. Une capacité d’émerveillement, surtout, quant aux textes et aux êtres qui croisent le chemin de cet enfant devenu adulte avant ses dix ans.

Ce « désir des aurores improbables mais qui seront sans nul doute méritées. »Moins difficiles à atteindre, peut-être, pour les déshérités du cœur car « lorsque l’on n'a rien, la moindre pomme cueillie sur un arbre est un cadeau du ciel. »

« Lorsque l’on n'a rien, la moindre pomme cueillie sur un arbre est un cadeau du ciel ».

La littérature n’a pas à être engagée, c’est entendu. Mais elle est portée par une vision, qui peut être, soit salutaire, soit délétère. Avec toutes les nuances possibles et imaginables entre deux. Il est intéressant à cet égard de lire Les porteurs de lanterne de Robert Louis Stevenson – auteur et aventurier, travel writer. Ce petit opus engagé, non pas politiquement mais humainement, plaide pour une vision lumineuse et ouverte du monde. Son titre est éloquent.

« J’ai écrit dans des tranchées et des maquis furieux, en évoquant ses espérances, qui sont les miennes. Écrire pour rester debout, partir-revenir. Écrire pour faire entrer le printemps dans l’âme et le corps, abstraction faite du décor afin de mieux le réinventer ». Voici ce qu’entend continuer à faire Olivier Weber dans le sillage de Gérard de Nerval : « Repousser le rêve, voilà la vraie affaire de la vie ! Il s’agit d’en inventer d’autres, sitôt le dernier accompli. »

Préférer la poésie à l’idéologie

Il fait ce pari que « la poésie l’emportera toujours sur les idéologies. J’ai été vacciné assez tôt [c’est la différence avec Nerval qui connût les barricades]. Des idéologues patentés surgis des beaux quartiers ont revendiqué lors de ma jeunesse la révolution permanente. Il s’agit bien plutôt de pratiquer le doute permanent, contre toutes les certitudes, surtout lorsqu’elles sont mortifères. » Et voilà quelqu’un qui sait de quoi il parle en matière de crime et de barbarie. Olivier Weber est un porteur de lanterne.

> « Ma vie avec Gérard de Nerval » d’Olivier Weber. Collection « Ma vie avec... », Gallimard, 167 pages, 20 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien

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