L'auteure la plus flamboyante du XXème siècle a laissé derrière elle une œuvre brillante et précipitée, édifiant ouvrage après ouvrage une écriture sensible et personnelle. Le roman sera toujours son genre favori, mais elle poursuit son élan littéraire dans la rédaction de nouvelles, de pièces de théâtre, de chansons, de scénarios, avant de s'essayer elle-même à la réalisation cinématographique. Un parcours aléatoire, qui suit les désirs d'un « charmant petit monstre » , comme l'appelait François Mauriac. De Bonjour Tristesse à Toxique, Françoise Sagan ne fait qu'une avec son œuvre, et dessine les contours d'une métaphysique hédoniste.
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Il fallait bien le regard neuf et pénétrant d’un poète pour ouvrir l’œuvre de Françoise Sagan. « Adieu tristesse/Bonjour tristesse » chante Paul Valéry au début du court texte, extrait du recueil La vie immédiate, qui introduit le roman et lui donne son titre. Un poème qui fixe la ligne de conduite de la jeune Françoise Sagan : mue par une franchise littéraire qui lui est vitale, l’écrivain s’attache à rendre compte des désirs de ses personnages, qu’ils soient physiologiques ou psychologiques. Associée à une disposition de la plume à la légèreté et à la virtuosité, cette franchise surprend, dérange. En 1954, la publication de Bonjour tristesse par Julliard entraîne un véritable scandale. « Pour les trois quarts des gens, le scandale de ce roman, c'était qu'une jeune femme puisse coucher avec un homme sans se retrouver enceinte, sans devoir se marier. » se souvient Françoise Sagan dans un entretien publié dans L’Express en 2004. La jeune femme de 19 ans a fait preuve de sa franchise littéraire dans son premier ouvrage, 850 000 exemplaires vendus en un an, et s’est attiré les foudres d’une partie de la critique et du public pour des raisons purement morales, alors qu’elle renouvelle le lieu commun de l’amour en littérature.
Bonjour tristesse a l’audace du chef-d’œuvre : le roman rompt avec les conceptions traditionnelles, usées jusqu’à la corde, qui présentent l’amour comme un sentiment puissant, foudroyant, et capable de nous rendre étranger à nous-mêmes. Dans ce court roman, Françoise Sagan propose une vision d’un amour très rationnel qui échafaude des schémas détaillés pour parvenir à ses fins. « Je m’allongeai sur mon lit, je bâtis soigneusement un plan. » déclare la narratrice (alter ego ?) de Bonjour tristesse, avant de séparer son père de sa future épouse. L’amour, hypersensible, détecte tous les détails utiles à sa volonté logique et les inclut dans une combinaison machiavélique. « Bonjour tristesse », évidemment, puisqu’elle fait partie du plan : les sentiments disparaissent, plus pensés que ressentis. « Pour moi, le scandale dans cette histoire, c'était qu'un personnage puisse amener par inconscience, par égoïsme, quelqu'un à se tuer. » ajoutait l’auteur dans le même entretien de L’Express. « Amener à... », c’est bien le verbe de l’amour : il nous conduit à travers le labyrinthe du réel en nous montrant le chemin. Toute possibilité de passion est anéantie : il n’y a pas de surprise, d’inconcevable ou d’extraordinaire.
Trois années après ce succès considérable, la jeune femme a prouvé qu’elle n’était pas qu’un phénomène en poursuivant frénétiquement son parcours littéraire. Elle s’affiche sur les pages des journaux, participe à la vie artistique, choque encore à une ou deux reprises. Développe une attirance particulière pour la vitesse et les voitures élégantes. Et soudain, au cours de l’année 1957, un accident de voiture lui coûte presque la vie. Des fractures de la tête et du thorax lui infligent une douleur insupportable. Pour la soulager, les médecins lui donnent du Palfium 875, un produit similaire à la morphine. Un remède qui la laisse toxicomane au bout de trois mois. « J’adore écrire » déclare Françoise Sagan dans Toxique, le journal qu’elle tient pendant sa cure de désintoxication : loin du témoignage mélodramatique, l’ouvrage constitue un véritable exemple d'introspection littéraire.
Dans la mythologie grecque, celui qui est gratifié d’un don unique doit céder en l’échange de celui-ci un autre de ses sens : ainsi, L’Odyssée rapporte que la Muse avait ôté la vue à Démodocos, pour lui avoir « fait présent du merveilleux don du chant ». C’est un peu la même situation avec l’amour dans Bonjour tristesse : l’obtention de l’hypersensibilité retire la possibilité d’une « tranquillité de l’âme » et impose la culpabilité, froidement. Les paradis artificiels constituent une bulle d’oxygène où le don est neutralisé, ou au moins un peu étouffé. « Mon père ferma les volets, prit une bouteille dans le Frigidaire et deux verres. C’était le seul remède à notre portée » avoue la narratrice de Bonjour tristesse lorsqu’ils sont tous deux face aux conséquences de leurs actes. Malgré sa radicalité, le paradis artificiel est un moyen de survie en milieu trop logique.» ET aussi :t« La seule chose que je trouve convenable - si on veut échapper à la vie de manière un peu intelligente – c'est l'opium. » (Magazine Littéraire n°29, juin 1969) déclare Françoise Sagan. S’échapper de la vie « tracée » pour retrouver le goût doux et irremplaçable de la spontanéité.
La plume de Françoise Sagan se caractérise par son élégance et sa propension à considérer toute situation avec une distance critique particulière. C’est un style attentif à chaque détail, capable d’un détachement amusé qui révèle sans en avoir l’air la gravité des situations. Alors qu’elle lutte contre l’envie irrépressible de morphine, l’auteure écrit dans Toxique : « Il y avait longtemps que je n’avais pas vécu avec moi-même. C’est d’un effet curieux.» L’humour critique constitue le carburant qui fait fonctionner la grande machine du style de Sagan. Il y a dans cette vision particulière de l’auteure l’énergie et la nouveauté du regard poétique, celui qui permet d’apposer sur le « sentiment inconnu […] le nom, le beau nom grave de tristesse. »
>Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, éditions Pocket
> Françoise Sagan, Toxique, illustrations de Bernard Buffet, Le Livre de Poche
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