Chapitre 01 : Week-end écossais
Un vivifiant zéphyr souffle et rafraichit le front d’Edan. Le long de la côte abrupte, le soleil couchant dore de ses ultimes rayons les fracassantes vagues céruléennes de la mer déchainée.
Chargée de bagages pour le week-end, une Jaguar autonome traverse la campagne écossaise à un train d’enfer, propulsée par son formidable moteur à énergie X, invention du célèbre et non moins charismatique professeur Darchir Stein.
Le système audio intégré diffuse le tube endiablé « Never be a hero » des Yubbies, un groupe de pop-rock anglais en tête des ventes, cette année 2058. Réunis dans l’habitacle, confortablement installés sur les sièges en cuir, quatre vingtenaires londoniens se font face, Krystal Hay, Madison Kinnear, Edan Smith et Damian Gunn.
Madison, la benjamine, s’adresse à Andrew, l’intelligence artificielle du véhicule, et lui demande de bien vouloir zapper immédiatement le morceau acidulé en lecture. Sans attendre, Damian annule illico l’ordre émis et crie au sacrilège. Couper le meilleur groupe de l’année, voilà bien une idée de la petite rousse ! En guise de contre-attaque, il raille sa préférence pour les artistes du siècle dernier. Les oreilles échauffées, la jeune femme rétorque alors que concernant la musique, l’époque importe peu en matière de qualité, puis en profite pour le provoquer en le qualifiant subtilement d’« Audiojeuniste réfractaire ». Agacé, mais moqueur, il lui suggère finalement d’ajouter ce mot créé de toute pièce à la longue liste de son dictionnaire personnel d’inventions linguistiques !
En appuyant sur la commande pour fermer la vitre, Edan s’interpose pour interrompre le ping-pong verbal des audiophiles antagonistes. À son tour, il interroge Andrew, sans se soucier de la musique en cours, mais pour connaitre la durée restante du trajet. Une voix masculine, légèrement flegmatique, sort des enceintes et annonce précisément quarante-sept minutes avant l’arrivée à destination.
Le dialogue reprend entre la « petite rousse » aux vêtements colorés et le beau gosse élégant, cette fois le ton devient plus cordial :
- Et alors, comment ça se passe ton job, avec Rachid ?
Damian remet, nerveusement, sa montre en place et répond :
- Darchir, pas Rachid ! Ça se passe très bien, merci ! D’ailleurs si je vous ai invités ce week-end c’est pour vous
montrer quelque chose de fabuleux.
En cette saison, la lande écossaise apparait magistrale, le printemps revêt le paysage brumeux d’une lumière fantasmagorique et mystérieuse. Edan rêve, son esprit voyage hors du temps et s’échappe de la réalité. Cette facilité à s’extraire du monde, à s’en détacher, le caractérise depuis toujours.
À quoi pense-t-il ? Lui si discret, timide, presque effacé. Malgré leur proximité, il demeure le plus énigmatique des quatre, celui qui ne s’étend jamais sur sa vie, l’exact opposé de Madison. La jolie rousse ne manque jamais une occasion de parler, de décrire dans les moindres détails ses actions et de partager son point de vue, ce qui ulcère régulièrement Damian.
Avec bienveillance, Krystal observe le trio. Elle espère que ce week-end lui donnera la circonstance opportune, tant attendue, pour révéler son secret, même si ce moment la fait frémir, craignant surtout la réaction de son amour caché. Damian si beau, si sûr de lui, intelligent, cultivé, le parfait compagnon estime-t-elle. D’ailleurs, qui ne succomberait pas aux charmes du magnifique mister Gunn ?
Miss Kinnear, un brin provocatrice, titille à nouveau l’audiojeuniste réfractaire :
- Et c’est quoi ce truc fabuleux dont tu nous rabâches les oreilles depuis Londres ?
- Un prototype prêté par mon patron pour le week-end, il m’a demandé de faire des essais. Je me suis dit que l’occasion était parfaite, voilà un petit bout de temps que nous ne sommes pas partis ensemble, alors…