Abnousse Shalmani a remporté le prix Gisèle Halimi 2024, après avoir reçu le prix Simone Veil, pour son livre « J'ai péché, péché dans le plaisir» (Grasset). La remise de ce prix a eu lieu dans le très solennel Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a prononcé un discours d'introduction, suivi d'un autre par l'ancien premier ministre Gabriel Attal. Le choix de la lauréate, écrivaine d'origine iranienne qui dédie son œuvre à la défense de la liberté des femmes, sonne comme un hommage suprême à Gisèle Halimi, la grande avocate engagée. Abnousse Shalmani a répondu à nos questions.
Avec ses boucles, sa silhouette gracile et son charmant sourire, Abnousse Shalmani ne ressemble en rien à une guerrière en armure. Pourtant, la lauréate 2024 du prix Gisèle Halimi pour son livre « J'ai péché, péché dans le plaisir» (Grasset) est une combattante. Ses armes, ce sont les livres. Ses flèches, les mots. A l'instar de Gisèle Halimi. La romancière d'origine iranienne a souvent pris la parole pour défendre la laïcité et la cause des femmes. La remise de son prix a eu lieu dans le très solennel Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, mitoyenne du palais Bourbon. Il y avait salle comble dans le salon d'honneur. Et pour cause.
Tout naturellement cette cérémonie a pris un tour à la fois politique et littéraire. Alors qu'en mai 2024, la France a été le premier pays à voter la constitutionnalisation de l'IVG, cause pour laquelle Gisèle Halimi s'est tellement engagée, notamment lors du fameux procès de Bobigny, le prix littéraire qui porte son nom, a pris cette année une couleur particulière. Une raison suffisante pour que Yaël Braun-Pivet, première femme présidente de l'Assemblée nationale, ait souhaité héberger dans sa résidence, cette soirée de remise. Soirée qu'elle a inaugurée par un discours en hommage au courage des femmes et à celui de Gisèle Halimi en particulier. Gabriel Attal, ancien premier ministre a tenu aussi à rappeler ses engagements en ce sens. La célèbre avocate franco-tunisienne n'aurait pas été choquée par ce mélange des genres. Elle-même a toujours su que le politique venait là où le droit s'arrêtait et vice-versa. Et elle a su naviguer entre les deux.
Rappelons que l'Association des Avocats Franco-Tunisiens fondée par Maître Samia Maktouf a créé en 2023 le Prix Littéraire Gisèle Halimi (qui en est donc à sa deuxième édition), afin de récompenser l’autrice ou l’auteur d’une œuvre de fiction publiée en langue française, qui doit évoquer la force et le courage des femmes, leur combat pour la liberté. Lors de sa première édition, le jury du prix avait récompensé le premier roman « Un simple dîner » de Cécile Tlili (Calmann-Lévy.) Pour sa deuxième édition, il couronne Abnousse Shalmani pour son livre « J'ai péché, péché dans le plaisir». Un choix particulièrement symbolique, tant l'œuvre de l 'écrivaine d'origine iranienne est indissociable de ses engagements.
Ce roman est riche de jeux de miroirs et de références croisées. Entre l'évocation de la poétesse iranienne Forough Farrokhzad et celle de Marie de Régnier, fille de José-Maria de Heredia, amante de Pierre Louÿs et figure de la Belle Époque. La poétesse iranienne a trouvé son double. Son destin tragique portera le deuil de sa liberté, en toute chose. Abnousse Shalmani a mis plus de cinq ans à écrire ce livre, construit au croisement des cultures moyen-orientales et occidentales. Dans ce double jeu de miroir s'y ajoute un troisième, celui de l'écrivaine elle-même, bercée de ce double horizon, qui a voué sa vie également à la liberté et l'écriture. Ce livre est un magnifique plaidoyer pour la liberté au nom du plaisir. Mot si souvent tabou.
Téhéran, 1955. A la suite d’une lecture de ses poèmes, le regard de Forough Farrokhzad (1934-1967), égérie des milieux littéraires iraniens qui n’a que vingt ans, est accroché par celui d’un jeune homme. Elle s’apprête à repousser les avances de Cyrus, ou la Tortue, comme elle le surnomme, et ignore qu’il va bouleverser son existence. Érudit, francophile, Cyrus lui traduit en persan les poèmes de Pierre Louÿs tout en lui racontant la vie du poète et celle de son grand amour, Marie de Régnier.
A travers celle de Marie, Forough entrevoit la vie dont elle aurait rêvé. Gracieuse, intelligente, perverse, la fille du grand poète José-Maria de Heredia est une des reines de la très libre Belle Époque, tout Paris se l’arrache. Elle collectionne amants et maîtresses, publie sans cesse et s’amuse dans les salons les plus prestigieux. La poétesse iranienne, elle, mariée à 16 ans à un artiste sans fantaisie, est bridée par sa famille, son militaire de père et les mœurs de son pays. Tout le monde s’épie, tout se sait. Mais Forough ne sait qu’être libre et provoque scandale sur scandale au fil de la parution de ses recueils. Elle célèbre la chair, la vie, l’émancipation et ne se renie pas. Toute son existence, Forough cheminera avec l’histoire de Marie de Régnier et de Pierre Louÿs au cœur, au point de venir à Paris avec Cyrus, sur les traces des deux amants et de leur cohorte d’amis, Claude Debussy, Marcel Proust, Léon Blum, Liane de Pougy et Natalie Clifford-Barney. Sa mort tragique, à 32 ans, mettra un terme à son œuvre d’une immense intensité, qui en fait sans aucun doute la plus grande poétesse de l’Iran contemporain.
Dans ce roman puissant et subtil, au rythme effréné, Abnousse Shalmani met en regard les vies extraordinaires de ces deux écrivaines qui firent toujours le choix de la passion, amoureuse, poétique ou purement sensuelle, au risque de s’en brûler les doigts. Une ode très contemporaine à la liberté artistique et à celles qui ne renoncent jamais, en Occident comme en Orient.
Nous rencontrons Abnousse Shalmani, juste après la proclamation de son prix. Toute l'assemblée s'est levée pour l'applaudir. L'écrivaine a parlé de son goût pour la liberté, de son combat pour la laïcité et de son engagement envers les femmes. Elle a aussi parlé de son admiration pour Gisèle Halimi, dont elle est une digne sœur de combat.
-Abnousse Shalmani : Oui, bien sûr. Ce prix honore les héroïnes de mon roman, Forough Farrokhzad et Marie de Régnier. Mais à travers elles, nous célébrons aussi une femme qui a osé dire non. Gisèle Halimi a commencé par dire non. Non à la tradition, qui faisait d'elle la bonniche de ses frères, non à l'obligation de se taire quand les hommes prenaient la parole, non au refus de la laisser libre de lire. Elle n'a pas boudé, elle n'a pas geint, elle a fait la grève de la faim, grève du corps qui refuse, qui proteste, qui combat. Je crois que depuis ce jour de son enfance, elle ne s'est plus jamais tu. J'aurais aimé la rencontrer, cela aurait été l'occasion de disputes extraordinaires, la dispute qui est un trésor de nos démocraties et qui dit la richesse inépuisable du débat contradictoire.
-A.S : A 8 ans j'ai lu Les yeux noirs de Dominique Bona, qui évoque le destin des trois sœurs, filles du poète José-Maria de Heredia : Hélène, Marie et Louise. D'origine cubaine, légères, impertinentes et voluptueuses, elles promenaient leur charme sur la fin du XIXe et la moitié du XXè siècle, au milieu d'une société étonnamment brillante d'écrivains et de poètes, de Marcel Proust à Pierre Louÿs, d'Henry de Régnier à Paul Valéry. Marie est celle qui m'a semblé la plus puissante. Ensuite, j'ai découvert les livres de Pierre Louÿs qui m'ont comme enivrée et la complexité de la relation qui l'unissait à Marie. Il m'a fasciné. Sa poésie, sa liberté. Les chansons de Bilitis sont d'une telle audace, sensuelle, tellement émancipatrice. Je dis souvent que ce livre m'a «guérie » de mon « voile ». Ce n'est qu'un peu plus tard que j'ai découvert le lien qui existait entre Marie et Forough Farrokhzad, la grande poétesse iranienne. Un destin en miroir entre ces deux femmes. Un écho pour moi aujourd'hui.
-A.S : Ces femmes redoutables, bouleversantes et orgueilleuses ont en commun de ne s'être jamais posé la question de ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, du permis et de l'interdit, de la bienséance et de la réputation. Elles ont pris ce qu'elles avaient à prendre, sans égard pour la morale, la société, leurs proches. Elles ont dessiné leurs vies au fil de leur désir et de leur ambition, elles ont imposé leur liberté et arraché avec les dents ce qu'elles considéraient comme juste pour elles avant tout, et pourquoi pas si cela pouvait être utile à tous.
-A.S : Je ne crois pas à la supériorité des femmes sur les hommes, ni le contraire d'ailleurs, mais je crois à la supériorité de la parole, du dire comme à celui de la transgression. Dire non et oser, voilà exactement ce qu'ont fait Marie de Régnier reine, poète et écrivain de la Belle Époque parisienne et Forough Farrokhzad, scandaleuse poète qui a révolutionné la poésie, deux fois millénaire, persane, dans les années 1950 à Téhéran.
-A.S : La littérature comme la poésie sont par essence transgressives, car elles portent en elles le lien avec une mystique qui ne peut exister qu'avec la liberté. Et selon moi cette liberté n'est pas qu'une abstraction. Elle est pleine et entière. Elle nous lie corps et âme. Il faut se l'approprier. Surtout de la part des femmes. Elles doivent apprendre à intégrer cette liberté dans leur corps, qui ne soit pas le lieu de la honte, mais bien celui du plaisir et de la vie.
-A.S : Je dédie ce prix à la liberté, des hommes, des femmes, de tous ceux qui risquent la mort en disant non là-bas, en Iran ou ailleurs, et la mort sociale en disant non ici. Plus le temps passe et davantage je considère que, de la liberté naissent toutes les possibilités d'un avenir.
>>« J'ai péché, péché dans le plaisir » d'Abnousse Shalmani, Grasset, 198 pages- 19,50 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
Le jury du Prix Littéraire Gisèle Halimi est composé de Samia Maktouf (avocate aux Barreaux de Paris et de Tunisie, Présidente du Prix et de l’Association des Avocats Franco-Tunisiens), Ariane Ascaride (actrice, comédienne), Razika Adnani (écrivaine, philosophe), Dominique Attias (avocate, spécialiste du droit des personnes, du droit des mineurs et des violences contre les femmes, ancienne Vice-bâtonnière), Elie Chouraqui (cinéaste), Christian Charrière-Bournazel (avocat, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats), Annick Cojean (journaliste au Monde), Julie Couturier (Présidente du Conseil national des Barreaux), Nadia Hai (ancienne députée, ancienne Ministre), Margot Gallimard (directrice de la Collection « L’Imaginaire »), Jeanne Grange (directrice littéraire chez Calmann-Lévy), Aurélie Julia (directrice de La Revue des Deux Mondes), Bariza Khiari (ancienne Vice-présidente du Sénat), Jean-Yves Le Borgne (avocat, ancien Vice-bâtonnier), Nadia Marouani (conseillère dans les industries créatives), Estelle Meyer (Comédienne, autrice et chanteuse), Christophe Rioux (universitaire, écrivain, journaliste à Lire - Magazine Littéraire), Cécile Tlili (écrivaine) .
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