Ecrivain, éditeur, ancien libraire, Claro a plus d'une corde à son arc. Traducteur de Thomas Pynchon, Salman Rushdie, Hubert Selby, il est autant "chasseur de trésors littéraires" qu'un formidable raconteur d'histoires. Son dernier roman CosmoZ, premier volet d'un diptyque sur le XXème siècle nous invite à revisiter le Magicien d'Oz.Rencontre.
Claro : Régulièrement, depuis l’âge de onze ans, c’est-à-dire depuis que mon père m’a offert ma première machine à écrire, une Brother DeLuxe que j’ai encore.
Un roman qui s’intitule « Poupoune au pays des navets ». C’était peut-être prémonitoire.
Ces deux activités ont un point commun très fort : il s’agit d’écrire dans sa langue maternelle. Et, ce faisant, de se coltiner avec le texte d’origine, qui est le roman étranger dans un cas, le projet de roman dans l’autre. C’est, de toute façon, un travail sur la langue.
La collection Lot49 a pour objectif de faire connaître des textes qui s’écartent de la narration traditionnelle, travaillent les formes narratives dans la lignée des grands novateurs du roman américain, tels que Pynchon, Coover, Gass, etc. Ce sont souvent des textes extrêmes, mais aussi drôles, jubilatoires, éloignés de tout réalisme convenu.
Mes premières lectures d’enfance et de pré-adolescence ont été des livres de science-fiction, ou d’anticipation comme on disait alors, mais aussi Jules Verne, et les maîtres du fantastique. J’ai donc abordé la fiction sous l’angle « non réaliste », plongé dans le romanesque sous les auspices de l’imaginaire. Je ne lis plus beaucoup de littérature « de genre », hormis de temps à autre des romans policiers de gare des années 70, mais pour moi la découverte de la lecture, du plaisir de lire, est intimement lié au fantastique, à des auteurs comme Asimov, Bradbury, Sturgeon, Siodmak, Matheson.
Il est question dans CosmoZ d’un épouvantail, mais également de la fin du monde, c’est donc très naturellement que le poème d’Eliot s’est mis à jouer un rôle quasi structurel dans l’écriture de mon roman. Les « hommes de paille » qu’évoquent le poète ne renvoient pas seulement au personnage d’Oscar Crow dans CosmoZ, mais également à tous les individus ballottés par l’histoire, vidés de leur substance par les guerres, la science eugéniste, etc.
Ce qui à mon avis explique une éventuelle lecture « captive » vient du fait que réel et imaginaire alternent dans le roman d’une façon assez indiscernable. J’ai tenu à proposer un texte sans couture apparente, si je puis dire. Si c’est réussi, alors tant mieux, car le but était de rendre visible, prégnant, des événements possiblement « intenables » sans que soit sacrifier la jouissance de la lecture. Même dans l’horreur, il y a toujours la résistance du sourire, qui est la part d’humanité irréductible.
J’avais été marqué, enfant, par ce film, qui mêle fantaisie et effroi, merveilleux et menace. Ce qui m’avait frappé, surtout, c’était cette vision de corps étranges, mécaniques ou mous. Quant au magicien, il me semblait pouvoir servir de figure intéressante, et incarner tour à tour le médecin, le grand manitou, le manipulateur. Le livre de Baum, comme le film de Fleming, crée un mythe, c’est un conte initiatique qui met en scène des personnages égarés, des orphelins de la vie, des êtres plus ou moins détraqués qui cherchent un lieu magique où devenir, enfin, eux-mêmes. Cette histoire de devenir a irrigué CosmoZ. Comment (re)devenir ce qu’on est, comment être dans le réel ce qu’on était dans l’imaginaire, le rêve ?
CosmoZ fonctionne en bonne partie sur une architecture chromatique, les couleurs de l’arc-en-ciel, chaque ton étant associé à un élément, comme le vert pour le radium, le jaune pour l’or, le gris pour le passé, etc. Il y a aussi des formes récurrentes, comme la tornade, les barbelés, etc. Ce travail « pictural » a été en fait nourri moins par des tableaux que par des films, des images d’archives, des photos d’époque.
Il y avait dès le départ ce désir de faire de la syllabe « oz » une matrice, oz désignant à la fois un lieu, un personnage, mais servant aussi de formule magique, d’unité sonore. C’est un réceptacle qui à la fois se vide de sens et se remplit de sens, une clé qui ouvre quelque chose, mais quoi ? Voilà ce que les personnages recherchent, peut-être à tort. Car dans CosmoZ, « oz » n’est pas une clé, n’est pas une solution, c’est juste un mot étranger, étrange, qui ne renvoie à aucune langue, si ce n’est à celle de l’imaginaire.
J’ai essayé d’opérer des variations dans la narration, afin d’impliquer parfois le lecteur à un niveau différent, d’où cet usage parfois de la deuxième personne, quand on s’adresse à Dorothy, et à travers elle à l’enfant qui est en nous, l’idée étant que le lecteur est un peu comme un enfant au début de son déchiffrement du monde, qui va apprendre une langue particulière, la langue du livre qu’on lui propose de lire…
Baum incarne le touche-à-tout typique américain, l’homme aux mille entreprises, qui finit par se réfugier dans l’imaginaire après avoir échoué dans pas mal d’aventures un peu trop réelles. Ce n’est pas un grand écrivain, mais il a su catalyser dans ses romans (le cycle d’Oz comporte treize volumes) pas mal d’obsessions de ses contemporains. C’est un peu un Lewis Carroll raté, mais ses maladresses stylistiques et narratives le rendent d’autant plus touchant. Il ne joue jamais au malin, mais tisse des fables déroutantes, absurdes, derrière lesquelles se cache souvent une morale populaire, un bon sens américain.
Baum a effectivement souffert d’une tumeur à la langue, et je me suis focalisé sur cet événement pour toucher directement, de façon littérale, au problème de la « langue », de la parole contrariée. La tumeur est comme un cauchemar niché dans la langue que parle Baum, et son « autopsie » libère non seulement des particules étranges, mais aussi des mondes entiers.
Si on sort « sonné » de la lecture de CosmoZ, alors je suis ravi. Modifier l’état du lecteur est l’ambition de tout écrivain, après tout.
Dorothy est un mélange de naïveté et de détermination. Pour moi, c’est un personnage assez impalpable, un décalque de la Judy Garland du film. Elle fédère les autres, mais en elle-même n’est rien, juste un déclencheur. L’amour, en particulier l’amour physique, lui est inconnu, et elle va devoir devenir femme dans les dernières pages du roman, apprendre à aimer et, peut-être enfanter.
Le livre tourne en permanence autour de la question du début et de la fin du monde. La bombe atomique, les camps : est-ce la fin ou le début d’un monde ? En se répétant, l’histoire se renouvelle-t-elle ou non ? L’horreur est-elle une étape, un achoppement ?
L’Histoire avec un grand H est évidemment centrale dans CosmoZ, puisque pour moi ce roman s’inscrit dans un projet plus vaste, dont le premier volet était un précédent livre paru en 1997, « Livre XIX », qui racontait le dix-neuvième siècle en utilisant ses thèmes et ses styles. « CosmoZ » est le premier volet d’un diptyque sur le vingtième siècle. Comment raconter l’Histoire en multipliant les heurts entre réel et imaginaire ?
Le cinéma avait sa place obligée, réservée, dirai-je dans le livre, dans la mesure où Le Magicien d’Oz est l’histoire d’un passage du livre au film. Par ailleurs, il me semble impossible de raconter l’histoire du premier demi-siècle sans tenir compte du cinéma, qui est indissociable de l’imaginaire visuelle, de la propagande, etc. Et le cinéma, par sa production, reproduit également les mécanismes des guerres, leur hiérarchie. Il naît avec le siècle dans la fantaisie (Méliès…) et devient instrument politique presque aussitôt. On filme les camps de la mort, les explosions atomiques autant qu’on nous projette dans le monde de Blanche-Neige ou d’Oz. C’est la caméra le véritable œil du cyclone.
L’Amérique importe dans CosmoZ non seulement en raison de la nationalité du mythe d’Oz, mais également comme pays ayant réservé un sort particulier à tous ceux qui sont considérés comme « indésirables ». Le programme eugéniste aux Etats-Unis a fortement inspiré et façonné la politique raciale du IIIème Reich. Et puis l’Amérique offre ce fort contraste entre usine à rêves et fabrique d’exclusion qui est la marque du siècle.
Comment regarder le monde ? Inutile de le regarder, hélas, c’est lui qui nous regarde, au moyen de sa télésurveillance planétaire…
J’ai beaucoup aimé le roman de Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont, et celui de Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme.
Claro, CosmoZ, Actes Sud.
Maylis de Kerangal, Naissance d'un Pont, Verticales.
Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, Actes Sud.
Les lauréats du Prix Mare Nostrum 2024 vient de livrer la liste de ses lauréats. Chaque lauréat recevra une dotation de 2 000 € pour sa c
Légende photo : en haut de gauche à droite : Deloupy (Les Arènes), Carole Maurel (Glénat), Pierre Van Hove (Delcourt/La Revue Dessinée), Sébast
La Centrale Canine décerne chaque année son Prix Littéraire aux 3 meilleurs ouvrages mettant à l'honneur la relation humain-chien.