Loin d'une littérature nombriliste et ennuyeuse, elle s'attache dès sa première bataille à décrire les destins croisés de familles anglaises, jouant avec délices, par la langue et un certain don d'observation, des conflits de cultures ou de générations. La Seconde Guerre mondiale, en contraignant Alfred Archibal Jones et Samad Miah Iqubal à une cohabitation forcée entre les quatre cloisons métalliques d'un char d'assaut de l'armée anglaise, en a fait les meilleurs amis du monde. Le premier, affublé d'une patte folle et d'envies suicidaires, trouve une femme en la personne d'une exubérante Jamaïcaine au corps de rêve et à la bouche sans dents, de vingt ans sa cadette. Le second, Indien et musulman, descendant du guerrier Mangal Pande, une main bousillée, est serveur dans un restaurant indien de seconde classe et supporte une épouse tonique jouant aussi bien des mots que des poings. Les deux femmes trouvent bientôt un terrain d'entente motivé par une grossesse simultanée qui entraîne les deux familles vers un futur fait de cris, de rugissements et d'aventures rocambolesques.
Zadie Smith ne reconnaît ni le héros mythologique – tous ses personnages agissent et vivent en tirant derrière eux leurs névroses et leurs défauts – ni le héros de roman – chaque personnage aura dans ce livre son heure de gloire ou de déchéance. Elle avance d'un pas aérien, à la fois drôle et acide, et fait preuve d'un talent qui prend sa source au cœur même d'un métissage porté comme un étendard, dont on ne peut que louer la grande force créatrice. --Hector Chavez