Le Sida fait à la fois partie de l’Histoire et de l’actualité. Un fléau qui, il y a 35 ans a ressuscité les grands démons des épidémies et mis à l’épreuve la cohésion de la Société. Le Dr Alain Lafeuillade a vécu cette première décennie de panique du côté des patients avec la mort pour horizon. Son livre Un médecin ne devrait jamais dire ça (Bookelis) est un témoignage qui rend compte du glissement de la société au fil des découvertes scientifiques et des nouvelles perspectives sur la maladie. Rencontre avec un "sidénologue" engagé, qui ne manie pas la langue de bois.
Alain Lafeuillade est docteur en médecine, chef du Service de Médecine Interne et Maladies Infectieuses à l'hôpital de Toulon (France), engagé depuis 30 ans dans la lutte contre le VIH/SIDA. Il a également été Professeur associé à l'Université du Maryland (USA). Un médecin ne devrait jamais dire ça (Bookelis) est son premier livre pour le grand public.
Il y témoigne de ses trente ans de pratique, mais aussi de toute la complexité de la maladie : non seulement ses traitements, mais aussi le regard porté par la société sur les malades, les choix politiques dans la prise en charge...
Nous rencontrons un médecin engagé, passionné, jamais désabusé, mais préoccupé par la manière dont la jeune génération minimise la gravité de l'épidémie. Le combat d'Alain Lafeuillade n'est pas terminé. Le SIDA a hélas encore de sombres jours devant lui...
Alain Lafeuillade : Il me semblait important, notamment pour la « jeune génération » qui n’a pas connu ces années 80-90, de leur expliquer ce qu’a été le SIDA ces années là, c’est à dire jusqu’en 1996 avec l’avènement des « trithérapies » qui ont transformé l’espérance de vie des patients.
A.L. : Les deux vont de pair. Un clinicien n’est pas un robot appliquant des protocoles, il est un être humain qui tente de traiter son patient au mieux des connaissances et des thérapeutiques disponibles à « l’instant T ». Et chaque patient est différent…
A.L. : C’est, comme vous le dites, un « simple » essai pour témoigner. Un règlement de comptes, certainement pas. En revanche, une vision sur un quart de siècle de l’évolution des mentalités (qui ont peu changé : le SIDA fait toujours peur… à ceux qui ne le contracteront jamais, mais de moins en moins à ceux qui sont à risque) et du système de soins hospitalier qui m’inquiète. L’hôpital, depuis la « loi Bachelot » de 2009, a beaucoup changé. Il doit être rentable, ou au moins à l’équilibre financier, comme une clinique privée. Mais, à la différence d’une clinique privée, l’hôpital public ne choisit pas ses malades. Or la loi dite « HPST » de Madame Bachelot (Hôpital, Patients, Santé, Territoire) a remis tous les pouvoirs décisionnels entre les mains du Directeur de l’hôpital. Or, celui-ci n’est qu’un gestionnaire, pas un médecin, formé en général à l’Ecole de Rennes où on lui apprend, entre autres, à mépriser le corps médical, cause de toutes les dépenses.
A.L. : Je ne l’ai ni voulue, ni ressentie…mais si vous dites qu’elle y est…Ce n’est pas mon choix. Après, un médecin se doit –pour se « protéger »- de garder une certaine distance avec ses patients. Au tout début de ma carrière dans ce domaine j’assistais à leurs funérailles. Puis j’ai arrêté car il faut savoir se protéger pour continuer à se battre avec toute son énergie pour ceux qui restent en vie.
A.L. : Je suis en paix avec moi même ! Chaque fois qu’il y a eu une avancée thérapeutique, mes patients y ont eu accès. Mais je pense que les « nouveaux » patients et le grand public doivent être informés de ces évolutions.
A.L. : Oui, ce recul était nécessaire, c’est pourquoi je n’ai écrit ce livre que 25 ans après la création du service accueillant les malades du SIDA dans l’hôpital où je travaille.
A.L. : Une trithérapie prise précocement, et régulièrement, peu après la contamination, permet aujourd’hui d’obtenir une espérance de vie des patients qui rejoint celle de la population générale. Mais cela a eu l’effet pervers de banaliser l’infection à VIH. Certains malades m’ont dit « Après tout, si je contracte le VIH, je prendrai la trithérapie, et la vie continuera.. ». Or nous avons toujours 6000 personnes qui s’infectent par an en France par le VIH, sans aucun fléchissement sur ces dernières années.
A.L. : Il n’y a pas de procès du tout. La nature humaine cherche le plaisir, ce n’est pas nouveau, et nos sociétés dites « développées » cherchent le profit. Le médecin doit arriver à se frayer un chemin entre ces 2 entités antinomiques, ce qui n’est pas toujours facile !
A.L. : J’espère que vous ne considérez pas ma vie de médecin comme terminée car, dans le meilleur scénario j’ai encore 10 ans devant moi !
Oui, il faut témoigner, car le grand public n’est pas toujours au fait des choses.
Rédemption ? Mais je n’ai rien à me reprocher ! J’ai toujours apporté à mes patients les dernières avancées scientifiques. Et je n’aime pas ce terme car il implique une dimension religieuse, or ce n’est pas mon rôle.
A.L. : Bien évidemment…une suite à ce premier ouvrage. Quand ? Je ne le sais pas. Comme disait le Président François Mitterrand : « Il faut laisser du temps au temps ».
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