Que reste-t-il de ceux qui ont disparu ? Comment concevoir le vide laissé par leur mort ? Parfois, leurs objets personnels subsistent telles des sentinelles de la mémoire. Ludivine Ribeiro, qui a perdu sa mère, parle de son impossible deuil dans son livre Ma mère en toutes choses (Arléa). Elle évoque, autant qu'elle convoque, les souvenirs matériels rattachés à celle qui n'est plus, afin de retrouver le fil d'une vie. Entre incantation, tristesse et exaltation.
Ludivine Ribeiro a perdu sa mère, soudainement. Une mère dont la personnalité était incandescente, belle et aimante. Une mère, singulière mais aussi universelle. Une mère.
Alors, l'auteure ne sait pas comment inventer la vie sans elle.
« Continuer. Ce mot définit si fort le moment qu'il est difficile à prononcer. Conduire devient une expérience déchirante, car c'est précisément de cela qu'il s'agit : aller de l'avant, faire défiler les paysages, vivre, malgré tout. »
Elle se sent abasourdie, vide. Puis, réalise que de nombreux objets et souvenirs continuent de témoigner de sa présence. Des traces palpables, comme si elle était encore là.
Alors, Ludivine Ribeiro s'accroche à toutes ces choses, fragiles talismans d'une personne qui semble encore vivre dans son décor intact.
« Si je pouvais, je garderais cet appartement tel qu'il est, un reliquaire sous une cloche de verre, un mausolée où je viendrais la retrouver, me blottir dans le souvenir de ses bras e cachemire marron glacé. »
Dans ce deuil qui ne veut pas dire son nom, l'auteure navigue entre exaltation et tristesse. Eveil des sens, en quête du moindre signe, recherchant les miroirs de sa mémoire en de multiples endroits.
« Dans cette expérience si singulière, dont la beauté - comme la douceur-, n'est pas absente, tout est amplifié, la lumière, la musique, le moindre bruissement du ciel. Tout est tragique et beau et vibrant de présences mystérieuses.»
Le décompte commence. Le temps qui passe et l'absence se fait sentir plus cruellement : « Je n'ai pas vu ma mère depuis 3037 jours.» écrit sobrement l'auteure. Rien d'autre à ajouter, si ce n'est de chercher à retenir la mémoire qui s'enfuit.
Ludivine Ribeiro part ainsi dans une folle collecte qui la conduit à rassembler tous ses souvenirs en suivant la moindre trace : une assiette cassée, un mug qui sent encore le sachet de thé utilisé, un pull marin, un chandelier, des cailloux-hiboux, les souvenirs d'agacements ordinaires, les violettes, les roses... Les reliques de l'enfance comme un petit débardeur rose conservé dans un placard. Elle était allemande et se maria avec un indien, folle liberté pour l'époque. Petit à petit, l'auteure, installée aujourd'hui à Genève, reconstitue le fil d'une existence. Il y a des photos. Des fêtes. Des voyages. Une belle vie finalement.
Alors, le deuil ? Impossible ? Inconcevable ? L'auteure s'amarre au matériel concret comme le nommait Marguerite Duras pour ne pas perdre pied. Petit à petit, elle comprend que ce réel va devenir une trace en elle-même et s'éloigner du rivage. L'appartement va être vidé. Les objets triés.
Le texte de Ludivine Ribeiro tisse son fil d'Ariane pour quitter son labyrinthe. Son récit ouvre le chemin d'un deuil : comment arriver à transformer en souvenirs immanents ces recherches d'ancrages. Comment se séparer.
« Ce qu'il y a de bien, quand on a eu une mère aux yeux bleus c'est qu'il suffit de contempler le ciel pour retrouver son regard. »
Essentiel. Tout le bleu du ciel, tout le ciel.
> Ma mère en toutes choses de Ludivine Ribeiro, Collection La Rencontre, Arléa, 264 pages, 20 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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