« Histoire d'une domestication »

Rencontre avec Camila Sosa Villada : « La famille est le premier point de contact avec la folie »

Sexe, humour et déconstruction. La comédienne et écrivaine argentine trans, Camila Sosa Villada, qui avait fait une rentrée fracassante dans le monde littéraire avec « Les Vilaines », revient avec « Histoire d'une domestication » (Métailié), un roman qui, une fois encore, bouleverse les codes. Rencontre avec une écrivaine drôle et iconoclaste.

Camila Sosa Villada à l'Instituto Cervantes après une rencontre dialogue avec Delphine de Vigan. Photo Olivia Phelip Camila Sosa Villada à l'Institut Cervantes après une rencontre dialogue avec Delphine de Vigan. Photo Olivia Phelip

Sexe, humour et déconstruction. La comédienne et écrivaine argentine trans, Camila Sosa Villada, qui avait fait une rentrée fracassante dans le monde littéraire avec «Les Vilaines », revient avec « Histoire d'une domestication », un roman qui, une fois encore, bouleverse les codes.

Une nouvelle lecture de la famille et du désir

Elle nous avait plongés d'abord dans le quotidien d'un groupe de prostituées transsexuelles, se retrouvant quotidiennement au parc Sarmiento, à Córdoba. Camila Sosa Villada poursuit son exploration des lisières de la société dans son dernier roman. Cette fois-ci, elle s'attaque au sujet de la famille, dont elle livre une nouvelle partition déconstruite/reconstruite. L'histoire d'une comédienne trans, qui épouse un avocat gay et souhaite adopter un enfant, tout en voulant monter une pièce de Cocteau ... La famille et la maternité, le jeu et le désir, que l'auteure n'hésite pas à décrire crûment. Un texte qui ose, où l'on retrouve la verve et l'humour de la romancière .

Domestiquer les rêves ?

« Une comédienne, on ne cherche pas à savoir qui elle est. Une comédienne, on l’invente. Une comédienne est un rêve. » Un rêve qu'elle veut domestiquer aussi, en le convertissant en réalité domestiquée. Mais est-il possible de domestiquer les rêves ?

Ce roman, qui est en cours d'adaptation au cinéma, dans lequel l'écrivaine jouera le rôle principal, est une sacrée pirouette à toutes les idées reçues. Une nouvelle variation en mise en abyme, kaléidoscope de références, comme les aime Camila.

Une rencontre organisée grâce à l'Instituto Cervantes

C'est dans le cadre d'une réunion organisée par l'Instituto Cervantes à Paris, que nous avons pu rencontrer l'auteure. Lors de cette présentation, Camila Sosa Villada a échangé avec l'écrivaine française Delphine de Vigan, dans une conversation modérée par la journaliste  Camille Thomine. 

Rencontre avec une écrivaine drôle et iconoclaste.

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1. Dans Histoire d'une domestication, votre héroïne est comédienne, comme vous. Elle est transsexuelle, comme vous. Jusqu'où va la dimension autobiographique de votre livre ?

- Camila Camila Sosa Villada : Mon héroïne est une comédienne très célèbre, au sommet de sa gloire. Je suis comédienne certes, mais loin d'être célèbre ! L'écriture est un processus d'imprégnation de soi-même. Même pour Les Vilaines, certes je me suis inspirée de ma vie de prostituée trans, mais les émotions ne se substituaient pas à la narration elle-même, qui restait imaginaire.  Dans Histoire d'une domestication, je voulais pénétrer le fantasme de la famille et le pousser jusqu'au bout. Le placer dans une autre perspective. Et puis, je vous rassure, je n'ai pas de projet de mariage, ni d'enfant aujourd'hui. Je n'ai jamais réussi à me marier avec un homme, ni même avec une plante, alors ... ! Dans le cas de mon héroïne, sa transgression est l'enfant. Dans mon cas, c'est l'écriture. 

2. Domestication, le mot est fort... Est-ce ainsi que vous analysez la famille ?

- C. S. V. :  Mais oui, c'est ainsi que je regarde les couples se former. Il y a un processus qui se met en place comme celui de la domestication d'un animal. Dans le mot domestication, il y a le double sens de domus, la maison, mais aussi de domestique. Les éthologues le disent : ce sont les chiens qui ont domestiqué les hommes et non l'inverse ! La famille s'est construite sur une aliénation. Moi j'ai choisi la passion. Or on ne peut domestiquer la passion. Dans mon livre, j'étudie ce qui n'est pas une famille, mais une alliance. Une alliance dont on peut partir. C'est un autre modèle que je propose. Car pour moi, par son corollaire d'enfermement, la famille est le premier contact avec la folie. Même les enfants essaient de correspondre au désir de leurs parents dans cette matrice fermée. C'est donc une chaîne de soumissions successives. Finalement dans le livre, paradoxalement, l'héroïne sort de son déterminisme, car elle est trans et qu'elle va se marier. Elle choisit de suivre son désir et d'aller là où personne ne l'attend : l'enfant.

3. Quelle est la fonction spécifique de la mère dans cette famille domestiquée ?

- C. S. V. :  Si la famille est le premier contact avec la folie, la mère en est son premier représentant ! Mon premier souvenir personnel concernant ma mère, c'est quand, seule dans la pénombre, elle fumait une cigarette, le soir. Je ne voyais que la lumière de la braise de sa cigarette. Elle était là à attendre. Le téléphone de mon père qui l'avait abandonnée et qui ne l'appellerait pas. Le signe de celui qui pourtant la trompait et la battait. C'est une forme de folie que de rester dans le conditionnement de son enfermement...

4. Dans votre roman, vous donnez une large place au désir. Vous osez aborder le sexe parfois même crûment...

- C. S. V. : C'est l'hypocrise de la société. Bien sûr, qu'il y a du sexe dans la vie. Et même dans les familles. Là où il est souvent caché, voire dysfonctionnel, car contraint. Mon héroïne vit cette passion pour son mari gay, qui est avocat. Tant qu'il y a du désir, il y a de la vie finalement. Et vice versa. Pourquoi le sexe ne serait-il pas aussi sujet littéraire ?

5. Justement parlez-nous de votre processus d'écriture... 

- C. S. V. : L'écriture est quelque chose de très physique pour moi. C'est puissant. C'est comme une épreuve. Il y a une tension, la fatigue de rester assis...  D'ailleurs, j'ai mal au dos depuis que j'écris. Je dois voir un kiné une fois par semaine. Ma vue s'est même abîmée. Le corps, c'est ce que l'auteur donne à son écriture. Comme une offrande.
Quand je commence à écrire, je suis dans un état second. Comme sourde et muette. Je n'ai aucune technique. Je nage sans savoir où je vais. Je pense à une histoire, mais je ne réalise pas comment elle va surgir. Les mots et les images viennent ensemble, entremêlés.

​6. D'où vous est venu ce désir d'écrire ?

- C. S. V. :  Quand j'étais enfant, j'étais un garçon que personne n'écoutait. Cette impossibilité d'être entendu, c'est peut-être cela qui m'a conduit vers l'écriture ? Mais je ne cherche pas à faire joli. J'aime mélanger le trivial et le poétique. Il y a une énergie destructrice de l'écriture qui est aussi l'expression d'une liberté. J'éprouve avant tout cette jouissance de la liberté. Et la liberté est toujours à double tranchant.

> Histoire d'une domestication de Camila Sosa Villada, Editions Métailié, Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, 224 pages, 19 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien 

En savoir plus

Avec plus de 100.000 étudiants par an, l’Instituto Cervantes est la première institution mondiale consacrée à l'enseignement de l’espagnol. Elle a reçu le Prix du Prince des Asturies 2005 dans la catégorie Communications et Humanités. Elle organise de nombreuses manifestations culturelles.
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