Philippine Cruse, membre de la communauté Viabooks s'est plongée dans Une Forme de Vie d'Amélie Nothomb. Entre réflexion sur le temps et la place de l'auteur ce livre est selon elle un voyage au coeur des lettres de ses fans, qui se transforme en voyage au coeur de l'écriture...
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Comme chaque année, Amélie Nothomb est fidèle à la rentrée littéraire. Elle propose pour le cru 2010 "Une forme de Vie". Entre une réflexion sur notre temps et un regard sur l'écriture, elle nous convie dans le sérail d'un quotidien où la lettre est reine. Comment qualifier ce nouveau roman? Etrange, curieux comme à son habitude? Oui, mais cette fois-ci, sous couvert de narcissisme, l'auteur regarde le monde en passant par les terres de l'autofiction. Elle nous invite à assister à la cérémonie de son quotidien: décacheter les lettres de ses fans et une particulièrement, envoyée par un soldat d'Irak. Avec Une Forme de Vie, elle semble aussi faire le bilan d'une vie où l'écriture est la nourriture essentielle.
Un soldat Melvin Mapple, basé en Irak adresse une lettre à Amélie Nothomb. Il écrit car il a besoin de réconfort. Elle, de son côté décide de répondre à cette curieuse missive. Elle apprend après un échange de courriers que le soldat a lu tous ses livres. A partir de ce moment là, elle change d'attitude. L'écrivain est troublé et assez "ridiculement ravi". Narcissisme inévitable pour celle qui écrit aussi pour être lue! L'échange de billets se poursuit. Amélie Nothomb développe la thématique de la lettre avec une certaine finesse. Car il est tentant d'imaginer celui qui a écrit la lettre. Que se cache-t-il derrière les mots? Et si tout ça n'était qu'un formidable mensonge?
Nothomb regarde le monde à travers le prisme d'une guerre dont on ne parle jamais frontalement. Dans ce roman et son histoire, elle décrit l'impossibilité du conflit et le non sens qui l'enveloppe. En fin de texte, lorsqu'on distribue à la narratrice le papier vert pâle pour entrer sur le sol américain, elle reprend les deux questions en rapport direct avec la guerre, "Possédez-vous des armes chimiques et nucléaires" et "Appartenez vous à un groupe terroriste". Posant oui dans les cases correspondantes, elle souligne la bêtise du système et la gravité de notre monde.
Au fond avec l'écriture, on peut tout faire. Ces lettres sur lesquelles tient tout le roman existent-elles parce qu'elles sont réelles ou parce qu'elles ont été inventées de toutes pièces. C'est là où le texte de Nothomb ouvre des perspectives sur l'écriture et ses frontières. Avec l'art épistolaire se noue un dialogue, véritable source de création. Le soldat va revenir sur ce qu'il a pu transmettre. Il pense que l'écrivain va en être fâché. Au contraire. C'est justement au moment où ce qu'il écrit est faux que le processus de l'écriture se met en marche.
Nothomb reprend un de ses classiques, développant le thème de l'obésité, et apportant une réflexion sur l'excès, tout aussi insupportable que la carence. Melvin Mapple est devenu obèse car il a perdu le sens et les repères du monde. Là encore, Nothomb s'attaque à notre temps en faisant intervenir l'ordinateur qui offre le monde virtuellement. Elle pose le problème de la terrible solitude que vit l'homme contemporain, désemparé, donné à l'insasissable du monde. Puis, dépassant le thème, elle ouvre le champ vers le body art. Elle propose à son interlocuteur de faire de son cas d'obésité une oeuvre d'art. Ce qu'elle imagine pour le soldat est le pendant de ce que fait Amélie Nothomb, écrivain auteur d' Une Forme de Vie. Avec la proposition de faire de l' état de son interlocuteur une oeuvre d'art, Nothomb invite l'art au festin, tout en le portant aussi en dérision. Le texte s'offre le principe du décalage car la narratrice est prise au piège d'une histoire qu'elle découvre peu à peu, à laquelle elle croit et qui finalement s'avère une pure invention.
Enfin, Une Forme de Vie d'Amélie Nothomb pose la question du pourquoi écrire. Boulimique d'écriture, Amélie Nothomb s'interroge sur son besoin d'écrire. En ceci, elle est probablement profondément écrivain. Néanmoins, cette soif, toujours inassouvie ne crée pas toujours des merveilles littéraires. A la fin du roman, comme une formidable confidence, elle note: "Si tu écris chaque jour de ta vie comme une possédée, c'est parce que tu as besoin d'une issue de secours. Etre écrivain, pour toi, cela signifie chercher désespérément la porte de sortie". Cruel et cynique, ce dernier texte de Nothomb met en scène l'écrivain, questionne son statut et souligne qu' on écrit d'abord pour soi.
Amélie Nothomb pose enfin la question de la frontière entre l'art et la vie, entre le réel et les livres. A travers le personnage du soldat, elle nous plaque une réalité tout en jouant avec dérision à dépasser le réel par l'imaginaire. Une Forme de Vie est nourrie de bonnes idées mais manque de souffle et ne dépasse pas la petite histoire. C'est dommage.
Amélie Nothomb, Une Forme de Vie, Albin Michel.
Le site officiel des fans d'Amélie Nothomb
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