Dans son livre "Comment l'ambition vient aux filles ?" (Eyrolles), Frédérique Cintrat recueille les témoignages de nombreuses femmes. Elle dresse un portrait de la réussite féminine vue de "l'intérieur". Instructif!
-Frédérique
Cintrat : Je fais partie d’un certain nombre de réseaux professionnels sectoriels
et d’autres qui œuvrent pour la mixité. Je trouvais effectivement que dans ces
derniers, on abordait souvent le sujet
du plafond de verre, un vrai sujet, mais
moins celui de l’envie, de la « niaque », de l’ambition des femmes.
Par ailleurs, lors d’un déjeuner avec un groupe d’ex-collègues, une jeune
femme m’a demandé pourquoi j’évoluais dans ces réseaux dits
« féminins ». Je lui avais répondu qu’au-delà de l’engagement, j’y
prenais et donnais de l’énergie et je rencontrais des femmes inspirantes,
ambitieuses. Elle m’avait alors répondu : « Demande-leur plutôt à quoi elles jouaient quand elles étaient petites,
tes femmes inspirantes et ambitieuses ». Effectivement, c’était une
bonne question. J’ai décidé d’approfondir. J’ai notamment tout simplement cherché
le mot « ambition » sur Internet et j’ai alors découvert le lien que
venait de publier l’INA sur l’émission de télévision « Aujourd’hui la
vie » à laquelle j’avais participé en 1983 pour représenter la jeune
génération qui s’appelait « Comment l’ambition vient aux
filles ? » aux côtés de
Françoise Giroud et d’Elisabeth Badinter. 30 après, cela s’imposait, j’occupais
un poste à responsabilité dans l’assurance, je devais écrire quelque chose sur
le sujet. J’ai alors décidé de me reposer la question, à partir de mes réflexions,
de retours d’expériences, la mienne, et celles de femmes qui m’entouraient Jeunes
ou moins jeunes, avec des niveaux d’études plus ou moins élevées, chacune
incarnait selon moi, l’ambition, elles m’ont raconté leur enfance, leurs
parcours, leurs difficultés, leurs prises de conscience, leurs succès et la
façon dont elle définissait l’ambition pour elles, pour les autres.
Quant à savoir si les femmes ont de l’ambition
ou non ? C’est difficile. En général, elles s’autorisent probablement
moins à en avoir, parfois parce qu’elles n’ont pas été dans l’idée qu’elles
devaient en avoir, même si elles ont souvent été encouragées à bien travailler
à l’école, à être studieuses. Peut-être qu’elles se l’avouent moins et reconnaissent
moins qu’elles en ont. Cela a sans doute un peu évolué en 30 ans : néanmoins
quand on dit qu’une femme est ambitieuse, notre inconscient imagine une femme
autoritaire, carriériste, égoïste, modèle qui ne fait pas rêver les femmes. L’ambition peut au contraire signifier
tout autre chose : l’envie de faire bouger les choses, de participer à un
élan collectif. L’ambition des femmes que j’ai interrogées cohabite
toujours avec projet, mouvement, humanité. Ce n’est pas l’ambition du pouvoir,
c’est le pouvoir, nécessaire pour réaliser son ambition, même si elles
reconnaissent aimer le pouvoir de faire, probablement davantage que le pouvoir
d’être.
-Frédérique Cintrat : Quelques
constats :
Elles représentent 30 % des créateurs d’entreprise,
mais seulement 1/10 des entreprises
dites innovantes. Il n’y a que 3% de
femmes de 18 à 64 ans qui ont créé ou sont propriétaires d’une entreprise (contre
10 % aux USA et lorsque qu’elles sont
entrepreneuses, elles dirigent des entreprise de plus de petites tailles et
prennent moins de risques financiers (elles voient moins grand).
Au sein des entreprises, elles occupent rarement les fonctions de CEO des
grandes entreprises (aucune femme ne dirige une société du CAC 40).
Lorsqu’elles intègrent les COMEX, c’est souvent sur des postes de type support
tels Directrice des ressources humaines ou Directrice de la Communication.
Je peux vous parler du secteur que je connais qui est celui dans lequel
j’évolue, celui de la finance, de la banque et de l’assurance (je suis membre
du COMEX de Financi’ELLES).
Au sein de Financi’Elles, un observatoire RH a été mis en place. Alors que ce
secteur est très féminisé (plus de 60 % de femmes), elles ne sont que 15 % dans
les COMEX. On constate que la situation commence à être critique au niveau du
management intermédiaire. C’est là que la différence s’opère et qu’il faut être
vigilant sur les questions de mixité au risque de ne pas disposer d’un vivier
suffisant pour les postes de CODIR. Quelle en est la cause ? Les femmes
qui à ce moment-là de leur carrière, souvent entre 32 et 38 ans, ont d’autres
priorités de vie ? Les personnes qui pourraient les promouvoir qui pensent
qu’elles ont d’autres priorités ? Ou qui ne les imaginent pas incarnant
ces postes de managers ? Les hommes qui se mettent davantage en situation
pour solliciter ces postes ? Elles-mêmes qui n’ont pas mis en œuvre les
dispositifs qui permettent de se faire remarquer en complément de leurs compétences
dans l’entreprise (les fameux trucs et astuces dont je parle dans mon livre) ?
Quant au salaire des femmes, il est
vrai qu’il est souvent inférieur à celui des hommes, et cela dès l’entrée dans
la vie active, même pour les plus diplômées. Ou alors, elles sollicitent moins
les attributs du pouvoir : les voitures, les déjeuners à l’extérieur car
hélas, elles « réseautent moins » et ce sont souvent lors des moments
« d’amicalité » que l’on obtient beaucoup d’informations, business,
où l’on découvre les opportunités de carrière.
-Frédérique Cintrat : J’ai été
stupéfaite à la lecture du rapport de
Chantal Jouano sur les
stéréotypes : les représentations dans les médias, les publicités, les
films, les magazines sont encore ultra-stigmatisants, les filles dans le
paraitre, le dévouement, le domestique, les rôles de second plan…Ce sont ces
modèles que garçons et filles découvrent.
Vous abordez la question des
médias : les femmes sont sous représentées alors qu’il existe de
nombreuses expertes qui ont toutes les capacités et compétences pour
s’exprimer. C’est la vocation
d’associations telles que Vox Fémina
à laquelle j’appartiens qui réunit un
vivier « d’expertes » susceptibles de prendre la parole sur
des sujets très variés, contribuant ainsi à une meilleure mise en visibilité
des femmes sur des sujets pointus.
Revenons au rôle de l’éducation ?
Celui-ci est primordial : l’éducation des parents, celle de l’école. L’éducation
est-elle stéréotypée ou non, l’esprit de curiosité de l’enfant, de la petite
fille, est-il aiguisé ainsi que le sens de la répartie, la liberté de
mouvement, la prise de risque. Quel regard porte-t-on sur la petite fille ? Françoise
Giroud avançait l’idée que l’ambition était transmise par la mère, alors
qu’Elisabeth Badinter soutenait
qu’elle était transmise par le père qui symbolisait la puissance et l’ouverture
sur l’extérieur. Brigitte Grésy dans
son dernier livre « La vie en rose » met en exergue les différences
dans la construction des filles et des garçons à travers à l’image qui est
portée par la société tout entière indépendamment de l’éducation que chacune a
pu avoir.
Le poids des traditions familiales, de la culture, des religions sont également
très prégnants.
Vincent Cespedes, qui a étudié
l’ambition sous un angle philosophique, parle d’un « hélas », à
savoir que l’on devient ambitieux à cause d’un hélas d’un parent, d’un tuteur.
Ce pourrait s’appliquer aux femmes comme aux hommes : l’ambition nait-t-elle d’une revanche, sociale, ou familiale, d’un
regret ? Deux des femmes qui se sont confiées dans mon livre l’ont
reconnu : c’est le départ du père du foyer familial, lorsqu’elles avaient
une dizaine d’années et le dénuement dans lequel la famille, est restée qui a
fait naître cette ambition.
Parfois, cette ambition, est née bien plus tard même si le terreau était
probablement fertile : des bonnes rencontres, conjoint, mentor au sein des
structures qui ont donné confiance et rendu possible son émergence.
Les trois femmes d’âge « mûr » que j’ai interrogées avaient
probablement une ambition latente mais se sont données les moyens de la réaliser
vraiment à partir de l’âge de 45 ans. Moi, j’en déduis que l’ambition n’a
pas de sexe, mais n’a pas d’âge non plus.
-Frédérique Cintrat : Les
réseaux peuvent agir au niveau du lobbying
pour œuvrer en faveur de la mixité auprès de instances dirigeantes, à un
niveau politique, mais ils permettent surtout aux femmes de rencontrer des
rôles modèles, d’échanger sur les sujets liés à la vie professionnelle. Elles partagent leurs préoccupations et centres
d’intérêt, prennent confiance lorsque c’est nécessaire, vont chercher de l’énergie,
en donnent, découvrent souvent l’entraide et la solidarité. Parfois et il ne
faut pas le nier ces réseaux, comme tout réseau, facilite les liens professionnels sur des projets ou des affaires.
C’est souvent, pour les femmes, un premier pas dans le « fonctionnement en
réseau ». Pour ma part, j’ai besoin d’évoluer en complément des réseaux
« féminins », dans des réseaux sectoriels, donc mixtes, qui sont des
lieux d’échanges professionnels et de business compte tenu de ma fonction
commerciale également ceux qui œuvrent pour la mixité.
Je viens de me lancer dans l’entrepreneuriat et l’une des offres que je propose
consiste justement à accompagner les
femmes dans leur mise en visibilité et leur fonctionnement en réseau.
-Frédérique Cintrat : Selon
moi, lui donner beaucoup d’amour, mais pas la surprotéger. L’élever comme un enfant et pas comme une fille,
lui permettre d’être libre de ses mouvements, l’éveiller avec des jeux stimulants
et pas de confinement domestique, l’ouvrir sur l’extérieur, lui donner le goût
du risque, de l’apprentissage, de la découverte du challenge, l’encourager.
-Frédérique Cintrat : Dans la
mesure où je réfute les modèles enfermants pour les femmes, notamment ceux qui
confinent les femmes dans la sphère privée, il est évident qu’ils vont pour moi
dans le bon sens.
Il ne s’agit pas de nier les différences de sexes mais d’autoriser chacun et chacune
à suivre la voie qui lui convient et en permettant qu’il ait, et donc qu’elle
ait, le libre choix (sans croyance limitante).
-Frédérique Cintrat : Moi je
lisais plutôt Elisabeth Badinter,
Françoise Giroud (même avant de les rencontrer). Mais j’avoue que ce sont
davantage les ouvrages de Benoite Groult
qui ont marqué mon adolescence et ont probablement éveillé ma prise de
conscience.
-Frédérique Cintrat : Je
connais moins cet univers car je me considère comme une « femme
d’entreprise » qui a écrit un livre et non comme une femme de lettres, une
écrivaine.
Le monde de l’édition est pourtant très féminin et quelques femmes dirigent
depuis quelques années certaines maisons célèbres, même si souvent ce sont les
hommes qui sont majoritaires dans les comités de direction. Est-ce la condition
sine qua non pour que cela se
répercute sur le monde de la littérature, sur les auteures et la reconnaissance
de celles-ci ? Peut-être ? Pourtant les
lecteurs sont majoritairement des lectrices… Comme dans tous les secteurs,
il y a encore des progrès à faire, mais je suis optimiste !
Propos recueillis par Olivia Phélip
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