Les enquêtes du commissaire LOÏC FLOCH
Au fin fond de la Bretagne (extrait)
POREE YANN
A Manon et Lucas
Copyright © 2016 Yann Porée
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TABLES DES MATIERES
1 Le cadavre sans pied ............................................................ 4
2 La Marine ............................................................................ 10
3 Sans culotte ......................................................................... 16
4 Loïc entre en jeu .................................................................. 21
5 Le cadavre éventré .............................................................. 28
1Le cadavre sans pied
Au loin, les cloches de l’église de Saint-Fègue tintent à six reprises, surprenant le coq, honteux de ne pas s’être réveillé. Lucien Lardic termine son bol de café, mâchonnant avec un plaisir non dissimulé le morceau de lard qu’il a acheté au marché de Lesneven. Il faudra qu’il pense en racheter. Depuis que sa femme Louise est décédée, d’usure et de vieillesse selon le docteur Pichon, il a du mal à tenir la maison. Quand ce n’est pas l’huile qui manque, c’est le sel, le sucre ou la farine. Seuls le beurre et le lard n’ont jamais fait défaut et ne le feront jamais. Fils et arrière-petit-fils de paysan, il est des habitudes et des plaisirs qui sont ancrés dans les gènes.
À 72 ans, Lucien n’a pas eu la chance d’avoir d’enfants avec la Louise. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Matin, midi et soir, au grand désespoir de sa belle qui ne refusait guère le plaisir, mais qui y voyait une perte de temps. Entre les vaches, les chevaux, les poules, les cochons et les travaux des champs, les journées étaient bien remplies. L’exploitation a été reprise par un neveu. Bien qu’à la retraite, Lucien a gardé un peu de terre et cultive blé, échalotes ou maïs.
La fraîcheur en ce lundi 18 août 2014 annonce peut-être la fin de l’été. Les grandes marées de la mi-août s’accompagnent souvent d’un changement de temps, plus frais, plus pluvieux. Ce n’est pas pour rien que le grand-père fixait cette période pour la fin des moissons. Perdu dans ses pensées nostalgiques, il feuillette le Télégramme de Brest qu’un livreur a déposé dans sa boîte aux lettres à cinq heures, comme chaque matin. Il commence toujours par les avis de décès et termine par la météo. Pas de mort connu ce matin, pas de soleil prévu non plus. Comme pratiquement chaque jour, la pluie est annoncée. Cela ne lui fait ni chaud ni froid. Ah ! S’ils savaient, les Français, que la Bretagne est une des régions les moins pluvieuses de l’Hexagone, que le climat y est aussi doux que le cidre de la mère Le Borgne, que les météorologues sont incompétents à donner les bonnes prévisions, alors notre beau pays serait envahi de touristes. Déjà, du temps d’Albert Simon (1) quand, de sa voix radiophonique si particulière, il annonçait : « il pleut sur la Bretagne » et que dans le même temps un coup d’oeil par la fenêtre laissait apparaître un soleil éclatant, le grand-père s’écriait d’un air gourmand : « T’as raison, petit gars, reste chez toi et ne viens pas nous emmerder » et il terminait invariablement son propos par « Parigot ».
1 Célèbre homme de radio français, longtemps chargé du bulletin météorologique de la station de radiodiffusion Europe 1. Sa voix chevrotante est restée dans la mémoire collective des Français.
Les pages du journal défilent, sans qu’il y prête vraiment attention. Les images n’attirent même pas son regard. Que la vie de veuf est difficile, que la solitude est pesante, que la monotonie est lassante. Lucien se lève brutalement, faisant choir la chaise. Une larme coule le long de sa joue et il marmonne assez fort pour qu’on puisse l’entendre : « Louise, ma petite Louise, tu me manques ». Il est temps d’aller récupérer les « rounds baller » de paille à Pencoat, dans le champ du haut. Celui du bas accueille le maïs qui ne sera coupé qu’en octobre.
Le tracteur Massey Ferguson, malgré ses quarante ans de bons et loyaux services, démarre au quart de tour. Le moteur, quoique un peu bruyant, tourne comme une horloge. Le jour est levé lorsqu’il prend la route. Trois kilomètres plus loin, les deux maisons, à l’entrée du chemin communal qui mène au champ, semblent endormies. L’une est occupée par Fernand Moisy, un inspecteur des impôts à la retraite, quatre-vingt-quinze printemps au compteur. Il s’est retiré en 1990 dans cette petite maison, héritage de ses parents. L’autre maison est occupée par un jeune couple, Yann et Eloïse Le Flot et leurs enfants, Yoann et Gaëlle. Lucien connaît bien Yann, ancien propriétaire d’un restaurant au lieu-dit « beau chêne », hameau de Plouguerneau, la commune voisine. Lucien y a souvent mangé. On pourrait même dire festoyer, car le restaurateur l’a plusieurs fois ramené à la maison, dans un bien triste état. Hélas, il y a deux ans, la conjoncture peu favorable aura eu raison de ce commerce sympathique. Une liquidation judiciaire de plus, mais où va la France, où va la Bretagne, où va Plouguerneau ?
Plongée dans ces sombres pensées, une secousse inhabituelle le ramène à la réalité. Il stoppe le tracteur et regarde derrière lui. « Merde », s’écrit-il, « mais qu’est-ce que c’est ce truc ». Un pantalon gris clair est en travers du chemin. Lucien s’approche. Au bout du pantalon, une veste de même couleur, dissimulée dans le bas-côté, laisse apparaître une chemise rose, déboutonnée. Il ne peut retenir un hurlement lorsqu’il aperçoit deux yeux grands ouverts, le fixant intensément. Un trou béant à la place du nez fige à jamais cette image d’effroi dans le subconscient de notre paysan hagard, incapable de réagir. Il lui faudra de longues minutes avant qu’il puisse s’élancer vers la maison de Fernand.
- Au secours, au secours.
La fenêtre de l’étage s’ouvre et apparaît un vieillard vêtu d’un pyjama vert pomme, un bonnet de nuit sur la tête. Les yeux encore emplis de sommeil, il l’interroge :
- Mais que t’arrive-t-il ? Tu n’as pas encore dessoûlé ?
- Ne déconne pas, c’est affreux, descends vite.
- Bon Dieu de bon Dieu, tu vas enfin me dire ce qui se passe.
Des bruits de pas résonnent dans l’escalier et la porte d’entrée s’ouvre. Dans sa précipitation, Fernand a enfilé sa robe de chambre à l’envers.
- Viens vite, il y a un macchabée dans le chemin.
- Un macchabée, un macchabée, mais tu délires mon pauvre Lulu, tu dérailles complètement.
Ils se précipitent vers ce qui ressemble à un monticule et force est de constater que c’est bien un corps, terriblement mutilé. Les deux pieds ne sont pas cachés par le bas du pantalon, mais tout simplement absents. La main droite manque également et sur la gauche, seul le pouce subsiste. Les deux hommes sont terrassés, incapables de prononcer un mot. Ils tambourinent à la porte des Le Flot, mais, seul le chien répond.
- C’est bizarre, ils devraient être là, ils doivent dormir.
- Mais téléphone donc à la gendarmerie, dépêche-toi.
- Du calme, du calme, il ne va pas s’envoler, le cadavre.
- C’est bien vrai, sers-nous donc un remontant.
Les deux hommes s’affalent sur le canapé. Le niveau de la bouteille de gnole, posée sur la table, diminue à vue d’oeil.
- Quelle affaire, quelle affaire, ne cesse de répéter Lucien.
- Ce n’est pas en disant ça que l’on va la faire avancer, j’appelle les « bleus ».
Il ne faut pas moins de trente minutes pour voir les gendarmes de Lesneven débarquer.
Le brigadier-chef Le Grand, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, sort avec difficulté de la Clio sous le regard amusé de nos deux hommes, un peu attaqués par la liqueur de pomme à présent complètement disparue de la fiole.
- Qu’est-ce qui vous arrive, bande d’ivrognes, qu’est-ce que vous avez encore fait comme conneries ?
- Aucune chef, mais, venez voir.
Accompagnés du gendarme Roudaut, ils se dirigent tous les quatre vers l’objet de cette agitation.
Oh ! On ne rigole plus. Appelle le commandant, Roudaut, dis-lui de prévenir le procureur.
Il fouille en vain les poches du complet gris et en attendant la scientifique, balise l’endroit. De retour chez Fernand il ne rejette pas le verre que ce dernier lui tend. Ah, il en a vu, des cadavres pendant sa carrière, il en a vu des vertes et des pas mûres, mais, des comme ça, jamais. La pâleur de son visage traduit une vive émotion.
2La Marine
Un froid piquant, inhabituel en Bretagne, ternit un peu l’immense joie qui anime Jean ce matin de février 2013. Avec émotion, il tourne la clef de la porte vitrée et commence alors les meilleures années de sa vie, mais il ne le saura que plus tard.
En décembre dernier, il a « posé la casquette », expression bien connue du côté de Brest lorsque l’on quitte la marine. Il n’aurait jamais imaginé, en 1978, lors de son entrée à l’école des mousses, se retrouver 35 ans plus tard dans cette commune de Plouguerneau. Son nom, Jean Breton, s’impose pourtant à ce coin de la Bretagne si cher à son coeur.
Sa vie de marin dans la royale est émaillée d’images fortes qui jamais ne le quitteront. De son premier embarquement sur le Georges-Leygues comme matelot, en 1979, en passant par ses formations, BAT en 1980 et BS en 1990, ses embarquements : le Jacques Cartier à Tahiti en 1985, la Durance, le Var, le Charles-de-Gaulle et pour terminer le Duguay Trouin comme patron radio, il ne regrette rien. À travers les nombreux pays, les nombreuses villes traversées, il ne retient que du bonheur, des rencontres extraordinaires, des moments enfouis au plus profond de lui, mais prêts à ressurgir à chaque instant. Son seul regret est de ne pas avoir consacré le temps nécessaire pour fonder une famille. Mais n’était-ce pas pour jouir égoïstement de ces moments qu’un partage aurait amoindris ? Il n’a que cinquante ans et rien n’est perdu.
C’est la tête pleine de pensées positives qu’il ouvre la porte de l’unique commerce de ce hameau un peu à l’écart du bourg. Le nom : « La marine » a sûrement été déterminant lorsqu’il a décidé de reprendre ce bar. À la première visite, il est tombé amoureux de ce lieu extraordinaire. En garant sa voiture ce jour-là, une dizaine de pétanqueurs chevronnés lancent les boules sur le terrain qui prolonge le grand parking. De grands bacs fleuris rendent les lieux apaisants. De l’autre côté de la route départementale, à droite, une église et ses dépendances en pierres apparentes ne peuvent laisser indifférent tellement l’endroit semble paisible, habité de grâce. À gauche, un petit cimetière montre, par le fleurissement des tombes, l’attachement des habitants à leurs anciens. Les couleurs extraordinaires rendent le lieu presque joyeux. Des jardinières sont délicatement posées sur un muret s’étirant jusqu’à l’église. Un peu en retrait d’une terrasse pavée pouvant accueillir quatre à cinq tables se dresse une petite maison dont l’enseigne : « Bar-Jeux-Billard-Pétanque - La Marine » est située à mi-hauteur de la façade. Les linteaux des fenêtres et de la
porte au rez-de-chaussée sont peints en bleu, apportant à la façade de couleur crème une touche de gaîté.
À gauche de la porte d’entrée, dans une boîte vitrée de bois rouge, une feuille manuscrite indique le prix des boissons. Au-dessous, un morceau de tuyau en PVC sert de boîte aux lettres.
Les doigts engourdis peinent à actionner l’interrupteur pourtant placé à proximité de la porte. La lumière finit par jaillir éclairant un bar massif courant sur plusieurs mètres avant d’entamer un coude le prolongeant de deux mètres. Le plateau en bois ciré est posé sur un meuble orné de trois panneaux de bois sculpté représentant des scènes paysannes. Au-dessus de ce meuble massif, à ras de plafond, décorant l’arrière des placards du haut, trois panneaux sont posés à l’identique. Derrière, dans un comptoir collé au mur sont intégrés 3 frigos et 2 placards surmontés par la machine à café. Un évier, une machine à laver et 3 placards sont dissimulés sous le plateau du bar. Des verres de toutes formes et de toutes tailles posés sur des étagères de même matière se reflètent dans un miroir qui tapisse le mur sur toute la longueur du comptoir.
En face, le mur en pierre apparente est équipé d’une grande cheminée qui ne demande qu’à crépiter. Aucune difficulté pour imaginer la flamme vive caressant la poêle emplie de châtaignes. L’image est tellement forte que l’odeur semble atteindre les narines de Jean et emplit son coeur d’un immense bonheur.
Sans plus attendre, il jette une allumette dans le foyer où la veille il a préparé le petit-bois. Les bûches posées à côté de la cheminée ne demandent qu’à rejoindre l’âtre. Au-dessus, un ancien licol en bois vernis transformé en miroir rappelle l’origine paysanne du lieu.
Les hauts tabourets, en bois tourné, sont posés devant une barre de bois, à 20 cm du sol courant tout le long du bar, prête à accueillir les pieds des clients.
À gauche de la pièce, une porte donne sur une petite cuisine aménagée. Les meubles en bois massif clair contrastent avec le chêne foncé du bar. Machine à laver la vaisselle, congélateur, frigo, plaques à induction, double évier, tout pour préparer de bons repas. Après le coude du plateau, une salle de 50 m, toute lambrissée, laisse apparaître 6 grandes tables et une douzaine de plus petites. Au centre, un billard, un baby-foot et une cible à fléchette dernier cri attendent les clients. Un écran de télévision est fixé au mur. Sur le lambris, des colombages de bois tourné, posés à espace régulier, contribuent à rendre cette salle chaleureuse. Trois grandes baies vitrées à gauche donnent sur une deuxième terrasse découverte qui outre l’abri à bois accueille quatre petites tables. Une palissade garnie de jardinières la sépare d’un ruisseau au
débit assez soutenu. Un petit chalet de bois clôt cet espace plein de charme.
Au fond de la salle, un rideau cache une petite pièce équipée d’un lavabo et d’un w.c.
Près des toilettes, à droite, une porte dissimule un escalier qui mène à la partie privée s’étendant sur deux étages. Le premier accueille une salle de bains et une salle à manger salon, le deuxième étage deux grandes chambres.
Jean ouvre les doubles rideaux des baies vitrées et aussitôt une lumière éclatante caresse les poutres apparentes du plafond. Comment ne pas tomber amoureux de ce lieu magique plein de charme, le paradis à portée de main ? À l’occasion, si vous passez dans le coin, n’hésitez pas à franchir le seuil de la porte, le bar est ouvert tous les jours de 9 heures à 14 heures et de 17 heures jusqu’à une heure, à l’exception du mercredi, jour de fermeture hebdomadaire. Il est temps d’allumer la machine à café.
Louis, le premier client, franchit le seuil à 9 heures tapantes.
- Salut, jette-t-il d’un air bougon. Il fait froid ce matin.
- Bonjour, hé oui ! le printemps est encore loin, un petit café ?
- Non, j’ai déjà déjeuné. Sers-moi un petit blanc.
Il a l’air contrarié lorsque la bouteille de vin est relevée. D’un doigt, il pointe le verre. Un espace entre le contenu et le bord du verre est apparemment de trop. Jean remplit le verre à ras bord, se jurant bien de ne pas renouveler une telle faute.
- Un verre, c’est un verre.
La découverte des clients sera un des moments forts de cette nouvelle expérience. Sous ses airs un peu rudes, Louis cache une grande gentillesse. Pourtant, la vie ne l’a pas préservé. Âgé de soixante-deux ans, il est retraité depuis quelques mois. De taille moyenne, plutôt maigre, son dos voûté, souvenir de son dur métier de maçon, accuse le poids des ans, bien au-delà de son véritable âge. Depuis deux ans, sa femme est partie avec Henry, son meilleur ami, le laissant inconsolable. Pour être honnête, la Jeanne n’est pas à blâmer. Jamais femme ne fut plus trompée, jamais femme ne fut plus battue, surtout les soirs où fortement alcoolisé il rejoignait le foyer conjugal.
3Sans culotte
Un an et demi plus tard, Jean est bien intégré à Plouguerneau. De patron de bar il est devenu ami, puis confident des hommes et femmes qui franchissent la porte de son estaminet. Aujourd’hui, il comprend mieux cette société souvent inhumaine que nous avons tous contribué à créer. Des joies, il y en a, mais elles restent bien minces devant les peines et les souffrances.
C’est en fin de matinée d’août 2014 que Yann arrive. Ancien propriétaire du « Beau chêne », il remonte doucement la pente. Toujours jovial, il est très apprécié dans les alentours. Pilier de l’équipe de Rugby, du haut de ses 1m90 et de ses 100 kg, jamais un de ses clients, même en état d’ébriété avancée, ne lui a manqué respect. Il lui suffit de lancer d’une voix ferme : « maintenant, ça suffit » pour qu’un début de bagarre cesse immédiatement.
Debout devant le comptoir, son regard semble perdu, lointain, plein de détresse.
- Salut, Yann, un petit café ?
- Non, sers-moi un petit café.
Perplexe, Jean pose la tasse fumante devant lui. Il ne dit rien, prend le sachet de sucre et le tourne et retourne dans ses immenses mains. Le silence pesant est interrompu par l’arrivée de Lucien. 17
- Salut la compagnie.
- Bonjour, comment c’est aujourd’hui ?
- Une catastrophe, sers-moi un petit.
- Un petit noir ?
- Non, patate, un petit blanc.
- Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es tout pâle.
- Tout pâle, tout pâle, mais, c’est normal, non de Dieu, c’est normal.
Jean et Yann se regardent, inquiets.
- On est en train de le perdre, j’appelle le SAMU.
- Mais ça suffit, l’heure est grave. On a retrouvé un cadavre à Pencoat.
- Mais Yann, c’est chez toi.
- Oui, quand est-ce arrivé ?
- Cette nuit.
- Ça alors, en partant ce matin à 7 heures, je n’ai rien vu.
- Et ta femme ?
- Elle a dormi à Plouguerneau chez sa mère et les enfants sont à Brest chez mes parents.
- Je l’ai trouvé dans le chemin communal en allant au champ ; un cadavre sans pieds, sans nez, les mains mutilées. Sers-moi un autre verre.
- Et qui donc est ce mort ?
- Inconnu au bataillon, jamais vu dans le coin.
La nouvelle a fait le tour des environs à la vitesse d’un éclair. Jean Claude, Yvon, Jacques, Amélie, Françoise, Lucien, Fred, Sylvie, le bar se remplit et chacun y va de son commentaire. Tout le monde semble fatigué. Il faut dire que la soirée de vendredi dernier est encore dans toutes les têtes et dans tous les corps. Un Karaoké qui restera longtemps dans les mémoires. L’ancienne femme de Louis, Jeanne et son nouveau copain, Henry, ont terminé la soirée, nus comme des vers, debout sur le comptoir, en chantant à pleine voix la Marseillaise.
Louis ne voulant pas être en reste a entrepris d’enlever son pantalon. Bien attaqué par les nombreux verres de vin blanc, il s’est empêtré dans le vêtement, est tombé à terre et n’a jamais pu se relever. Hélas , il était dehors sur la terrasse et personne ne l’a vu. Ce n’est qu’à la fermeture que Jean l’a trouvé. Il l’a bien sûr ramené chez lui.
Jean Claude, célibataire au chômage depuis que son entreprise de découpe de porc a fermé, s’est lâché complètement. Un nez proéminent et des oreilles immenses ne l’avantagent guère. Mais attention de ne pas le lui faire remarquer. Plutôt petit, c’est un faux maigre. La veste en daim qu’il ne quitte jamais cache en fait un corps très musclé, que nombre d’habitants de Plouguerneau ont apprécié à leurs dépens. Il a entrepris de draguer Marie Françoise. Cette trentenaire est aussi belle que chiante. Elle n’a jamais réussi à garder un homme plus de quelques mois. Vendeuse dans une parfumerie à Brest, sa vie est un véritable roman. Jean Claude a entrepris de conclure et amène sa conquête vers le cabinet de toilette. Le pantalon et le slip baissés sur les chaussures, il pose sans aucune délicatesse Marie Françoise sur le lavabo. Un grand fracas l’empêchera d’attaquer sa petite culotte. Ils se retrouvent tous les deux à terre, aveuglés par les deux jets d’eau qui jaillissent des tuyaux d’eaux arrachés dans la chute. Le rideau tenant lieu de porte est arraché et le spectacle déclenche dans la salle un immense rire. Peu importe si les deux amants poussent des cris hystériques, jamais scène ne fut plus drôle.
Le patron coupe l’eau et arrive non sans mal à démêler les deux corps complètement trempés. Le sexe de Jean Claude, sûrement refroidi par l’eau n’est pas à son avantage et il gardera sûrement longtemps le surnom de « Tite quéquette ». Tout un chacun aura apprécié la belle plastique de Marie Françoise, dont le minuscule String mouillé ne dissimule pas grand-chose. Tout ceci s’est terminé devant une bouteille de champagne, offerte par les protagonistes bien penauds.
Ah ! Quelle soirée ? De nombreuses photos compromettantes existent et nombreux sont ceux qui
craignent qu’elles soient rendues publiques. Yann, présent à ces festivités, a promis que celui qui les publierait prendrait une correction dont il se souviendrait jusqu’à la fin de ses jours. Cela a été suffisant pour enlever toute velléité aux éventuels corbeaux.
4Loïc entre en jeu
Loïc Floch est attablé à la terrasse du « Flore », boulevard Saint-Germain. Le soleil a du mal à percer en cette fin d’été sur Paris. Le ciel est gris et il fait un peu frisquet. Il touille avec mollesse sa tasse de café-crème et hésite à prendre un des croissants posés dans la corbeille près de lui. Ses traits tirés laissent supposer une grande fatigue. Il revient pourtant du club Yasmine, à Djerba. Hélas, il n’a que peu profité de la Thalasso et des piscines de ce complexe touristique. En mission recommandée (2), il a une nouvelle fois frôlé la mort.
2 Voir Loïc Floch enflamme Djerba, même auteur
Personne ne sait exactement qui est cet homme d’une cinquantaine d’années, au physique neutre, ni beau ni laid. Mensurations : 1 m 72, 70 kg, les cheveux blonds, courts et coiffés en brosse grisonnent sur les tempes. On devine un corps musclé sous la chemise largement ouverte sur un torse imberbe. Le front plutôt large surmonte un nez un peu épaté et une bouche charnue. Les yeux d’un bleu presque transparent ne laissent guère indifférents. Adepte des tenues décontractées, il réserve le costume cravate pour ses rendez-vous avec son patron, très à cheval sur l’apparence.
Pour sa famille et ses amis, Loïc est inspecteur des impôts, détaché au ministère de l’Intérieur. En fait, ce
n’est qu’une couverture. Il est commissaire divisionnaire, directement sous les ordres du directeur général de la police nationale. Personne ne sait qu’il a suivi une formation de commando marine à la base de Quelern à Roscanvel, dans sa Bretagne natale. Personne ne sait qu’il a suivi une formation de tireur d’élite au sein du GIPN. Personne ne sait qu’il parle couramment l’anglais, l’italien et le russe. Pour tous, il travaille aux impôts. Cela ne le rend pas particulièrement sympathique, mais qu’importe, peut-on rêver d’une couverture aussi efficace pour mener ses enquêtes ?
Le vibreur de son téléphone le sort de sa torpeur.
- Bonjour ! alors, elles sont terminées, ces vacances ? Aux frais du contribuable, en plus.
L’enfoiré, ce genre de remarque d’un type qui ne bouge pas les fesses de son fauteuil est insupportable. Avec tout le respect que l’on doit à son patron, Loïc lui répond sèchement :
- Tant que je suis loin de vous, tout va pour le mieux.
- Insolent, mécréant, vous n’avez aucune reconnaissance.
- En effet, c’est à prendre ou à laisser.
Charles sent que son enquêteur préféré est mal luné. Il a lu le rapport de sa dernière mission et il doit bien admettre qu’il a fait du bon boulot. Pas plus tard que ce matin, le ministre de l’Intérieur l’a appelé pour le féliciter.
- Je plaisante, je vous transmets les félicitations de qui vous savez. Au fait, n’êtes-vous pas originaire de Brest ?
- Oui, j’y suis né. Mes parents ont quitté cette ville et habitent Lilia, à une vingtaine de kilomètres.
- Lilia, Lilia, vous vous foutez de moi ?
- Mais pas du tout, votre manque de culture me sidère ?
- De quoi, de quoi, écoutez ceci :
« Oh ! Si vous rencontrez quelque part sous les cieux
Une femme au front pur, au pas grave, aux doux yeux,
Que suivent quatre enfants dont le dernier chancelle,
Les surveillant bien tous, et, s’il passe auprès d’elle
Quelque aveugle indigent que l’âge appesantit,
Mettant une humble aumône aux mains du plus petit ; »
- ?????????????????????
- Alors, je continue ou ça suffit. Sachez, jeune homme, que ce poème de Victor Hugo n’est autre que « Date Lilia », que j’ai étudié à l’école. Sachez d’autre part que Lilia signifie en latin : « Ce qui m’appartient est à Dieu ». Alors, où est la culture ?
Loïc en reste baba. Il savait son patron instruit, mais alors là, ça dépasse tout entendement.
- Ok, touché. En fait, mon Lilia à moi est un des trois bourgs de la commune finistérienne de Plouguerneau.
La conversation reprend un ton plus sérieux :
- Un cadavre a été découvert ce matin à Saint-Fègue, vous connaissez ?
- Le mort, je ne sais pas, mais le village oui.
- Le ministre m’a parlé d’un certain Paul Deguengue directeur d’une banque dont le P.D.G. Jacques Men est un de ses proches amis. Nous marchons sur des oeufs, Loïc, d’autant plus que nous sommes en zone gendarmerie. Le Parquet de Brest leur a confié l’enquête, le capitaine Piéplu pour être précis. Je demande au directeur du Trésor de vous faire un ordre de mission pour un contrôle fiscal du banquier. Je le fais dater du mois dernier, en espérant que la ficelle ne soit pas trop grosse. Vous partez tout de suite. Le TGV part à 11 h 45 de Montparnasse et arrive à Brest à 16 h 11.
Loïc n’est pas mécontent. Cela fait plus de trois mois qu’il n’a pas revu ses parents. Son père, François, ouvrier de l’arsenal en retraite, s’est installé dans la maison familiale située près de la plage de Saint-Cava. Sa mère, Sylviane est infirmière à la maison de retraite de Plouvien. Ils ont vendu leur maison de Brest et profitent au mieux de ce lieu extraordinaire. La bâtisse, située en face de la plage, est entourée d’une haie de troènes, taillée avec soin. Un sentier mène, à travers les dunes jusqu’à Kastell Ac’h, point de vue unique sur le phare de l’île Vierge. Route de Saint-Cava, Stréat Treuz, Ravagnon, Douar Huel, guère plus de cinq kilomètres pour rejoindre le bourg de Plouguerneau.
Quand Loïc vient en Bretagne, il s’installe dans un petit appartement que ses parents possèdent rue du Carpon, sur la rive droite brestoise. Il est 16 h 30 quand il sort de la gare et prend l’avenue Clemenceau pour rejoindre la station de tram de la place de la liberté. Il ne lui faudra guère plus de 15 minutes pour rejoindre la station « les Capucins », proche de son logement. Bien installé à l’avant du tram, il ressent une forte émotion en descendant la rue de Siam. Non pas pour la chanson de Barbara, mais pour ses souvenirs d’adolescent au « Lafayette », bar-tabac où il a eu ses premiers émois amoureux, il y a maintenant bien longtemps. Aussitôt passé le pont levant, Recouvrance apparaît dans toute sa complexité (3).
3 Voir Loïc Floch se perd rue de Saint-Malo, même auteur.
C’est en haut de la rue Vauban que se dresse l’école Saint-Sauveur où il a usé ses fonds de culotte. Les immeubles de Quéliverzan, qui surmontent la Penfeld, rivière se jetant dans la rade de Brest, le ramènent à la réalité. Il descend juste avant la fermeture des portes et s’engage dans la rue du Carpon.
Le commissaire passe par le garage avant de monter à l’appartement pour voir l’état de la vieille Peugeot qu’il est le seul à utiliser. Le moteur démarre après quelques coups de démarreur, éternel miracle de la mécanique.
Une douche plus tard, La 305 prend la direction de Saint-Fègue. Landerneau, Le Folgoët, Saint-Fègue, il est 19 heures quand il arrive. Le bourg est silencieux. Pas âme qui vive. Il prend la direction de Pencoat et s’arrête à la hauteur de la maison des Le Flot. Aucune lumière, l’obscurité est totale. Le bruit de la voiture a dû réveiller le chien, car des aboiements rompent le silence. Un coq, sûrement mécontent d’un réveil si brutal, y va de son cocorico strident.
Au loin, plusieurs chiens prennent le relais. La discrétion de notre superflic n’est pas un modèle du genre. Chez Fernand Moisy, les volets sont ouverts, mais aucune lumière ne filtre. Loïc imagine le corps de Deguengue horriblement mutilé allongé dans le chemin.
Une image furtive le sort de sa torpeur. Il lui semble avoir vu un rideau bouger chez Fernand et il croit même apercevoir le sosie de l’ancien dictateur Jean-Bedel Bokassa. Il a bien eu des démêlés avec cet homme au début des années 1990, mais pas au point d’en avoir des visions. Il est temps qu’il dorme un peu. Il s’ébroue et prend rapidement la direction de Plouguerneau.
Il est 20 heures quand il ouvre la porte du bar de la « marine ». Le patron est seul derrière le comptoir, occupé à essuyer des verres.
- Bonjour. Une pression, s’il vous plaît ?
- Une Saint Omer ?
- Oui. Ce n’est pas la grande foule ?
- Le lundi, les sportifs sont à l’entraînement de rugby et les fêtards récupèrent de leur week-end. Vous êtes du coin ?
- Non, je suis de Brest, mais mes parents ont une maison à Saint-Cava. Je rentre de voyage et je reprends contact avec la vraie vie.
- Ah bon, vous étiez au paradis ?
- Presque, à Djerba.
- Alors, je comprends mieux. Vous savez que nous avons eu un crime.
- Un crime ! À Plouguerneau, ce serait bien la première fois, vous plaisantez.
- Non, à Saint-Fègue, près de chez Fernand Moisy.
Il est à présent trop tard pour aller saluer les parents. Loïc rentre sur Brest et décide de se coucher sans manger. Il a pas mal de sommeil à rattraper.
5Le cadavre éventré
Le réveil posé sur la table de chevet ne peut éviter le grand bras qui le projette contre le mur de la chambre. Une série de jurons précède un homme de grande taille dans la cuisine de ce petit appartement de la rue du Four à Plouguerneau. Depuis son divorce, le grand Hervé, comme l’appellent ses copains du bar de la marine, a laissé à son ex la maison qu’il a pourtant bâtie de ses mains. La location d’une chambre avec une cuisine et une salle de bains suffit à son bonheur et surtout à son salaire de plombier. Il travaille chez un entrepreneur d’une commune voisine et fait partie des clients que Jean Breton aime voir franchir la porte du bar.
Hervé est toujours en forme, très bon camarade, toujours prêt à rendre service. Un peu trop, même, car beaucoup en profitent. Du haut de sa quarantaine, c’est un gars assez exceptionnel. Il lui arrive toujours des aventures hors du commun, tant professionnelles que personnelles.
Ce matin, il doit terminer un chantier chez madame Baron, locataire de la villa « les mouettes » à Saint-Michel. Il a installé le mois dernier une baignoire et il ne lui reste plus qu’à brancher les arrivées d’eau et fixer les w.c.
En buvant son café, il pense à ce réduit de 4 m² que la plaque posée sur la porte nomme salle de bains. Le 1,90 m qu’il accuse sous la toise lui pose quelques problèmes dans son travail, les petites pièces étant malheureusement son lot quotidien.
Hier, il s’est couché tard et le manque de sommeil marque son visage. Il faut souligner qu’il a écumé les estaminets des environs, rapport au meurtre. Bar après bar, verre après verre, sa voiture l’a reconduit chez lui à 2 heures du matin. Le temps de grimper au deuxième étage, de trouver la poche contenant les clefs, de viser le trou de la serrure, de boire une dernière bière et les trois heures sonnaient au clocher de l’église. Ceci explique le sort réservé au réveil. Quant aux informations qu’il a pu glaner, il n’en a plus aucun souvenir. Il faudra qu’il retourne chez Jean.
Sa montre affiche huit heures quand il monte dans sa voiture. Il espère bien finir le travail rapidement. La première étape est le repérage des arrivées d’eau chaude et d’eau froide, en plaçant des pastilles rouges et bleues. En s’allongeant les jambes en chien de fusil, la trappe sous la baignoire est accessible et il ne lui faut pas plus de 2 minutes pour placer les marquages. Il passe le bras dans la trappe, la clef à molette dans la main. À tâtons, il se saisit du flexible et commence à le visser sur la robinetterie. Il lui faut une demi-heure pour terminer les branchements. Il peut maintenant fixer les w.c..
Une perceuse et un foret à béton plus tard, l’ustensile est opérationnel. La mise en eau se passe bien, pas de fuite, un vrai travail de pros. Il ne lui reste plus qu’à se laver les mains. Et alors, c’est la catastrophe, les arrivées d'eau chaude et d'eau froide sont inversées. La fin de la matinée est proche. Si tout se passe bien, en moins d’une heure l’affaire devrait être entendue. Hervé se remet en position pour investir la trappe, mais est bien sûr gêné par les w.c. qu’il a installés entre-temps. Il s’allonge, passe une jambe à gauche de la cuvette et l’autre en l’air contre le mur, le bras entre dans la trappe, la main armée de la clef à molette, il dévisse l’arrivée d’eau froide. Hélas, il a oublié de fermer le compteur d’eau. Un geyser jaillit par la trappe, accueilli par une série de jurons à faire pâlir d’effroi le plus vulgaire des charretiers. Il lui faudra plusieurs minutes pour s’extirper de ce réduit et couper l’eau qui inonde une bonne partie du rez-de-chaussée. Heureusement que la locataire s’est absentée pour plusieurs semaines.
Un peu penaud, il monte à l’étage chercher de quoi éponger. Trois portes sur le palier donnent sur les chambres, la quatrième s’ouvre sur un escalier qui monte au grenier. Jamais il n’aurait dû ouvrir cette dernière porte. D’autant plus que les plaques posées indiquent clairement l’usage des pièces : chambre bleue, chambre rose, chambre violette, grenier. Mais pour Hervé, c’est génétique, il peut être assuré qu’il ne trouvera ce qu’il cherche que derrière la dernière porte qu’il ouvrira. En voyant l’escalier, il aurait dû rebrousser chemin. Et bien pas lui, il le monte allègrement. L’obscurité ne l’arrête pas. Il tâtonne et trouve l’interrupteur. Une lumière vive l’éblouit et c’est en fermant à moitié les yeux qu’il débouche sur un espace encombré d’objets hétéroclites.
Au fond, un matelas posé sur le sol attire son attention. Il n’en croit pas ses yeux : un homme dort, la couverture remontée jusqu’au cou. Il semble paisible, reposé. La mère Baron lui a confié les clefs de sa maison et il se sent responsable. Il décide de le réveiller en le secouant. La couverture tombe à terre, laissant échapper un paquet rougeâtre. Hervé s’évanouit en réalisant que ce sont des viscères qui s’écrasent sur le parquet.
Il reste un long moment inconscient. Lorsqu'il ouvre les yeux, une odeur épouvantable a envahi la pièce. Il rampe jusqu’à la porte, dévale l’escalier et s’élance hors de la maison.
La voiture démarre en trombe. Habitué à son chauffeur, le véhicule prend la direction du bar de la Marine et s’arrête sur le parking. Hervé est incapable de bouger.
Ami lecteur, si vous lisez ces lignes, vous êtes à la fin de l’extrait et j’espère que vous avez pris du plaisir à sa lecture ;
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