Dans « En vérité, Alice » (Sabine Wespieser), Tiffany Tavernier nous livre un portrait de femme, victime de violence conjugale, dont les sacrifices multiples conduiront à l'exaltation, voire la rédemption. Avec en fond, la religion catholique et ses saints. Un surprenant puzzle, qui, comme dans un vitrail, reconstitue les différentes facettes d'une scène illuminée par une lumière extérieure. Pour mieux refléter celle de l'intérieur.
Tiffany Tavernier aime en général les femmes fortes. A l'instar d'Isabelle Eberhardt dans la biographie qu'elle lui a consacrée : Isabelle Eberhardt : un destin dans l'islam (Tallandier). Dans En vérité, Alice (Sabine Wespieser), l'héroïne a au contraire tout d'une femme soumise, victime d'un homme violent auquel elle voue une passion dépendante.
Tiffany Tavernier s'attaque à nous montrer l'envers de la brutalité, le côté obscur de la force, selon la formule consacrée.
« Dans sa réalité, l’univers est un vide où, faute de frottements, les plumes et les pierres tombent à la même vitesse. Un vide qui ne fait jamais signe et auquel Alice, devant la dernière pile de cartons à descendre, ne pense pas. Pas plus à ce drôle de hasard qui, sur le coup, l’avait fait sourire. Elle doit s’occuper de tant de choses depuis son emménagement : poncer, lisser, repeindre les murs, poser les carreaux, choisir un frigo, installer le wi-fi... Par chance, son coude a retrouvé toute sa mobilité. Elle doit faire attention toutefois. Hier, la douleur l’a lancée si fort qu’elle a dû s’arrêter pour aller s’acheter des glaçons. »
Une vie ordinaire, rythmée par les tâches matérielles, donc, et cette étrange dévotion à son homme. Car Alice existe de et par lui, sous une emprise qu'elle refuse de reconnaître. Elle souffre par lui, mais lui pardonne toujours. Tiffany Tavernier décrit l'emprise, la dépendance. L'impossibilité d'exister sans cet autre maltraitant. Elle montre comment la violence devient elle aussi, banale. Presque inévitable. Avec un lourd prix à payer. Se couper de sa famille. Se mettre en danger.
« Toute sa vie était liée à lui. Chaque geste. Chaque décision. Elle était son centre. Il était tous ses repères. Où trouver sa place maintenant qu'il n'est plus là ? Il occupait l'espace, il était son espace. Il il était sa main, son pied, sa bouche, sa parole, sa nourriture. »
La vie d'Alice va basculer lorsqu'elle trouve un travail à l'évêcher, au Promotorat des causes des saints. Cette plongée dans les destins extraordinaires de ceux qui pourraient être canonisés, aux côtés de celles et ceux qui travaillent avec l'évêque, propulse Alice dans un ailleurs mystérieux, mystique. Elle ne croyait pas en Dieu ? Qu'importe.
Elle est fascinée par la lumière qui éclaire ceux qui croient. Une lumière qui lui rappelle celle de son enfance au Guatemala, là où pendant 9 ans, elle marchait en liberté sans chaussures, au rythme des respirations marines. D'une dépendance l'autre ? Une rédemption ou un ultime sacrifice ? Ou l'apprentissage d'une autre voie ?
L'auteure montre bien les ambivalences de son héroïne, ses consciences et ses retours en arrière. Elle accorde une place importante à la documentation de certains saints dont les biographies apparaissent dans tout leur mystère, voire leur étrangeté.
Tiffany Tavernier qui avait déjà levé le voile sur son rapport mystique au monde, se découvre davantage encore dans ces portraits, glissés çà et là dans les interstices de son récit. Personnes qui existent à côté de chacun des personnages. Destins éclairants pour ceux qui veulent les prendre en modèles.
Mais en vérité, que reste-t-il ? La lumière. Par fragments, par incandescence. Comme les rais du soleil qui transpercent les vitraux.
Pour le lecteur, un étrange voyage, entre les ténèbres de la violence domestique et les éclairages religieux. Nul ne sait ce que choisira finalement l'héroïne. Le ciel ou le sacrifice.
> Tiffany Tavernier, En vérité, Alice, Sabine Wespieser, 288 pages, 22 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
> Visionner la présentation en vidéo de Tiffany Tavernier à propos de son livre En vérité, Alice (Réalisation Mollat) :
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