Dans le Journal amoureux 1951-1953 (Stock), on découvre la teneur de la relation qui existait au sein du couple Benoîte Groult–Paul Guimard. Admiration, affection, stimulation...un échange qui permit à l'auteure féministe d'exister pleinement et à Paul Guimard, scénariste de l'icônique Les choses de la vie d'accomplir son destin. Un couple brillant dont l'amour reflète aussi une liberté et une créativité en miroir des années 50. Agnès Séverin se livre à son propre exercice d'admiration pour ces deux personnes magnifiques.
Les gens heureux n’ont pas d’histoire, rappelle Paul Guimard, scénariste des Choses de la vie et conseiller de François Mitterrand à l’Élysée dans ce formidable Journal amoureux. Heureusement, les nuages émaillent aussi la longue histoire d’amour qu’il partageât avec la célèbre figure féministe qu’est Benoîte Groult. Leur franc-parler et leur talent croisé sont revigorants en pleine pandémie de politiquement correct.
Quelle plume ! Les nombreuses.x fans de Benoîte Groult seront heureux de la retrouver, à sa genèse, et de découvrir cet inédit où son art du témoignage caustique est déjà éclatant. Cette langue ouvragée, savoureuse et drôle. Rédigé a posteriori, avec son époux Paul Guimard en 1959, cet épatant (comme disait Jean d’Ormesson) Journal amoureux compte les débuts de leur histoire d’amour et de leur mariage, au début des Trente Glorieuses. Blandine de Caunes, la fille de Benoîte Groult et de Georges de Caunes, que Paul Guimard a élevé, signe la préface avec le même regard acéré, provocateur et tendre.
Son avant-propos est déjà rafraîchissant en pleine épidémie de politiquement correct, de woke et des débats oiseux alors que nous nous trouvons plongés dans une crise globale et gravissime. « Je ne suis pas sûre que ma mère [l’auteur d’Ainsi soit-elle, de La touche étoile et de Mon évasion] approuverait les dérives actuelles d’un certain féminisme… qui discrédite les femmes plus qu’il les aide dans leur juste combat. », écrit Blandine. « La cancel culture, très à la mode depuis peu, n’est ni plus ni moins qu’une forme de Terreur au nom d’un monde meilleur ! : ''Ô Liberté que de crimes on commet en ton nom… ". On n’a plus le droit de dire, ou d’écrire, comme ma mère le fait parfois dans ce journal, certains mots comme sourd, aveugle, vieux ou nègre, et il est mal vu de parler de sa bonne ».
Avant de devenir la grande figure féministe qui rassemble encore les générations, Benoîte Groult a d’abord été une jeune femme en quête d’indépendance. C’est sur le début de ce combat à l’échelle intime que ce Journal amoureux lève un pan du voile. Jouant sciemment les Willy, Paul Guimard, pourtant peu enclin à cet exercice de dévoilement, a la générosité de s’y plier pour encourager sa jeune épouse dans sa vocation. Preuve que les hommes et les femmes peuvent s’entendre sans forcément livrer continuellement bataille (faut-il le rappeler ?).
À l’instar de Benoîte, son regard acéré ne se porte d’ailleurs pas seulement sur la sphère intime. À une Benoîte toujours très sûre de ses jugements, il réplique ainsi par journal interposé, « l’athéisme militant est antipathique, ennuyeux et souvent ridicule ». Paul Guimard est aussi fin observateur, et acteur, de la vie politique. « Camus est un philosophe. Les philosophes répugnent à discuter de faits simples, brutaux, incontestables. L’évolution économique du monde nous entraîne vers le césarisme. Il n’est pas un esprit loyal qui n’admette que la démocratie est une forme de gouvernement périmée (…) Les limites de la justice formelle et de la liberté individuelle se resserrent chaque jour, partout, pour tous. Dans la société de demain, l’Homme révolté ne pourra se concevoir que comme martyr à tirage limité ». Terrible préscience de Paul Guimard !
« On comprend mal que les hommes croient encore à l’ONU alors que l’occasion leur est donnée chaque fois qu’ils vont au cinéma de prendre conscience de leurs goûts véritables. Les hommes aiment la bagarre imbécile d’où l’on revient borgne et ils tuent n’importe comment. Les femmes, quand elles tuent, préméditent et c’est pour cela qu’elles préfèrent le poison (…) elles obtiennent des permis d’inhumer (…) ». Bonne chance pour la suite.
Et laissons la parole à Benoîte : « Et il me reste une fois de plus cette pénible certitude que nous vivons une vie de fous et d’anormaux dans les villes. » Plus loin. « Car il faut à tout prix, dans cette époque absurde, avoir l’air renseigné. C’est un fait bien connu que personne ne lit plus. On se demande même de quoi vivent les innombrables éditeurs ou prétendus qui fourmillent dans Paris. Jamais on a autant publié, jamais on n’a moins lu ». Et dire que les tendances s’accélèrent vitesse grand V avec la pandémie de Covid19 ! À quand le Journal amoureux sur Netflix pour réveiller les esprits ?
Le journaliste et la jeune femme déjà plus tout à fait rangée évoquent surtout leur bonheur naissant. Ils n’hésitent pas à croiser le fer par carnets interposés. Ni l’un ni l’autre n’ont craint de se déplaire, ni éludé les sujets qui fâchent. Et c’est la force de ce journal. « Le problème du couple est insoluble. Le problème de l’éducation des enfants est terrifiant. Le problème des enfants par rapport au divorce est dramatique », avoue Paul.
Il sera bien vite question de ce que l’on peut appeler autrement que l’art de l’adultère. Cette autre forme de fidélité qui dure pour peu que l’on ait les nerfs assez solides pour cela. Affaire de génération sans doute. On a ou on n’a pas connu la guerre, serais-je tenter de dire.
Ce franc-parler et cette lucidité sont aussi l’une des marques de fabriques du clan Groult. On retrouve avec bonheur cette causticité devenue tabou en un claquement de doigts. Nicole Groult avait instauré cette discipline d’écriture quotidienne, doublée d’une totale indiscrétion, en imposant à ses deux filles, Benoîte et Flora, la rédaction de leur journal intime. Le Journal à quatre mains de Benoîte était né. Le début du succès.
L’un des aspects les plus touchants du talent naissant de Benoîte tire précisément sa source, me semble-t-il, de cette honnêteté vis-à-vis de soi-même et aux yeux du monde. En remettant trois-cent-soixante-soixante-cinq-fois sur le métier son ouvrage de diariste, Benoîte Groult parvient, pour traduire et partager ses sentiments et sa vision des choses, à une précision et à une délicatesse de dentellière qui n’ont rien à envier au talent dont Nicole Groult fît montre dans la haute couture durant les Années Folles.
La manière dont elle évoque les joies partagées avec ses deux filles, Blandine et Lison, est autre un cri du cœur. Qui ne rêverait d’avoir une maman comme Benoîte, assez sûre d’elle pour livrer ses fragilités et les métamorphoser en un engagement pionnier ? Role model, elle aurait pu dire, sans jouer les donneuses de leçons comme c’est la devenue la norme : « Courage bien ordonné commence par soi-même ».
>Journal amoureux 1951-1953, Benoîte Groult et Paul Guimard. Préface de Blandine de Caunes. Stock, 263 pages, 19,50 euros.
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