Thriller historique

« La saison des disparus » de Matthieu Sylvander : enquête dans les salons de l’Angleterre victorienne

Entre grands salons et réceptions mondaines, les protagonistes de « La saison des disparus » de Matthieu Sylvander (L'Ecole des loisirs), enquêtent sur de mystérieuses disparitions d’enfants à travers toute l’Europe, dans un monde où les classes sociales dominantes écrasent le reste de la population et que celle-ci tente tant bien que mal de survivre. Ce roman mêlant reconstitution historique et enquête policière plonge le lecteur dans des péripéties et des vagabondages au sein de l’Europe victorienne. Analyse.

Une jeune fille contre la société

La Season est toujours le moment le plus attendu de l’année dans la haute société londonienne de la reine Victoria. Mais alors que quelques privilégiés endimanchés se trémoussent au son des violons, des dizaines d’enfants orphelins disparaissent… Eliza Morwood, jeune provinciale tout juste arrivée à Londres avec sa sœur pour sa première Season, a l’air de trouver cette enquête bien plus intéressante que les valses et autres billets doux. Matthieu Sylvander emmène le lecteur des plus beaux palais aux bas-fonds de la capitale, et de l’Europe tout entière.

Un auteur-sismologue ?

Littéralement ! L’écrivain Matthieu Sylvander est un sismologue à Toulouse et auteur de livres pour enfants. Il a passé son enfance et son adolescence en Haute-Savoie, ainsi qu’en Algérie et en Arabie Saoudite ce qui lui a conféré une très grande ouverture au monde. Il a suivi des études scientifiques à Annecy, Strasbourg, puis Toulouse, où il a passé sa thèse de doctorat en géophysique interne en 1996. Il a demandé à sa sœur, Marie Deparis, d'illustrer sa première histoire, "Les loups ne grimpent pas aux arbres" (2005). Exemple parfait du funambulisme entre littérature et sciences, Matthieu Sylvander avoue également cultiver un penchant pour les personnages excentriques, ce qu’il a tout le loisir de développer dans « La saison des disparus ».

La Season débute mal

1878. Fraichement débarquées de leur petite province anglaise pour l’événement annuel qu’est la Season, les sœurs Eleanor et Eliza Morwood découvrent Londres sous le chaperonnage attentif de leur tante. Alors que la première semble follement se divertir des bals, et avoir rencontré son âme sœur en un aristocrate au nom imprononçable, la seconde s’ennuie et tient plus compagnie au buffet qu’aux humains. Jusqu’à sa rencontre avec un jeune journaliste français, Victor, qui semble partager avec elle le goût du mystère et du voyage. Alors qu’ils sont tous invités à une réception mondaine, ils font la connaissance d’un mystérieux comte venu de Valachie, Zahar Munte. Ce dernier fait des tours de magie avec un essaim d’abeilles, leur parle éducation et contrées lointaines.

Seulement, en parallèle de ce beau monde vivent les gens du peuple, dans les rues et la saleté. Et depuis quelque temps, on constate de mystérieuses disparitions d’enfants orphelins dans plusieurs villes d’Europe. Eliza et Victor semblent être les seuls à être convaincus que la prochaine étape pour le malfaiteur sera Londres. Alors que leurs soupçons se révèlent justifiés et qu’une bande de garçons des rues est enlevée à White Chapel en un remix de Jack l’Eventreur, ils décident d’abandonner ces mondanités ridicules et de retrouver ces enfants. Leur périple les emmènera bien plus loin que les côtes anglaises, et leur fera découvrir une machination d’envergure bien plus importante que tout ce à quoi ils auraient pu s’attendre.

Un vent de fraîcheur sur une société poussiéreuse

« Enfin, la vraie vie ! On devinait que mijotait dans ce chaudron le bouillonnement des idées près d’envahir les rues, de déferler sur les lecteurs, former les opinions et modeler le pays. » -M.S

A une époque où l’imprimerie permettait une diffusion des idées seulement stoppée par la faiblesse de l’éducation de la population, l’idée de Zahar Munte est celle d’un monde égalitaire, où tous les enfants auraient une chance égale à l’élévation sociale et à l’obtention du savoir. Un idéal d’apparence très noble, surtout au siècle de l’effervescence de la révolution industrielle, des innovations technologiques et scientifiques. « La saison des disparus » retranscrit bien ce bouillonnement intellectuel qui se retrouve dans les rues de Londres qu’Eliza arpente pour résoudre son enquête, patrie des révolutions et du mouvement des suffragettes. Mais ce potentiel est gâché par des classes sociales tyranniques et inégalitaires non pas basées sur le mérite mais sur la naissance et le nom que l’on porte. Une réflexion autour des organisations monarchiques de l’Europe du XIXème siècle.

La défense des opprimés

« Lady Newton-Russell, c’est encore pire, confond toujours ses deux femmes de chambre. Elles sont complètement interchangeables. C’est d’ailleurs exactement le point de vue de Mr le vicomte : les gens qui travaillent pour lui sont des pièces, des rouages qui ont chacun sa place dans la mécanique de ses affaires. » -M. S

Alors que cet ouvrage pourrait à première vue être de ceux qui relatent les intrigues dans les salons de l’aristocratie anglaise sans en dessiner les contours, « La saison des disparus » offre au lecteur un regard totalement inattendu vers le milieu du roman , alors que les protagonistes abandonnent toutes ces mondanités inutiles pour voler à la rescousse des plus démunis. Cette société écrase les plus faibles, faisant s’asseoir les puissants du monde sur leur dos. Eliza est dépeinte comme une figure salvatrice, prête à sacrifier un avenir bien rangé au sein d’une société élitiste pour sauver une poignée d’orphelins à travers l’Europe. Une belle leçon de courage et d’abnégation.

Un féminisme sous-jacent

Ce livre est avant tout l’histoire d’une jeune fille de la petite noblesse arrivée à Londres dans les plus prestigieux salons par un certain hasard, et qui décide malgré tout et contre l’opinion de sa grande sœur de s’élancer dans une quête d’apparence perdue d’avance. Une jeune fille qui prend ses propres choix, alors que les femmes de l’époque ne pouvaient rien faire seules à par être belles et se taire. Ce genre de figures féminines fortes évoluant dans des milieux aristocratiques et royaux peut se retrouver par exemple au grand écran avec des séries comme « La chronique des Bridgerton », ou plus anciennement, les incontournables « Sissi impératrice ». Il n’en reste pas moins qu’elles sont peut-être moins exploitées dans le genre littéraire, ce que fait ici Matthieu Sylvander. Eliza en vient même à se couper les cheveux et se faire passer pour un homme afin d’être prise au sérieux. Une problématique qui subsiste encore dans certaines situations de nos jours…

> « La saison des disparus » de Matthieu Sylvander, L’école des loisirs, 464 pages, 17,50 euros

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