La sortie en France de Pachinko (Editions Charleston) de Min Jin Lee est un événement. Ce livre plébiscité outre-Atlantique, adapté prochainement en série télévisée, a déjà ému plus de trois millions de lecteurs, dont Barack Obama, Oprah Winfrey et de nombreuses personnalités américaines. Cette grande fresque suit une famille coréenne sur plusieurs générations et brosse en creux un morceau de l'Histoire du XXe siècle. Pachinko délivre aussi une magnifique leçon de vie et de foi en l'humain. Émouvant, instructif, et universel.
Lorsque Barack Obama déclare que ce livre est «Une histoire puissante sur la résilience et la compassion.» et qu'il poursuit sur sa page Facebook : «Fidèle à la nature du pachinko, un jeu hasardeux dont le labyrinthe d’obstacles détermine le résultat, le roman de Min Jin Lee nous fait traverser quatre générations et la quête d’identité de ses personnages», on se dit que cet ouvrage, Pachinko, deuxième roman écrit par la coréano-américaine Min Jin Lee possède un pouvoir d'attraction particulier.
Quand on découvre ensuite que le livre est resté près d’un an en tête des meilleures ventes du New York Times, a été vendu à plus de trois millions d’exemplaires, traduit dans 30 langues et qu'il va faire l'objet d'une adaptation sous forme de série par Apple, on se dit que nous sommes face à un événement qui dépasse la simple littérature. La question est pourquoi ? Ce récit très bien documenté, minutieusement écrit, presque brodé comme une tapisserie, aborde en plus de 600 pages une saga familiale sur plusieurs générations dans le contexte de la culture coréano-nippone. Le récit bouillonnant regorge de personnages, de petits et grands rebondissements, avec en son centre une figure féminine forte et incandescente. Le texte très réaliste se lit d'une traite, avec l'impression pour le lecteur immergé de faire partie de cette famille. En arrière-plan, la «belle histoire» se décline autour de questions essentielles : l'identité de l'immigrant, la mémoire, la culpabilité et au centre : l'amour - filial, marital...
La récit commence au début des années 1920, dans un petit village coréen, au sein d'une famille pauvre qui tient une minuscule auberge. Une jeune fille, Sunja, se laisse séduire par un riche étranger de passage. Lorsqu'elle tombe enceinte et apprend que son amant est déjà marié au Japon, elle refuse de devenir son épouse coréenne. Pour éviter la ruine et le déshonneur à sa famille, elle va épouser Isak, un pasteur chrétien qu'elle connaît à peine et qui lui propose une nouvelle vie au Japon. Nous suivons le destin de cette femme qui immigre au Japon et va être confrontée aux difficultés pour trouver sa place dans une culture autre, ainsi qu'à sa culpabilité envers sa loyauté mémorielle. Ni tout à fait japonaise, plus tout à fait coréenne, sans jamais savoir où elle se situe, ni comment transmettre son «héritage», Sunja incarne une héroïne modeste et grandiose dont le courage et la force sont bouleversants. Contrairement à Antigone, elle ne se laisse pas aller à la tentation tragique. Elle avance et fait face. Se transforme. Nous transforme. Affronte l'impossible intégration en tant que zainichi qui signifie littéralement «étranger résidant au Japon». Au hasard des rencontres et des désirs, Sunja se confronte à la vie «moderne» alors qu'elle vient d'un monde presque moyen-âgeux. Le pachinko, célèbre jeu japonais, devient la métaphore des sinuosités de la vie qui se joue sans issue prédéterminée.
On suit Sunja jusqu'aux années 80 : télescopage des moeurs, des usages et des cultures. On la découvre se confrontant à l'âprété d'une vie «en dehors de soi». Plus le livre pénètre son intimité, plus il en devient universel. Qui n'a jamais ressenti cette sensation de présence-absence au monde ? Cette singularité de son histoire personnelle face à l'extériorité des «autres» ?
A son fils Noa qui est maltraité à l'école pour ses origines coréennes, son père d'adoption, mari de Sunja dit : «Que pouvons-nous faire d'autre que persévérer, mon fils ? Nous sommes faits pour développer nos talents. Ce qui rendrait ton appa très heureux serait que tu continues de faire aussi bien à l'école. Où que tu ailles, tu représentes notre famille, et tu dois être une personne exemplaire - à l'école, en ville et dans le monde. Peu importe ce que disent les autres. Ou les sacrifices que cela implique.» Une exemplarité qui n'appelle ni à la révolte, ni à l'arrogance, puisque celui-ci poursuit : «Tu dois rester assidu, et avec un coeur humble. Aie de la compasssion pour tout le monde, même tes ennemis.» Un conseil qui va plus loin qu'une simple règle de résistance.
Min Jin Lee, qui est née à Séoul en 1968, est une conteuse. Avocate - elle a été formée à la prestigieuse université Yale- elle a le goût des faits et des descriptions précises. Même si le roman fait plus de 600 pages, sa fluidité est nourrie par les multiples protagonistes et anecdotes. Il se découvre, se goûte, comme un film, tant les scènes de cette comédie humaine asiatique sont vivantes et bien restituées. Rien d'étonnant à ce que les producteurs de The Terror, série signée Ridley Scott, en aient acheté les droits en vue d'une prochaine adaptation.
Mais réduire Pachinko à une saga de type Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen McCullough serait une erreur. Tout d'abord, il fait revivre un pan d'histoire peu documentée et met en scène des thèmes forts : poids des ancêtres et de la famille, colonisation de la Corée par le Japon, Seconde Guerre mondiale vue par les habitants d’Asie de l’Est, christianisme en Asie, émancipation des femmes au XXe siècle au Japon.... Ensuite, et surtout peut-être, Pachinko porte un regard sur les valeurs humaines. En délivrant un message universel par delà la colère ou la violence, et en plaçant les questions d'identité et de mémoire comme essentiels. Ce récit d'une vie singulière montre la voie de la compassion. Avec son héroïne Sunja, Min Jin Lee tisse la toile d'un coeur qui pardonne, relié aux âmes du monde. Elle livre le fruit d'une longue histoire de transmission familiale «au nom de tous les siens». Et de tous les déracinés aux destins tourmentés.
>Min Jin Lee, Pachinko, Charleston, Traduction Laura Bourgeois, 622 pages, 23,90 euros
>Découvrez une vidéo de présentation de Pachinko. (Réalisation : Editions Charleston-Leduc).
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