Victor Hugo est un écrivain multiple aux innombrables facettes. Gourmand de la vie et amoureux de la cuisine, il sait agrémenter sa prose de références culinaires, pour mieux savourer les mots et symboliser les sentiments... Découvrons les métaphores gourmandes de l'initiateur du romantisme exalté. A goûter sans modération, pendant cette période de fêtes de fin d'année.
Le secteur du livre est peut-être en déclin, mais il est néanmoins un genre qui connaît un grand succès : le livre de cuisine. Nombreux sont les ouvrages de cuisine qui prolifèrent dans nos librairies. Mais qu’en est-il de la littérature ? La nourriture a suscité depuis Rabelais – chez qui « l’odeur du vin, ô combien plus est friant, riant, priant plus céleste et délicieux que d’huile ! » (Gargantua, Prologue) - jusqu’à nos auteurs les plus contemporains, un vif engouement. Quoi de plus universel que la nourriture ?
Les fins mets ne peuvent que séduire les lecteurs gourmands avides de prose exquise. Chez Victor Hugo, la question se pose tout particulièrement. C’est d’ailleurs avec un « Bon appétit ! messieurs ! »*, que celui-ci s’adresse à ses personnages dans Ruy Blas, (Acte III, scène 1). Motif omniprésent dans toute son œuvre, des Misérables à L’Homme qui rit, c’est au théâtre que cet enjeu est notamment intéressant, car quoi de plus agréable que de lire ou de voir un festin littéraire ? La nourriture est révélatrice d’enjeux humains, politiques et poétiques. Trois œuvres en sont plus particulièrement l'illustration : Lucrèce Borgia, Ruy Blas et Mangeront-ils?.
La première, parut en 1832, et c’est Lucrèce Borgia. Dans cette pièce, boire et manger sont synonymes de danger. Les Borgia sont une famille royale qui de génération en génération fait régner la terreur sur toute l’Italie. La plus cruelle d’entre eux est Lucrèce Borgia qui fait périr tour à tour les maris qui lui déplaisent. Jugée sans cœur et intransigeante, tout ceux qui l’approchent s’en méfient et chacun sait qu’il ne vaut mieux pas la contrarier… C’est pourtant ce qu’osent provoquer quelques soldats vénitiens. Il faut savoir que Lucrèce Borgia a donné naissance à un fils qu’elle a abandonné, et c’est l’unique personne qu’elle aura réellement aimée. Or celui-ci connaît la triste réputation de Dona Lucrezia ; la chose qu’il ignore en revanche, c’est que cette femme est sa mère. Les soldats qui l’accompagnent se chargent de le lui révéler devant Lucrèce Borgia en personne. Celle-ci s’en trouve humiliée et la douceur naissante qui avait émergé au début de la pièce se transforme aussitôt en désir de vengeance.
La cruelle vengeresse trouve un subterfuge pour piéger ceux qui lui ont causés du tort et organise un festin empoisonné : se nourrir, et surtout boire, sont l’occasion rêvée de les piéger. L’enivrement général est causé par différentes sortes de vins empoisonnés et goûtés par nos chers convives, plutôt deux fois qu’une. La pièce s’achève ainsi par un repas funèbre, le dernier repas de sept compagnons. Surgit alors une Cène détournée où le vin messianique est désormais une potion mortelle. La nourriture, et plus particulièrement le festin deviennent le support de toute une trame. Hugo rompt avec les règles du théâtre classique : boire à en être ivre sur scène bafoue les règles de bienséances chères à Aristote dans sa Poétique. Les personnages s’enivrent et chantent à tue-tête, jusqu’à en mourir.
Mais si la nourriture est porteuse d’une dimension tragique dans Lucrèce Borgia, le motif culinaire introduit une tonalité différente dans Ruy Blas. Drame romantique, cette pièce est emprunte à la fois de tragique et de comique, c’est-à-dire de sublime et de grotesque. L’un des personnages de la pièce, Don César de Bazan, anciennement voleur et bandit, est l’archétype du marginal, du héros picaresque. Il incarne à lui tout seul, la dimension grotesque de cette œuvre, à l’image de la deuxième scène de l’acte IV. Il entre tout d’abord sur scène en dégringolant de la cheminée, échange son manteau contre un plus beau, qui était posé dans le salon, n’hésite pas à déplacer les meubles pour créer son confort de toute pièce… Don César se servira ensuite abondamment dans le garde-manger : il entame boissons et pâtés sans rien n’y connaître en outre. Il alterne ses paroles en se délectant des mets qu’il a trouvés. Nous lisons :« Il boit./A Dieu, cela repose !/Mangeons. Il entame le pâté./Chiens d’alguazils !/ je les ai déroutés./Ils ont perdu ma trace./ Il mange. », Acte IV, scène 2.
De la même façon son discours, si la pièce est écrite en alexandrins, n’est pas plus raffiné : « Oh ! le roi des pâtés ! ». Le dramaturge rompt une fois encore avec les codes classiques : il est scandaleux, pour l’époque du moins, de voir une attitude aussi peu respectueuse que celle de Don César. D’ailleurs, cela ne peut qu’amuser le lecteur/spectateur de voir le comportement de ce personnage qui contraste largement avec celui des autres. Hugo reste ainsi fidèle ce « mélange des genres » dont il avait parlé dans la préface de Cromwell, et cela par le biais de la nourriture.
Enfin, la dimension comique semble l’emporter dans la pièce qu’il écrira plus tard, en 1886 : Mangeront-ils ? Extrait de Théâtre en liberté, cette pièce met en scène un roi amoureux de sa cousine, Lady Janet, qu’il veut épouser. Celle-ci, ne l’aimant pas et amoureuse d’un autre – Lord Slada – décide de s’enfuir du royaume. Or en dehors de cet espace règne seulement la nature, et donc rien qui ne puisse satisfaire les besoins primordiaux des deux amants, reclus dans un refuge. Si l’amour semble dans un temps combler la faim, le lecteur comprend dès la première scène où s’expriment les amants, que cela ne suffira pas :
«Lord Slada : « Et ce mot, c’est Amour ! L’éternité le sème/ Doe, quand il fit le monde, a dit au chaos : Jaime ! (…)/ Mets sur mon front ta main. Je suis ton protégé./Déesse, inonde-moi de ta lumière.
Lady Janet, à part : J’ai/Une faim !
Lord Slada, à part : Oh ! la soif ! »
Le motif de la faim va ainsi alimenter toute la pièce, car de l’appétit des amoureux dépend leur tentation de sortir de leur refuge. Le motif alimentaire interroge alors les enjeux politiques et sociaux. Il symbolise les rapports de force sociaux : « la faim des faibles jusqu’à l’épuisement, le roi prédateur qui dévore son peuple » (François Kerlouégan). La faim va révéler chez l’homme un comportement bestial, qui agit par instinct et élans vitaux. Le dramaturge n’hésite pas à les assimiler à des animaux à de nombreuses reprises ! Le roi est à la fois « tigre » et « ours », tandis que les deux amoureux sont des « tourtereaux ». Le motif alimentaire garde ici une dimension burlesque, mais l’enjeu sous-jacent n’en est pas moins sérieux : il symbolise la tyrannie d’un roi et la misère d’un peuple, qui toutefois dispose de toutes les qualités pour renverser le pouvoir. C’est ce qu’ils parviendront à réaliser.
Le motif alimentaire est donc chez Hugo l’occasion d’interroger plusieurs enjeux : il est l’occasion du mêler sublime et grotesque, d’illustrer métaphoriquement les rapports humains et d’en faire un véritable élément du récit. Mais nombreuses seraient encore les situations de nourriture qui seraient à analyser dans son œuvre…
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