Par un beau matin ensoleillé de printemps, petit clin d'œil de la Providence, une jeune femme élégante se hâtait sur le quai de la gare de Montpellier vers le TGV à destination de Paris. Dans sa précipitation, elle frôla un homme en train de lire un magazine. Elle s'excusa avec un large sourire en posant sur lui un regard inquisiteur. D'un naturel communicatif, l'homme adressa à cette dernière quelques paroles aimables auxquelles elle répondit avec courtoisie. Pendant le bref échange qui suivit, celui-ci eut l'étrange sentiment d'avoir déjà vécu ce moment. Le train étant annoncé en partance, la femme s'excusa et se dirigea d'un pas gaillard vers la voiture la plus proche.
L'homme la suivit du regard tout en regrettant la brièveté de cet impromptu et qu'une fée ne l'eût pas entouré d'une belle magie. Il lui aurait alors déclaré : « Tu es la femme que j'attendais » et elle aurait répondu, son regard clair empreint d'une touchante émotion : « Je t'ai enfin trouvée ».
Pliant son magazine en deux, il le rangea dans sa sacoche en cuir, puis il fit quelques pas sur le quai en pensant au regard expressif de cette femme dont il ne connaissait même pas le prénom. Cette sensation de bien-être, qu'il avait ressenti, tandis qu'elle se trouvait dans le périmètre de son aura, l'interpella. Il estimait cependant plus raisonnable de banaliser cet événement ; car il subodorait que cette dernière avait le cœur tourné, à présent, vers sa petite famille.
Cette femme n'était pas restée insensible au charme de cet homme. Elle repensait aussi à la façon dont cet événement s'était produit, comme si une force l'avait poussée à frôler cet inconnu et à créer ainsi un début d'intérêt. Elle refusait néanmoins de s'illusionner, ayant une fâcheuse tendance à idéaliser les situations.
Confortablement installée dans le wagon de première classe, elle éprouva le besoin de s'appesantir sur le texte lapidaire que cet inconnu avait griffonné sur un marque-page. Elle avait pris celui-ci sans lui laisser croire qu'elle acceptait de le revoir. Tout en examinant le graphisme des quelques mots couchés sur le petit morceau de carton, elle essayait de se faire une idée de la personnalité de ce Grégory. Puis elle le fourra dans son sac et fit en sorte de penser à autre chose tout en regardant, par la fenêtre, le paysage au loin.
Dix jours plus tard …
Alors qu'elle consultait nonchalamment les messages dans sa boîte mail, elle eut une pensée pour cet homme entrevu sur le quai d'une gare. Elle éprouva le curieux sentiment, en outre, que le visage de celui-ci ne lui était pas totalement inconnu. Elle n'en avait plus néanmoins qu'un vague souvenir. Il lui vint le désir soudain de lui écrire un petit message qu'elle intitula : « Hasard ou destin ? »
Bonjour Grégory,
Je suis la personne avec qui vous avez eu un échange laconique à la gare de Montpellier. Après quelques hésitations, j'ai décidé de faire ce pas vers vous.
Dites-moi ce qui vous intéresse dans la vie, ce que vous appréciez dans ce monde ou pas …
Je me prénomme Ryma.
Bonne journée et, peut-être, à bientôt.
Avant d'effectuer le clic d'envoi, elle relut le texte de ce mail qu'elle avait voulu dénué de fioritures. Car son tempérament l'incitait à privilégier l'humilité à l'orgueil dans sa vie, l'authenticité à la superficialité, la spontanéité à l'hypocrisie.
Lors de la consultation des messages de sa boîte de réception, comme chaque jour après le travail, celui d'une certaine Ryma, à l'intitulé dissertatoire, attira l'attention de Grégory. Il avait l'intuition que ce courriel émanait de la personne rencontrée à la gare de Montpellier. Il s'étonnait que cette ravissante blonde aux yeux verts eût un prénom à la résonance exotique. Peut-être devaitelle ce dernier à un goût de ses parents pour les îles.
Que la femme rencontrée sur un quai de gare --- dont le souvenir titillait fréquemment sa pensée --en vînt tout à coup à se manifester, et alors qu'il s'était fait une raison, provoqua un doux tressaillement en son cœur. Son vécu l'engageait à la lucidité et à se méfier de sa nature passionnée ; vu que celle-ci le portait à accorder facilement sa confiance.
Dans sa réponse, il ne chercha pas à finasser ; car il était persuadé que cette personne au regard vif ne manquait guère d'intuition, voire qu'elle possédait un bon discernement.
Il titra son message : « Il n'est pas de hasard ici-bas! ». Avec humour, il l'assura que ce pas vers lui l'obligeait à en faire dix vers elle. « Je suis ainsi, je rends toujours avec force générosité », précisat-il. Ryma lui ayant demandé ce qu'il appréciait ou non dans ce monde, il stipula qu'il s'agissait d'un débat philosophique qu'il n'entreprendrait point via ce mode de communication. Il ajouta qu'il y avait là beaucoup à dire et qu'il préférait donc mieux la connaître avant de se livrer.
Il avoua toutefois qu'il n'était pas toujours simple d'être un humaniste et, partant, une personne profondément idéaliste au sein d'un monde éminemment réaliste. L'Amour authentique y était, selon lui, une sorte de chimère incompatible avec la réalité économique et la société dite moderne. En écrivant cela, il convint qu'elle risquait de ne pas adhérer à son point de vue et de ne pas avoir envie de partager la vie d'un homme à l'inclination spirituelle aussi prononcée. Il n'envisageait pas d'envoyer sa personnalité au rebut et ce, pour plaire à une femme. S’appesantissant ensuite sur la phrase : "Efforcez-vous de lever le voile de cette autre que je cache en moi et vous irez, à coup sûr, de surprises en surprises", il essaya d'évaluer la disposition spirituelle de Ryma. Il l'invita aussi à lui parler de ses centres d'intérêt et, de façon coquine, à déshabiller la femme en elle. Il conclut ce message par une salutation amicalement affectueuse.
L'envoi du mail effectué, il fit derechef une petite lecture analytique de celui de Ryma ; puis il laissa sa pensée vaguer, les yeux clos, tout en supputant sur un futur avec cette personne. D'une nature trop romantique et hypersensible pour un homme, il idéalisa le pas de celle-ci vers lui. Or sa raison contrecarra ce penchant fleur bleue, voire passionné, l'amenant à adopter une attitude plus lucide.
Il tenta de se remémorer le visage de Ryma. Celui-ci n'était plus, cependant, que bribes mourantes. Cette effaçure recelait-elle un dessein occulte ?
Ryma prit connaissance du courriel de Grégory. L'analyse étant chez elle une seconde nature, elle en pesa chaque terme. Ce qui lui permit de déceler de la profondeur et de la sensibilité derrière la coquille des mots. Un constat qui l'encourageait à persister dans la découverte de la personnalité de cet homme derrière l'apparence du verbe. La tournure des phrases quelque peu fermée aurait dû l'inciter à couper court à cet échange. Elle se demandait s'il n'avait pas cherché à induire sa curiosité, voire à provoquer une action de sa part. Comme elle ne manquait pas de discernement, elle parvenait en général à séparer le bon grain de l'ivraie et, partant, à mettre en exergue la richesse voilée par le faux-semblant. En outre, la rédaction du message dans un français excellent démontrait la culture de cet homme. Elle avait aussi noté une première similitude quant à leurs goûts fondamentaux.
Sensible, réfléchie, et positive, elle était naturellement encline à la conciliation et à une intelligente appréciation des situations. De même, elle estimait posséder un tempérament chaleureux, un corollaire de ses origines orientales. D'ailleurs, à son arrivée à Paris, il lui avait fallu s'adapter à la froideur ainsi qu'à l'état d'esprit individualiste de la gent française.
Après sa dure journée de travail, elle prit le temps de répondre au courriel de Grégory avec l'espoir que ce dialogue électronique ferait naître le désir d'une belle relation.
Ayant donné à son mail le titre suivant : « Rien ne vient de rien », elle précisa que leurs pas l'un vers l'autre étaient de bon augure.
Sans le moindre préambule, elle exposa son point de vue sur l'individualisme, l'injustice ou la carence de compassion en ce monde. Elle regrettait que l'Amour fût une valeur reléguée parmi les chimères
tout en reconnaissant qu'il n'était pas simple de s'en faire un objectif au quotidien tant l'agressivité et l'irrespect tendait à dissuader les bonnes intentions.
Elle évoqua ensuite son goût pour la philosophie, quoiqu'elle ne se prît guère pour une philosophe. Cela ne faisait pas d'elle, en outre, une personne austère comme elle aimait rire et ne dédaignait point les joies de la vie. Elle nourrissait, de surcroît, une vraie passion pour la musique, mais pas n'importe laquelle. Sa prédiction allait donc au classique, étant musicienne dans un orchestre régional et ayant été plongée très tôt dans cet univers. Certes, elle ne détestait pas écouter du jazz ou de la variété … celle des années 70 à 90 surtout.
Si elle adorait également partir à la rencontre d'autres cultures ou populations, elle n'appréciait pas de faire le poulet grillé sur les plages de tel ou tel littoral. « Il y a tant à apprendre de ces différences que Dieu a créé sur la Terre », argua-t-elle.
Elle termina son message par la jolie phrase suivante : « Je souffle sur ma plume pour qu'elle vole vers vous ».
Le clic d'envoi effectué, elle imagina celui-ci couché sur une feuille de parchemin et volant dans les airs jusqu'à cet homme que le destin avait apparemment placé sur son chemin. Elle croyait, en effet, que la pensée concrétise ces désirs qu'elle porte en elle.
Grégory était un lève-tôt qui aimait consacrer un moment à l'écriture avant sa journée de travail ; une nourriture intellectuelle et spirituelle nécessaire à son équilibre. Ce matin, toutefois, il n'aurait pu s'adonner à sa passion sans avoir préalablement consulté les courriels. D'une main fébrile, il déroula les titres à l'aide de la souris. Celui de Ryma fit tressauter son cœur. Il aurait été très déçu de constater que cette dernière eût finalement décidé d'interrompre soudain cet échange. Évidemment, ce mode de communication anonyme permettait de disparaître sur un coup de tête ou suite à une incompréhension. Déciderait-elle de ne plus venir à leur rendez-vous virtuel et il lui faudrait se faire une raison ; car il n'aurait aucun moyen de retrouver sa trace. Sa nature anxieuse l'amenait, bien souvent, à noircir le tableau, puis à craindre le pire.
Pour l'heure, Ryma ne s'était point envolée, tel un papillon ; cela pouvait signifier qu'elle avait trouvé agréable le parfum de son cœur. De la retrouver, via quelques phrases qu'il avait la possibilité de relire encore et encore, le réjouissait. Il essayait d'imaginer ce regard qui l'avait subjugué. Le penchant philosophe de cette femme ainsi que son attachement à ces valeurs, qu'il jugeait essentielles, le convainquirent que leurs routes devaient se croiser dans cette vie. De surcroît, il lui apparaissait qu'elle possédait une sensibilité égale à la sienne, un élément apte à conforter le fait d'une rencontre écrite dans les arcanes du Ciel. Ne fût-il pareille conjonction entre eux, il préférerait mettre un terme à cet embryon de relation.
Dans sa réponse, il évoqua cette proximité de leurs personnalités, conscient que la découverte de leurs natures pourrait révéler des différences. Il lui semblait toutefois improbable que cette découverte mît en lumière des disparités propres à déboucher plus tard sur des antagonismes. Il lui confia néanmoins que leurs goûts et aspirations humaines se rejoignaient en partie. Il admit qu'une trop grande ressemblance serait en final ennuyeuse. Les particularismes enrichissent les individus et concourent à leur évolution. Il précisa que, comme elle, il aimait philosopher, mais que sa réflexion était invariablement connotée de spirituel. Il regrettait cependant que la spiritualité fût devenue un marché, un domaine que les spécialistes du marketing s'évertuaient à rendre rentable. Ce qui l'amenait à craindre que les êtres humains n'en vinssent jamais à gravir le sommet de leur pleine humanité.
Après cela, il en revint à des considérations plus légères, la remerciant donc de s'intéresser à lui ; vu qu'elle ne devait guère manquer de galants. Il subodorait qu'elle habitait Paris ou l'Ile-de-France, puisqu'il l'avait vu monter dans le TGV en partance pour la capitale. À moins que la capitale ne fût qu'une étape, de laquelle elle avait rejoint le Nord ou la Belgique. En effet, il avait trouvé son type plutôt nordique avec sa chevelure blonde et ses yeux clairs. La consonance exotique de son prénom indiquait, par contre, une plus lointaine origine.
« L'éloignement par les kilomètres n'empêche guère la proximité par l'esprit », écrivit-il.
Il clôtura son mail de manière poétique, puis il le relut en vue d'en améliorer la forme. Sa nature perfectionniste l'incitait à peaufiner ses écrits.
Il imagina un rayon de lumière reliant leurs cœurs et portant la quintessence de ce message jusqu'à elle. À présent, il ne parvenait qu'à tirer que des bribes du visage de Ryma des brumes de sa mémoire. De même, il peinait à se remémorer le contenu de leur bref échange à la gare de Montpellier. Néanmoins, il avait foi que Dieu entendait sa pensée et s'apprêtait à exaucer son désir d'un grand bonheur.
Femme très active, les journées de travail de Ryma duraient jusque tard le soir. Car, au-delà de son emploi de cadre chez un éditeur de partitions musicales, elle donnait des cours de musique et d'arabe, jouant aussi de la clarinette dans un orchestre. Elle aimait également marcher dans Paris ou autour du lac d'Enghien-les-Bains pendant les week-ends. Très sociable, par nature, elle éprouvait le besoin de partager des moments privilégiés avec ses amis.
Elle lut avec intérêt, et à plusieurs reprises, le message de Grégory. Qu'il y fût plus d'élan que dans le précédent lui plaisait. Elle apprécia, de surcroît, l'enthousiasme du texte. Ayant ôté l'armure du conformisme, cet homme lui donnait à voir une première face de sa vraie personnalité ; ce qui confirmait ce ressenti intuitif qu'elle avait eu lors du dernier courriel. Si son intérêt pour lui persistait, son naturel prudent tendait à l'inviter à la réserve. Elle pensait que cette rencontre n'était aucunement un hasard, croyant en outre au grand amour. Elle avait constaté que les événements de sa vie suivaient régulièrement un cours indépendant de sa volonté, en dépit d'un libre arbitre donnant l'impression de les maîtriser. Elle avait toujours su, au fond, que son âme sœur surgirait tôt ou tard d'une manière imprévue. Ceci étant, elle estimait plus sage de ne point bâtir un plan sur la comète et de laisser évoluer cette relation épistolaire.
Le lendemain matin, de bonne heure, elle s'attela à son ordinateur --- un exercice qui n'avait guère sa prédilection --- en vue de répondre au mail de Grégory. « J'aime contempler les premières lueurs de l'aube. Mon âme se plaît alors à vaguer dans le clairobscur de la nature en éveil », poétisa-t-elle.
Elle lui demanda ensuite s'il était du matin, comme elle, ou bien s'il préférait s'émerveiller de la beauté du coucher du soleil. Elle lui confia être une invétérée philosophe et se souvenir quand sa sœur Zanoubia lui disait : « Arrête de toujours philosopher comme ça ». De là, elle rebondit sur l'optimisme, sur l'espoir en tant qu'antidote du désespoir et sur la part d'humanité au fond du cœur de chaque individu, même le plus mauvais. Elle répondait ainsi aux brèves réflexions de Grégory sur le genre humain.
Elle précisa habiter Enghien-les-Bains, une petite ville sise à quinze kilomètres de Paris, puisqu'il l'avait questionnée de façon détournée à ce sujet. Elle releva aussi sa remarque concernant les kilomètres qui les séparaient, avouant que cela empêchait un vrai partage ; quoiqu'il ne convînt pas d'en faire, selon elle, un obstacle. Afin de faciliter leur communication, elle lui donna, d'ailleurs, son numéro de portable.
Quant à son prénom, elle lui révéla qu'il venait à moitié d'un pays où poussent des cèdres en quantité et à moitié d'un pays où l'humanité a commencé à se civiliser. Ce faisant, elle se plut à le laisser dénouer cette énigme toute simple et, par ce biais, son origine.
Après avoir cliqué sur « envoyer », elle essaya de se remémorer la voix de cet homme. Certes, l'échange avait été on ne peut plus bref à Montpellier. Par contre, si elle trouvait pratique de pouvoir échanger ainsi, via le virtuel, elle aspirait malgré tout à une vraie communication. Dorénavant, chaque fois que le téléphone portable sonnerait, l'espoir d'entendre Grégory ferait tressaillir son cœur. Elle espérait que ses origines orientales ne feraient point s'affadir l'intérêt de ce dernier.
Grégory apprécia la tournure du courriel de Ryma. Il aimait écrire des poésies et manier, de ce fait, la belle langue. Aussi l'attitude de pensée de cette femme s'accordait-elle merveilleusement avec son propre besoin de rêverie et de contemplation. Le côté humaniste de cette femme, reflet d'une belle hauteur d'âme, revêtait pour lui une importance toute particulière ; vu qu'il aurait aimé accomplir une belle œuvre ici-bas. Par cette rencontre, Dieu le menait-il vers un destin humaniste ? Ce serait là une belle gratification.
Le fait qu'ils fussent à sept cents kilomètres environ l'un de l'autre ne décourageait guère son envie de la connaître mieux. S'engageant avec courage et détermination, en général, il irait assurément au bout de cette relation.
Espérant qu'elle attendait impatiemment sa réponse, il lui fit celle-ci : « Ah, ce beau pays d'où une partie de ton nom provient et si proche finalement du cœur de nombre de Français. Évidemment, le cèdre symbolise le Liban. Je ne l'ai jamais visité, mais il me plairait vraiment de le faire un jour en compagnie d'un joli guide. Concernant l'autre partie de ton prénom, j'hésite entre l'Égypte et la Syrie ».
Il lui confia ensuite avoir séjourné quelque temps en Orient et n'y avoir pas connu le dépaysement.
À sa question : « Es-tu plutôt du matin ou du soir ? », il rétorqua qu'il était un lève-tôt, étant habituellement debout à cinq heures trente. Il précisa qu'il changerait sans doute cette façon de vivre avec une compagne à son côté.
« Comme toi, j'aime ces moments où les lueurs lactescentes de l'aube s'éploient sur la nature en éveil. Le coucher du soleil est également un beau moment à qui sait en percer les sublimes nuances. Les premières heures du matin et celles du milieu de la nuit représentent deux périodes privilégiées de silence, propices à la méditation ».
Cette connivence le ravissait. L'exploration de leurs attirances communes mettrait à coup sûr en exergue d'autres points communs. Il spécifia qu'il connaissait bien certains endroits de la région parisienne, ayant vécu une vingtaine d'années à Paris pour des raisons professionnelles. Par contre, il ne se souvenait pas être passé par Enghien-les-Bains. Après son retour du Golfe, il avait rapatrié Toulouse, sa ville de naissance. « Cela fait dix ans maintenant. Que le temps passe vite, Seigneur ! N'étant pas attaché à celle-ci, toutefois, il ne me dérangerait point de la quitter à nouveau », écrivit-il. Il ajouta qu'avant que leurs chemins ne se croisent, même si l'issue de cette rencontre reste encore incertaine, il avait prévu de repartir pour une contrée lointaine. Au fond de lui, il sentait que ses projets de vie seraient prochainement remis en question ; car le destin de l'âme n'est pas accessible, selon lui, à l'entendement humain.
Il clôtura ce message ainsi : « La vibration de ton prénom me transporte désormais vers cette région du monde continûment baignée par un munificent soleil ». Puis il lui communiqua le numéro de son téléphone fixe.
Ryma se surprenait à espérer trouver une réponse de Grégory dans sa boîte mail, le soir en revenant de sa journée de travail. Quoiqu'elle préférât profiter de ce moment privilégié juste avant de se pelotonner dans les bras de Morphée.
Après la lecture du courriel, qu'il lui avait envoyé le matin, elle ferma les yeux pour tenter de le revoir sur le quai de la gare de Montpellier. Son goût pour les belles images, sa nature très sensible la réjouirent. Elle déduisit de la tournure poétique du mail qu'il avait l'écriture pour hobby, voire qu'il en vivait. D'un tempérament esthète, elle aimait cette altérité chez cet homme. De même, leur affinité spirituelle, tout au moins de prime abord, était de bon augure pour la suite de cet échange. L'élan de Grégory avait fait écho en elle et suscité son désir d'en découvrir la personnalité profonde. Dans son message, elle l'avait trouvé respectueux et à l'écoute … deux traits de caractère dignes d'une personne de qualité.
En dépit de la fatigue de la journée, elle décida de lui répondre ainsi : « Le Liban est effectivement ce beau coin de paradis dont je suis à moitié originaire. On ne peut que tomber amoureux de ses paysages semblables à de beaux tableaux joliment peints, de son peuple chaleureux, de son climat agréable. Or les guerres et, en définitive, la bêtise humaine ont dégradé cette beauté ».
Elle précisa qu'elle tenait de cette origine sa spontanéité, son abord avenant et son tempérament communicatif. Quant à l'autre moitié de ses origines, elle émanait du pays qui l'avait vue naître et par lequel de vieilles civilisations avaient transité. Elle spécifia que le Liban parlait plus à son cœur que la Syrie.
Grégory ayant évoqué sa croyance en une destinée pour chaque âme, elle confia qu'elle partageait avec lui cette foi en la réincarnation ; car, selon elle, les âmes revivaient des milliers de fois certainement dans des corps humains ici-bas. « Les situations ou événements de notre existence nous incitent à réfléchir au niveau spirituel », stipula-t-elle.
Elle lui avoua beaucoup apprécier le lire à cause, surtout, des belles valeurs derrière les mots. Étant donné son amour pour la langue française, elle trouvait fantastique que sa route ait croisé celle d'un homme ayant une prédilection pour l'écriture. Puis elle philosopha sur le silence, comparant celui de la nuit à celui entre deux notes de musique. « Qu'en est-il, par contre, de l'âme ? Dieu la contraint-il, après la mort du corps, à demeurer pour l'éternité dans un profond silence ? Nul ne connaît évidemment la vérité de l'Ordre Divin », écrivit-elle.
La délicieuse sensibilité de cet homme rencontrait la sienne, étant une hypersensible à la larme facile et au cœur plein d'amour. Selon elle, sensibilité rimait avec intuition et, d'ailleurs, elle n'en manquait pas.
Elle termina sa petite lettre par une image très orientale sur fond d'humour.
Après le clic d'envoi, elle cogita sur ce sentiment en germination et ce, en attendant que le sommeil l'amenât rejoindre l'univers féerique du rêve.
Grégory lut plusieurs fois ce premier message où Ryma lui avouait ce qui commençait à se dessiner en son cœur … une évolution prometteuse d'avenir entre eux. Profondément spirituel, il croyait qu'un ange avait présidé sur cette rencontre et qu'il les guidait ; bien que cet être occulte ne pût empêcher l'expression de leur libre arbitre.
L'évocation du Liban suscita un élan vers ces lointains horizons dont son âme portait le goût au fond d'elle. Il regrettait, à présent, de n'avoir jamais poussé jusqu'à ce pays lors de ses séjours dans le Golfe. Avait-il fallu qu'il n'y pénétrât que le jour tracé par Dieu ? Concernant la Syrie, le lieu de naissance de Ryma, elle le fascinait depuis toujours à cause de son histoire ; en effet, elle fut le berceau d'une humanité en marche vers une civilisation de progrès. Que cette personne fût originaire d'un pays d'Orient --- une région du monde qu'il aimait à la façon d'une femme énigmatique et sensuelle --- le troublait. À l'évidence, le frôlement de cette femme sur le quai d'une gare, point de convergence de deux chemins de vie, n'était en rien fortuit. Grégory observait que leurs goûts et croyances se rejoignaient.
Outre sa cérébralité, sa sensibilité, son ouverture d'esprit et sa spiritualité, Ryma montrait un net penchant pour la philosophie et, dans une moindre mesure, pour la poésie et les arts. Des dispositions et intérêts qui stimulaient l'envie de Grégory de la fréquenter. N'y eût-il cette distance entre eux, il l'aurait assurément déjà conviée à boire un verre ou à dîner et, ainsi, à échanger sur tous ces sujets qui les rapprochaient.
Naturellement, son cœur aspirait à sortir de la solitude et, somme toute, d'une vie égoïste, voire de profiter d'une délicieuse communion avec une âme complice.
En écrivant : « Je ne suis pas souvent chez moi », Ryma mettait en exergue la différence de leur mode de vie ; puisqu'il menait, quant à lui, une existence plutôt sédentaire. N'y avait-il pas là un hiatus propre à empêcher une vie commune ? Parviendrait-elle finalement à s'accorder avec cette existence spartiate et spirituelle qu'il menait depuis son retour de Dubaï ? Étant donné la nouveauté de leur échange épistolaire, il supputait, bien sûr, sur un avenir aléatoire.
L'adresse mail de Ryma notée dans la zone concernée, il ferma les yeux et pria son ange gardien de l'inspirer, de l'aider à la charmer par le truchement d'un message romantique ... quoique d'une relative neutralité. Un exercice difficile, vu la perspicacité de cette femme.
Il intitula cette petite missive électronique : « Tressaillement de l'âme ! ». Il y reprit l'expression de Ryma, à savoir : « Ce clavier froid n'incite pas à la créativité » tout en faisant observer que l'imaginaire s'exprime mieux par le biais de la main. De surcroît, une lettre envoyée par internet ne contient pas la sensualité du grain de la feuille de papier ni la possibilité de contempler l'écriture de l'autre. À cela, il faut ajouter le manque d'une série de petites odeurs avivant le désir charnel. Combien de personnes ont découvert avec émotion des lettres liées par un ruban, rangées dans une boîte ou un endroit secret. Une chose qui n'existe plus avec des textes rationnellement empilés dans un fichier d'ordinateur.
Tandis qu'il lui proposait de lui écrire une lettre, il pensa qu'elle allait se montrer sans doute réticente à l'envoi de son adresse personnelle ; car il n'était encore qu'un inconnu pour elle.
« Nos sensibilités mutuelles sont si proches qu'il m'apparaît que nos routes ne pouvaient que se croiser. Évoluerons-nous vers un bel amour ou bien nous en tiendrons-nous à une simple amitié ? Dieu seul sait ! J'aime à dire que l'amitié est un affluent de l'amour, bien que celle-ci ne soit guère évidente entre deux personnes de sexe opposé. À vrai dire, il me ravirait qu'il fût un destin d'amour entre nous, que cela fût les retrouvailles de nos âmes après une longue pérégrination ici-bas. Mais j'épilogue alors que, peut-être, nos conditions sociales interdisent cette perspective », déclara-t-il.
L'imaginant dans une situation aisée, voire très aisée, il craignait que leurs idéaux n'en vinssent jamais, par contre, à se rencontrer. Il confia qu'il avait fait le choix, depuis plusieurs années, d'une vie simple … dans une sorte de renoncement. Il prétendit aussi privilégier l'avenir de son âme à l'ascension sociale. De toute façon, il espérait avoir l'occasion d'évoquer de vive voix ces intéressants sujets après qu'une irrépressible envie les eût induits à passer le cap d'un autre type d'échange. Ce jour-là, ils vérifieraient la profondeur de leurs affinités ainsi que leur capacité à transcender leurs éventuelles différences. Il espérait que la richesse cachée au fond de leurs âmes susciterait le désir d'une belle osmose.
Il conclut ce courriel par : « Il nous reste tant à découvrir l'un de l'autre. J'attends impatiemment ta réponse, chère Ryma. M'autorises-tu à t'embrasser affectueusement ? Grégory ».
En début d'après midi, Grégory envoya un texto à Ryma. Il avait fait cela avec l'intention de percer la réelle disposition d'esprit de cette dernière.
« Puisse le désir caché au fond de mon cœur parvenir à stimuler celui reposant, peut-être, au fond du tien », avait-il écrit.
« Le mien est libre, ouvert, prêt à recevoir et à donner. Merci de m'avoir tiré, l'espace d'une lecture gratifiante, de ce bas monde ».
Cette réponse ravit Grégory qui trouvait prometteuse cette disponibilité sentimentale. Il notait donc une même attente d'harmonie.
De retour de sa journée de travail, Grégory ressentit le besoin d'être plus proche encore de Ryma. Ouvrant son PC portable, il relut le dernier message de celle-ci tout en l'analysant en profondeur. Il procéda de même avec le bref texto. Ce faisant, son cœur volait à la manière d'un ange vers cet autre que mère Providence avait placé sur sa route. Au-delà de la froide réalité d'une gare, était-il un subtil ordonnancement, un destin tracé avec une pointe de diamant dans les arcanes du Ciel ? Une soudaine crainte vint corrompre cette idyllique espérance. Il se demandait, en effet, si l'harmonie n'en viendrait pas à un rapide étiolement à cause de la différence religieuse ; car il ne l'imaginait pas de confession catholique.
Par un nouveau message via internet, il invita Ryma à l'appeler. Il intitula celui-ci : « Encore moi ! »
Ainsi il l'informait qu'il se tenait à sa disposition pour un rendez-vous téléphonique. À cet effet, il lui communiqua ses numéros de fixe et de portable. Tout en ouvrant en quelque sorte la porte de son domicile, il lui faisait savoir qu'il vivait seul et, partant, qu'il ne cherchait point une simple aventure.
« À moins que tu ne préfères encore continuer la découverte de nos personnalités par le biais de l'écrit. Pourtant, si j'apprécie personnellement la magie des mots, étant donné mon invétérée inclination pour la poésie, j'aimerais connaître le plaisir de la vibration de ta voix dans mon oreille. Le timbre d'une voix possédant sa propre empreinte, on peut y percevoir une musique agréable ou non à notre ouïe. Ainsi je suis curieux de découvrir l'effet que le tien produira sur la mienne ».
Il pensa ensuite qu'il leur restait à débattre de tant de sujets qu'il serait mieux d'effectuer cela de vive voix. Entendre parler du Liban, un pays aux délicieuses senteurs d'Orient, ainsi que de la Syrie, un lieu où elle avait vécu ses plus belles années sans doute, le rendait impatient. Toujours à l'affût d'une idée originale, il lui vint à l'esprit qu'elle pourrait l'aider à écrire une jolie fiction dont la toile de fond serait l'Orient et que cela deviendrait assurément un best-seller.
Il termina par la phrase suivante :
« Sache que mon cœur est libre également et qu'il aimerait retrouver la douce exhalaison de l'amour ».
La suggestion de Grégory d'un échange téléphonique plut à Ryma qui n'était pas, en outre, une adepte du virtuel. Sa culture orientale l'inclinait à préférer les contacts directs avec les gens. Elle ne trouvait pas très aisé, cependant, d'avoir l'initiative de cet appel. D'autant qu'elle ignorait encore tout de cet homme et, donc, sa disponibilité pour que la conversation fût harmonieuse. De surcroît, ayant un emploi du temps chargé, en général, elle ne voudrait pas qu'il interprétât la brièveté de la communication pour un désintérêt.
Le soir venu, elle se sentit induite au fond de son cœur à faire le pas et, ainsi, à ne pas tergiverser plus longtemps. Avant cela, elle jugea plus correct de l'avertir de son appel par un texto ; même si ses mails l'avaient éclairée sur la nature non-formaliste de cet homme.
« Bonsoir, je peux t'appeler maintenant si tu ne trouves pas l'heure trop tardive », écrivit-elle.
Chaque soir, après le travail, Grégory consacrait deux à trois heures à l'écriture ; vu qu'elle était son passe-temps préféré. Il adorait réfléchir, créer, mêler philosophie et poésie, ayant la chance de bénéficier d'une inspiration prolifique. Toutefois, il n'estimait pas avoir le talent d'un bon écrivain. Aussi s'abstenait-il de proposer sa prose à des maisons d'éditions.
Alors que sa pensée et son imaginaire vivaient un moment osmotique au sein d'une dimension baignée par la lumière de l'Esprit, le téléphone portable émit une sonnerie horripilante. Il sortit donc de son monde, laissant s'évanouir des idées qu'il ne retrouverait peut-être jamais. Sa curiosité l'induisant à prendre connaissance du texto venant d'arriver sur son smartphone, il constata qu'il émanait de Ryma ; ce qui fit trémuler son cœur. Il pardonnait évidemment à cette dernière d'avoir interrompu sèchement la fusion spirituelle où son désir d'une fantastique originalité l'avait transporté.
Il apprécia la belle éducation de cette femme ; un fait qu'il avait déjà observé. En outre, il n'était que vingt-deux heures trente ... une heure très correcte selon lui. De toute façon, il privilégiait, pour l'instant, le plaisir d'un moment platonique avec cette femme à un doux sommeil dans les bras de la fée des rêves. Il s'empressa donc de lui répondre qu'il attendait impatiemment son coup de fil. Par bonheur, elle ne joua pas la coquette en laissant mariner son cœur dans le bouillon du désir.
Peu après, la sonnerie du téléphone retentit. Il inspira une grande bouffée d'air qu'il rejeta tranquillement, puis il appuya sur la touche d'appel et lança d'une voix sciemment grave :
- Bonsoir Ryma.
- Bonsoir Grégory, répondit une voix déterminée à l'autre bout du fil.
Les quelques secondes de silence qui suivirent cette brève entrée en matière parurent durer une heure. Grégory ressentit une grande émotion qui bloqua sa pensée. De son côté, Ryma avait été aussitôt charmé par ce timbre chaud, en dépit de la gravité affectée de ce « Bonsoir Ryma ». Son oreille musicienne avait instantanément décrypté les nuances de ce timbre. Quant à lui, il avait aimé la pointe exotique de l'accent de Ryma. Un événement vocal qui marquait le début de leur véritable rencontre. En effet, l'échange en deux phrases à la gare de Montpellier, l'environnement bruyant et le choc physique n'avaient point permis d'approfondir l'empreinte sonore de leurs voix. Ce silence était, en final, un premier moment de communion pendant lequel l'un et l'autre éprouvaient la sensation d'un prolongement de l'affinité, déjà ressentie à travers les courriels.
- Excuse-moi si je t'appelle un peu tard, mais je viens juste de rentrer chez moi, se justifia-t-elle.
- Je te rassure, Ryma, je suis un couche-tard et un lève-tôt, répondit-il d'une voix souriante.
Peu importaient les paroles finalement. Dans ce premier moment, ils tentaient de se pressentir au-delà du verbe, de retrouver aussi l'image de leurs physiques, voire de s'apprécier. Heureusement, l'embryon d'harmonie qui avait éclos, au fil des mails, semblait trouver là un début d'épanouissement. Grégory appréciait ce flirt par le biais d'une vibration aux riches harmoniques. Dans le secret de leurs cœurs, tous deux formaient l'espoir que leurs ego n'en viendraient pas à flétrir ce bonheur.
- La texture de ta voix est très agréable, confia Grégory.
- La mélodie de la tienne me plaît beaucoup également, renchérit Ryma.
- Nous voilà comblés, s'amusa-t-il.
- Oui et, en plus, ton accent du sud rejoint le mien sud, sud, sud, ajouta-t-elle.
- Ça ne s'entend qu'à peine.
- Je suis à Paris depuis quatorze ans déjà. Le temps passe si vite.
- Quel âge as-tu ? S’enquit-il. Je pense que je peux encore te poser cette question.
- Mais oui, Grégory. J'ai 36 ans depuis deux mois. Et toi ?
- J'ai 50 ans. Ça fait peut-être une trop grande différence entre nous, rétorqua-t-il d'une voix inquiète.
- Ça ne me dérange pas. L'important est d'être en harmonie, non !
- Oui, tout à fait. Merci pour ce bel état d'esprit, Ryma.
- En tout cas, ce début de conversation me plaît, confia-t-elle.
- Tant mieux ! À moi aussi … et beaucoup même. À propos de quel pays d'Orient es-tu originaire ?
- Je suis né à Alep en Syrie, mais ma mère m'a légué un goût profond pour le Liban. Dommage que ces deux pays aient été divisés en deux.
- Cela s'est passé avant 1920 à l'initiative de la France et de l'Angleterre, si ma mémoire est bonne. Ce ne fut pas une décision judicieuse et elle fut même égoïste selon moi.
- Je suis d'accord. Mais ce débat politique risque de nous amener bien loin. Tu ne trouves pas ?
- Oui, bien sûr. La politique et la religion sont souvent sujettes à division.
Il comprit que Ryma souhaitait que cet échange prît un tour différent.
- Comme je te le disais dans mes mails, je regrette de n'avoir pas poussé jusqu'au Liban lors de mes séjours en Orient. On dirait que le destin me rattrape.
Le rire de Ryma, pareil à un flot de charme, baigna son tympan … puis son cœur. « Qu'est-ce que tu me plais, toi alors », pensa-t-il, mais si fort qu'elle aurait pu entendre.
- Il y a des personnes qui doivent se rencontrer, n'importe où qu'elles soient dans ce monde, lança-telle d'une voix qui paraissait empreinte, en permanence, de joie de vivre.
- Mystère d'un destin que chaque âme doit accomplir sur terre. C'est un long débat que nous garderons de côté pour une autre fois, rétorqua-t-il.
La profondeur d'esprit de cet homme séduisait le cœur philosophe de Ryma.
- Ryma ...
- Oui, Grégory.
- Pourrais-tu me parler du Liban ? Peut-être, finalement, ce pays m'appelle-t-il à travers toi.
Un questionnement qui la toucha.
- Si ça ne te dérange pas, Grégory, nous reprendrons cette discussion un autre jour. Je vois qu'il est tard maintenant, précisa-t-elle.
- En effet. En tout cas, voilà un motif pour nous rappeler.
Nouveau rire de Ryma qui caressa sensuellement son oreille.
La communication s'acheva sur des paroles amicales. Il s'était interdit un élan de tendresse, une inclination de sa nature hypersensible. Il aurait pu rester avec elle toute la nuit, convaincu que l'échange ne se serait guère enlisé grâce à la richesse cachée en leurs âmes. La concernant, elle aurait apprécié prolonger cet échange ; en effet, elle avait trouvé chez cet homme une convergence de sensibilité.
Grégory eut l'impression, tout à coup, que ce vide dans sa vie, puisque ce début d'affinité ne signifiait pas la pérennité de cette fréquentation, empêchait son épanouissement. Certes, il était d'un tempérament bilieux en général.
Pour sa part, Ryma posait un regard positif sur la suite de cette relation. Elle pensait en outre que la patience est une vertu de l'âme et qu'il faut aussi laisser le destin œuvrer.
Grégory attendit tout le dimanche, c'est-à-dire le lendemain de cet appel, que Ryma lui fît la joie d'une communication impromptue. En vain ! Aussi se décida-t-il, en fin d'après-midi, à prendre les devants via un nouveau courriel. Il aurait été incorrect, selon lui, de l'appeler au numéro affiché la veille sur l'écran de son téléphone. Il se demandait néanmoins si elle n'avait pas attendu cette initiative de sa part.
L'ayant intitulé : « Pour que tu ne m'oublies pas ! », il commença le message par la phrase suivante : « Ne t'ingénierais-tu pas à me faire languir, une attitude typiquement orientale (sourire) ? ». Il lui confia ensuite que sa voix l'avait ensorcelé. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu le plaisir d'un tel enchantement. Bien sûr, sa nature éprise de poésie l'avait porté à rêver en une délicieuse félicité au sein d'une dimension féerique. Il osa lui déclarer qu'elle avait subjugué son cœur en attente d'un bel amour. « Me voici pénétré désormais du suc de ta féminité au parfum d'Orient », écrivit-il. Il se plut à lui préciser qu'il souffrait du « Ryma addict », un mal dont elle était seule à pouvoir le guérir. « Sans doute, trouvera-t-elle cela quelque peu précipité », se dit-il. De toute façon, l'Amour ne calcule pas. Il rapproche les âmes ayant le destin d'accomplir une expérience ensemble. À la lumière de leurs précédents échanges, il savait que ce type de réflexion rencontrerait l'état d'esprit de Ryma. Il lui vint à la pensée un petit poème :
« Ta voix me fut d'abord une mélodie
Qui me caressa, m'enveloppa et me berça.
Au fil des mots, des phrases, d'elle, je m'épris,
Une belle émotion qui troubla mon esprit.
Certes, ma raison fut surprise par cette folie.
Nul doute que nos âmes étaient sur le chemin
Où attendait patiemment la fée des destins
Pour qu'ait lieu celui dans les arcanes écrit.
Dans mes oreilles résonna ce timbre d'Orient
Qui ressuscita une étrange nostalgie
De mon subconscient remontèrent des souvenirs anciens :
Des paysages, des parfums, des couleurs, une douce harmonie.
Puissé-je bénéficier, désormais, dans mon oreille
De la grâce de ce timbre à l'accent si sensuel.
Ah, mais ! Me voilà pareil à un collégien ébloui
Et innocent qui court vers un bonheur hypothétique.
Prendrons-nous le chemin tracé par nos voix ?
Sombrerons-nous dans une indéfectible joie ?
Préserverons-nous nos cœurs de ces écueils ?
Amour descendu du Ciel, tel l'Esprit Saint
Qui couvre de son ombre celui que le destin
Reconnaît, désigne et guide sur le chemin
Dessiné au premier jour du Souffle Divin »
« Voici une poésie simple qui n'a eu que l'ambition de t'ouvrir un peu plus mon cœur ». Il avoua que
sa vie avait pris, bien souvent, un cours insolite et que cela continuerait assurément. « Peut-être, n'es-tu qu'un rêve, le produit d'un bel enchantement », plaisanta-t-il.
Ryma fut ravi de cette jolie initiative de Grégory. Comme à son habitude, elle relut ce courriel à plusieurs reprises. Sa nature très sensible fut charmée par cette autre, de surcroît, pleine de romantisme et de poésie.
Elle pensa que Grégory avait entrepris de faire évoluer cette relation, mais avec une plaisante subtilité. S'il ne s'était pas agi encore d'une vraie déclaration, l'amour s'était dissimulé derrière les non-dits des mails depuis le début et il n'attendait plus que de briller au grand jour. Ryma était ému par la belle spontanéité et par l'espérance de bonheur de cet homme. Cette constance dans le comportement, qu'elle avait pu observer au cours de leurs échanges épistolaires, tendait à la rendre confiante et à l'inciter, même, à faire des projets. Elle appréciait cet embryon d'harmonie, ce début d'énamourement … tout cela avait soufflé dans sa vie à la façon du chergui (vent chaud qui vient du Sahara et semblable au sirocco).
Ce Grégory ne ressemblait en rien aux hommes de son passé ; même s'il y en eut peu. Quant à la prédilection de celui-ci pour l'Orient, elle ravissait son cœur ; vu qu'elle avait toujours entretenu comme idéal de rencontrer un autochtone de cette belle France et qui soit désireux de partager avec elle son amour pour la magie et la particularité de l'Orient … surtout la Syrie et le Liban naturellement.
Elle chercha à retrouver les traits de ce visage, qu'elle n'avait guère eu le temps de détailler à la gare de Montpellier ; or elle ne parvint à exhumer, du fond de sa mémoire, que de frêles bribes. De pouvoir seulement l'imaginer à travers ce qu'il lui écrivait ou dirait accroissait le charme de ce commencement de relation. Un contexte qui remplissait de joie son âme encline à la rêverie.
Pour l'heure, sa raison l'induisait à poser un regard lucide sur ce changement en gestation et, donc, à ne pas trop idéaliser encore les propos prometteurs de cet homme.
Elle répondit au message de Grégory en citant, tout d'abord, une réflexion de Taher Ben Jelloun : « Il faut savoir se déposséder pour posséder » en précisant que cette dernière avait une certaine concomitance avec une des siennes d'un récent courriel. Elle prétendait cependant que ladite pensée de cet écrivain marocain s'avérait un but exigeant. Se référant à ce que Grégory avait écrit : « Ma vie a pris bien souvent un chemin insolite », elle en avait déduit que son destin l'avait mené vers des hauts et des bas, voire à faire l'expérience, sans doute, de difficiles dépossessions.
Elle lui confia qu'il avait parfois l'attitude de pensée d'un Oriental et, même, la foi d'un musulman, mais aussi que ses mots avaient résonné au fond de son être, puis réveillé en elle une réminiscence enfouie.
Elle poétisa sur le vagabondage des âmes. « La religion musulmane dit que celles-ci tourbillonnent des millions d'années quelquefois avant de retrouver celle qui l'apaise, c'est-à-dire celle avec qui elle doit marcher ici-bas durant un temps dont Dieu, seul, connaît la durée », spécifia-t-elle. Elle ajouta aussi cette pensée amusante : « Quand deux âmes se retrouvent, elles se mettent à se bécoter, puis à s'épouser et à vivre ensemble mille choses jusqu'au jour du repos éternel ». Elle précisa que les personnes ne restent plus ensemble pour la vie, désormais, que l'égoïsme, l'affadissement du sentiment, le besoin de changement les poussent, bien souvent, à vouloir vivre une autre ou plusieurs autres expériences. Dieu demande-t-il finalement à Ses créatures de respecter le lien du mariage envers et contre tout ? Faut-il que celles-ci fassent l'effort de dépasser leurs travers, de transcender leurs bas désirs afin de faire triompher l'Amour ? Et qu'en est-il des âmes ? Ne tirent-elles pas un enrichissement de plusieurs retrouvailles, plutôt que de se contraindre à souscrire à l'ennui, dès lors qu'elles ont vécu tout ce qu'elles doivent avec une autre ? Nul ne sait évidemment la vérité sur les destins tracés par le Créateur ni sur Sa Volonté pour l'homme.
Elle rapporta aussi cette jolie phrase : « L'âme ne se flétrit point avec l'âge, contrairement au corps. Elle croît et elle s'épanouit, même, avec le temps ». Puis elle lui fit savoir qu'elle était née dans une famille aisée et que ses parents avaient eu le souci constant de l'envelopper d'amour, pareillement à sa sœur aînée et à son frère. Cela lui fut une arme pour se défendre contre les adversités de l'existence, voire contre le désamour d'autrui. D'autre part, grâce à son instruction dans une école catholique, elle possédait aujourd'hui de bons atouts et, notamment, une maîtrise en littérature classique. Elle remerciait ses chers géniteurs de l'avoir initiée à ces valeurs qui permettent de ressembler à un humain et non à un animal intelligent.
« Notre bel échange téléphonique d'hier m'a ravie. Nous avons en commun un même goût pour le dialogue et la réflexion », avoua-t-elle. Des points importants, selon elle, vu que dans un couple il convient de crever les abcès, de résoudre les différends par la communication. Elle ajouta que la vie à deux n'est possible que grâce à un amour sincère, mais aussi grâce à des concessions mutuelles et à une connaissance de l'autre. Elle était heureuse qu'ils eussent encore beaucoup à découvrir sur leurs personnalités et, certainement, à partager.
Elle termina par une louange sur la poésie, le romantisme et la délicieuse sensibilité du message de Grégory.
« Je dépose un baiser sur la joue de ton choix », conclut-elle.
Grégory prit connaissance de ce joli courriel de Ryma. Magie d'internet qui permettait l'instantanéité des échanges, mais qui privait, par contre, de la sensualité des odeurs ou parfums, de la possibilité de contempler le graphisme d'une écriture, de profiter tout simplement du charme de la découverte d'une lettre espérée dans la boîte. Lui, si sensible, si romantique, si amoureux de la belle littérature devait donc se satisfaire de la froideur de ce mode épistolaire et trouver plutôt son bonheur dans une sorte d'exégèse des phrases, voire de la pensée de cette femme.
Le cœur philosophe aux accents lyriques de Ryma tendait à les rapprocher, ayant cette même inclination. Au-delà des mots, il décelait un désir d'amour qui suscitait son envie de voler vers elle. Que n'était-il un oiseau au somptueux ramage, capable de la surprendre par un chant aux riches harmoniques.
En relisant ce message à plusieurs reprises, il essayait de traquer, de façon inconsciente, tout ce que cette alliciante personne avait cherché à dire implicitement. En bonne orientale, elle avait à coup sûr le goût du double langage. Certains points qu'elle avait évoqués incitèrent sa réflexion.
Concernant la possession, il jugeait, quant à lui, que celle-ci correspondait surtout à un besoin de sécurité à cause du système dans lequel les individus sont contraints de vivre. Ainsi le matériel donne l'impression d'exister socialement, voire d'une certaine importance … une réaction de l'ego somme toute. Le refus des biens superficiels de ce monde, le fait de se suffire de l'essentiel est, par contre, une attitude sage, une inclination à l'abnégation qui procède d'une âme aguerrie. Cela le renvoyait à sa propre existence pareille à une sinusoïde. Les hauts et les bas s'y succédaient souvent avec une déconcertante promptitude ; mais il avait appris à gérer l'adversité et à ne pas faire preuve de vanité durant les jours de beau temps. Cela ressemblait à une marche spirituelle.
Oui, bien sûr, les rencontres ne sont pas le fruit du hasard. Une âme trouve toujours celle avec qui il lui faut accomplir une expérience. Il aimait son image sur le tourbillon, le flirt des âmes et les épousailles des âmes. Or Dieu seul sait ! Comme elle, il s'interrogeait à propos de la Volonté Divine concernant le mariage. Les individus doivent-ils transcender leurs différends et s'efforcer de ne point succomber à la facilité de la fuite, de la séparation ? Une épreuve par laquelle ils permettent à leurs âmes de croître ? Pourtant, il avait eu le sentiment, à chaque nouvelle rencontre, d'une nécessité … dixit l'actuelle avec Ryma. C'étaient là de bons thèmes de réflexion, voire de supputation ... quoique la vérité les concernant s'avérât inaccessible à l'entendement humain.
Il fut heureux d'apprendre qu'elle avait reçu une bonne éducation au sein d'un foyer attentif à l'amour. Cet acquis la prédisposait donc à désirer construire un couple harmonieux. Ayant bénéficié, pareillement, d'une excellente éducation et ayant été entouré, par sa mère, d'un bel amour, ils auraient en commun cet objectif.
La formation littéraire de Ryma ne l'étonna point, voire elle le ravit. Ainsi ils pourraient philosopher, partager leurs connaissances, leurs visions aussi. Nul doute que celles de Ryma nourriraient les siennes et qu'elles les enrichiraient ou en bousculeraient les fondements. De surcroît, elle disait avoir été initiée aux valeurs essentielles ; ce qui leur permettrait de se retrouver sur un même registre lors du jaillissement d'un grand différend. Certes, il y en aurait indubitablement.
Après une dernière lecture du courriel, il ferma les yeux et tenta d'exhumer de la profondeur de sa mémoire le souvenir du regard clair de cette femme dans lequel il avait perçu une jolie lumière, signe d'une âme bonne et épanouie. Une frêle réminiscence qui provoqua un doux tressaillement en son cœur. Par ailleurs, elle lui paraissait avoir une nature généreuse, une inclination apte à la porter à construire plutôt qu'à détruire. Pour sa part, il avait tendance à regarder la vie de façon positive, même dans les situations les plus désespérées. Il avait été amené, en outre, à aguerrir cette prédisposition.
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