Au
bout d'un long moment, deux autres gardes royaux viennent me chercher
et me conduisent dans un dédale de corridors décorés de fresques
célestes. Figés pour l'éternité en colossales statues, prononçant leurs
paroles de vie gravées dans le granit, dieux et déesses nous accueillent
dans une nouvelle salle encore plus immense et majestueuse. Au centre,
Amon, le dieu suprême coiffé de sa couronne surmontée de deux plumes. A
sa droite, Apis porte le disque solaire entre ses cornes. A sa gauche,
Hor à tête de faucon, le fils d'Osiris et d'Isis. De part et d'autre, je
reconnais Bastet, Geb, Hathor, Isis, Maât, Min, Osiris, Ptah... Tous
les dieux et déesses du panthéon montent la garde, sous le plafond peint
à l'image de la voûte céleste dans laquelle se découpent des
représentations flamboyantes de la déesse du ciel, des astres, des
planètes et des décans. Au centre, sur une dalle de granit poli,
illuminé par les rayons chatoyants du soleil qui pénètrent dans la salle
au moyen d'une ouverture spécialement percée pour lui dans la muraille,
domine un mirifique siège en or massif, entouré de fleurs de lotus
bleues et blanches, surmonté d'un baldaquin orné de plumes d'autruches.
Je suis dans la salle du trône royal...
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Il y a quelques minutes, juste après
mon réveil, un inconnu s'est penché sur moi. Il m'a parlé avec un drôle
d'accent et m'a appelé Admeo. Sur le coup, je me suis dit :
- Il t'appelle Admeo, c'est normal. Admeo, c'est ton nom.
C'est pourtant vrai. Admeo, c'est le
nom que mes parents ont choisi quand je suis né. Mais dans ma vie
actuelle personne ne me connaît sous ce nom. Personne, j'en suis
certain. Il y a très longtemps qu'on ne m'a pas appelé Admeo. D'ailleurs
aujourd'hui, on ne peut pas m'appeler Admeo, puisque personne ne sait
que je m'appelle Admeo.
Pas même Laura.
L'homme que je ne connais pas mais
qui me connaît, lui, puisqu'il m'a appelé Admeo, m'a fait comprendre que
j'avais eu un accident. Et surtout, il m'a dit qu'on ne m'avait pas
fait de transfusion sanguine. Non seulement il me connaît, mais il me
connaît bien, l'inconnu. Même mes proches ignorent mon véritable nom.
Même mes proches ignorent mon secret lié à la transfusion de sang.
Même Laura.
Puis il a ajouté, juste avant de quitter la pièce :
- Il y a longtemps. Très, très longtemps...
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- Et pendant tout ce temps-là,
effectivement, reprend Ludek, les prévisions les plus pessimistes des
climatologues se réalisaient. Le climat de la Terre changeait et
continuait sa ronde de perturbations catastrophiques. C'était devenu du
concret ! Une spirale infernale amorcée à la fin du XXème siècle et
accentuée tout au long du XXIème. Des ouragans dans des régions
jusque-là épargnées, la sécheresse qui s'aggravait en Afrique et
touchait des pays tempérés... Dès le début des années 2020, des glaciers
de montagnes et la calotte glacière du Groenland commencèrent à fondre
lentement, mais inexorablement. En 2042, la calotte glaciaire de
l'Antarctique Occidental se déstabilisa. Il s'ensuivit une élévation du
niveau des océans de dix centimètres en moyenne tous les cinq ans. Les
régions côtières, qui abritaient les deux tiers des grandes villes du
monde, subirent des ondes de tempêtes, des raz de marée, des
inondations. Au début, ce furent les pays pauvres qui payèrent le plus
lourd tribut...
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- Et les forêts ?
- Les forêts reculaient. La hausse
des températures affaiblissait les arbres et faisait proliférer les
populations d'insectes nuisibles.
- Tu oublies les incendies, ajoute Loubna !
- Mais on ne reboisait plus ? Vers
la fin des années 1990, des programmes de reboisement avaient été mis en
place.
- Si ! Pour se donner bonne
conscience, rétorque Loubna ! Les Hommes avaient entrepris des
reboisements. Mais ils n'avaient pas compris que dans certains cas, la
forêt était un acquis de l'histoire des climats du passé. Ils n'avaient
pas compris que les forêts coupées ne se régénéraient plus à cause de la
modification du climat.
Loubna en veut vraiment à ses
aïeuls. Excitée, elle prend la bouteille de champagne qui repose dans la
glace, remplit son verre et le boit d'un seul trait. Puis, en prenant
soin de bien articuler :
- La forêt originale ne repoussera jamais, Admeo. Tu entends? Jamais!
Pendant que Loubna se remet de son
verre de champagne, que Floreal la regarde d'un air compatissant, Ludek
reprend la conversation.
- A la fin du XXIème siècle, la
forêt tropicale avait presque disparu de l'Afrique occidentale, du Sud
asiatique et des Caraïbes. La forêt boréale, victime des feux, des
ouragans et des inondations se mit à dépérir. Le réchauffement, tout
d'abord ressenti dans les régions du nord, fit disparaître la moitié des
forêts nordiques de Russie, du Canada, de l'Alaska et des pays
scandinaves.
- La rapidité des changements
climatiques a surpris la forêt, poursuit Loubna, à nouveau calmée. Elle
était habituée depuis des milliers d'années à des changements
climatiques très lents qui permettaient l'adaptation des espèces.
- Mais alors, que s'est-il passé en 2050 ?..
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Nous avons creusé dans la caillasse
et le sable sur une profondeur de dix-sept mètres, sans relâche pendant
cinq jours, au point précis indiqué sur la carte de Tani, à
cinquante-deux kilomètres au sud-ouest d'al Qasr. Vers le milieu de la
matinée du sixième jour, la pelle de Ramon a heurté un bloc de pierre
qui semblait obstruer une cavité. Un explosif léger placé dans un trou
foré en son centre nous a permis de venir rapidement à bout de cet
obstacle. Aussitôt après la déflagration, nous avions le visage fouetté
par un souffle d'air chaud dégageant une odeur fétide qui s'échappait
d'un escalier sombre s'enfonçant dans les ténèbres.
- Bienvenue dans le monde d'en bas ! s'exclame Tani. Voici le premier passage du dieu...
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A l'instant précis où Tani prononce
le dernier mot de la toute dernière formule, un très bref mais puissant
souffle d'air, chargé d'effluves rappelant les bandes de coton qui
emmaillotaient les momies, s'échappe de ce qui semble être la chambre
mortuaire, en soulevant un nuage de poussière. Il est accompagné d'un
long bruit sourd évoquant un frottement de pierres. Au contact du
courant d'air, le rideau de lin qui nous sépare de la salle, amorce un
envol par le bas, puis, instantanément, le tissu se transforme en une
poudre fine et jaunâtre qui virevolte dans l'air avant de se disséminer
et de retomber sur le sol recouvert de carreaux d'agate jaune. Immobile
depuis tant d'années, la pièce de tissu rectangulaire n'a pas résisté à
ce coup de vent subit. Interloqués, nous nous regardons sans oser
prononcer un seul mot. La poussière venue de la salle obscure retombe.
Instinctivement, dans un silence de plomb, nous dirigeons de concert les
faisceaux de nos lampes en direction de l'ouverture béante et
ténébreuse laissée par la déconfiture du rideau. Plus rien ne frémit...
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