Les Écrits

L'Arche des Temps Nouveaux

 

« Il faut que l'homme expérimente les chemins que lui inspire son ego, qu'il souffre de ses mauvais choix avant d'accepter de se tourner vers la lumineuse Sagesse du Créateur ».

« En transcendant ses ténèbres, une religion devient une voie de lumière »
Citations de l'auteur

 

En l'an 2030, les astronomes signalèrent une étrange distorsion de la constellation d'Orion. Les astrologues en déduisirent le prodrome de crises, de conflits et de drames humains.

 

                                                                              2030

                                                                         

                                                                      L'ouverture

 

Alors qu'il ne leur avait été permis, jusque-là, que des placements dans l'immobilier et les secteurs secondaires, les pétromonarchies réussirent à investir, à partir de 2030, dans des domaines stratégiques, tels que le nucléaire, le spatial ou les hautes technologies, notamment, mais sans effectuer le moindre apport technique. À cause d'une crise économique persistante, les grandes démocraties d'Occident --- fragilisées par un endettement apparemment irrémédiable ---, avaient accueilli l'argent des pays riches d'Orient comme du pain béni. Par conséquent, obnubilés par les résultats à court terme et dénués d'une vision politique à long terme, ces gouvernants avaient ouvert une belle brèche dans laquelle de riches arabes s'étaient engouffrés avec un dessein autre qu'économique. En Occident, durant les décennies postérieures à la seconde guerre mondiale, il y avait eu une accélération de l'immigration. L'année 2025 avait été témoin d'un grand exode d'Orientaux et d'Africains vers l'Europe suite à des conflits persistants dans cette zone. Des millions de migrants, surtout des adeptes de l'islam, avaient ensuite passé les frontières européennes. Depuis cette date, les musulmans revendiquaient leur identité religieuse ainsi que la construction de plus de mosquées; vu que celles en place ne leur permettaient guère une vraie pratique de leur culte. Certes, les avis divergeaient sur le sujet en Europe. De façon à éviter les actes criminels des intégristes islamistes sur leur sol, les États-Unis concédèrent l'édification d'une mosquée supplémentaire dans les cent vingt villes les plus peuplées et dont les dimensions tenaient compte de l'importance de ces dernières. Or les citoyens musulmans trouvaient cette concession bien insuffisante et que le gouvernement ne les traitait pas à l'égal des chrétiens.

Un député d'extrême droite allemand émit l'idée d'une loi remplaçant le droit du sol par le droit du sang ; une intention qui fut relayée en Italie, en France et en Espagne par des leaders du même bord. Les abondants commentaires des médias à propos de cette éventualité engendrèrent de nombreux débats. Au sein de pays à la démographie très mélangée, beaucoup se demandaient, en outre, ce que deviendraient toutes ces personnes issues de l'immigration dans un tel contexte. Les démocrates des grands partis européens estimaient, quant à eux, qu'une telle loi ferait régresser les droits de l'homme.

Au cours des confrontations entre élus d'extrême droite et de gauche ou de droite, la vraie raison de cette proposition transpira. Aussi les musulmans s'alarmèrent-ils d'une telle ostracisation de la part d'une frange, évidemment, marginale de la société. Ils craignaient que celle-ci ne fît son chemin dans les esprits. Des imams appelèrent les fidèles à manifester --- tout en les enjoignant au calme --dans les grandes capitales d'Europe. Les télévisions filmèrent ces rassemblements ordonnés où chacun suivait au mieux l'appel au civisme. Interviewés par des reporters, les contestataires confiaient vouloir vivre en harmonie avec les autres confessions religieuses. Un désir qui toucha les non-musulmans, puisque des sondages effectués par plusieurs grands instituts indiquaient qu'une majorité d'entre eux jugeait un tel souhait légitime.

Visiblement, un intérêt naissait pour cette religion que nombre d'individus jugeaient tolérante et humaine.
En définitive, l'année 2030 fut le point de départ d'un assouplissement législatif et, partant, d'une abrogation de certaines interdictions ; ce qui autorisa l'accès à tous les postes au sein des administrations ainsi que dans les hôpitaux ou les entreprises par les femmes voilées, punissant d'une forte amende toute personne coupable de ségrégation religieuse ou ethnique. Partant, la loi signa la fin du bannissement des signes ostentatoires.

Sous couvert d'un nécessaire progrès social, une voie nouvelle se dessinait dans les vieilles démocraties européennes.

 

                                                                                 2033

                                                               

                                                                 L'incursion politique

 

Depuis les années 1980-1990, la France, l'Allemagne et l'Italie, entre autres, avaient anticipé le futur vieillissement de leurs populations par une immigration massive de sujets âgés de moins de cinquante ans, suivant ainsi les inquiétantes prévisions des démographes à l'horizon 2030-2050. Des jeunes venus du Maghreb et d'Afrique, principalement, avaient donc accouru vers ce qu'ils croyaient être un eldorado. Censés occuper les emplois non qualifiés ou ne nécessitant qu'une formation basique, un pourcentage non négligeable d'entre eux avait instauré des zones de non-droit avec une économie parallèle alimentée par des trafics maffieux. Assurément, en refusant de prendre les mesures drastiques adéquates, les gouvernements successifs avaient montré un grand laxisme. En 2033, la situation en Occident était la suivante : Aux États-Unis : La récession économique s'y était doublée d'une crise sociale. En 2033, Ronald Jefferson, le président républicain en place depuis un an, tentait d'imposer une politique drastique. Il clamait qu'il s'agissait là d'une nécessité propre à permettre à la nation de vivre en paix et, parallèlement, de retrouver le chemin de la croissance économique. Catholique fervent, il jugeait que les musulmans prenaient leurs aises suite à la tolérance des démocrates, lesquels étaient responsables, selon lui, de l'élection de sénateurs de confession musulmane dans quatre États. Homme trapu, le visage carré et les yeux enfoncés dans les orbites, Ronald Jefferson confiait en privé qu'ils étaient le ver dans le fruit et qu'ils s'apprêtaient à corrompre l'Amérique, voire d'autres continents. Le parti « Islam and Humanity » (Islam et Humanité), né en 2026, qui défendait l'idée d'un islam tolérant et attentif aux valeurs humaines, n'hésitait pas à critiquer ce président prôneur d'un catholicisme sectaire. Un tel jugement ne manquait pas d'ulcérer, évidemment, Ronald Jefferson, de même que l'ensemble de la communauté catholique. Ce dernier avait fait procéder à une enquête sur le leader de ce mouvement, un dénommé Omar Al-Kâtib, mais qui n'avait pas débouché sur des éléments probants et aptes à affadir l'image de cet orateur charismatique. Fait inquiétant, « Islam and Humanity » s'étoffait grâce à l'adhésion de nouveaux convertis à l'islam.

Globalement, en Europe :

À cause de l'ouverture de leurs frontières par les vieilles démocraties en son sein, l'Europe comptait un fort pourcentage de musulmans sur la majeure partie de son territoire. Afin de signaler leur rejet de cette société intransigeante et leur rancœur envers leur marginalisation, les immigrés sousqualifiés prenaient le chemin de la délinquance. Par conséquent, l'Europe était devenue le lieu d'une violence grandissante. Les gouvernements peinaient à lutter contre le fléau des exactions dans les zones urbaines sensibles --- ou aires infra-urbaines --- et à résoudre le problème relatif à la précarité de ces individus … mais pas seulement.

Et plus précisément :

En France :

Un mouvement « Nous, les Exclus » naquit à l'initiative « d'Aubervilliers Land », un quartier bouclé par une organisation mafieuse qui tenait tête aux forces de sécurité. Hamid Cheirouf, le leader de ce mouvement fit des émules dans les diverses banlieues sensibles de France et d'ailleurs. Partant, il eut droit à des heures d'antennes sur les grandes chaînes de télévision. Fort de cette médiatisation, les immigrés d'autres pays européens créèrent des mouvements concurrents. Ni pacifistes, ni ordonnées, leurs manifestations dans les rues engendraient des affrontements musclés avec les forces de l'ordre. Tout en profitant de cette extension internationale de sa petite idée, Hamid Cheirouf tentait de se faire une place au sein de l'échiquier politique français. Certes, les militants de sa formation étaient des casseurs prêts à semer le désordre à la moindre occasion et à en découdre de façon très violente avec la police ; ce qui desservait son ambition de devenir un homme politique respectable. Le public français ne regardait pas d'un bon œil ces contestations, réclamant même l'emploi de la manière forte, via des unités spéciales de police ou de gendarmerie. N'étant plus considéré comme un parti d'extrême droite, le « Front d'Union Républicain » s'attirait, de fait, la sympathie des personnes ulcérées par l'excessive tolérance du gouvernement de droite aujourd'hui au pouvoir. D'ailleurs, le nombre de celles-ci croissait grandement. Nul ne croyait plus que la gauche mènerait une politique plus volontariste, malgré la fermeté du discours de son leader … un dénommé Georges Borguès. Lors de sa gestion des affaires de l'État, de 2020 à 2025, elle n'avait guère montré une grande efficacité. Depuis, elle s'époumonait pour retrouver du crédit auprès d'une opinion publique excédée par la détérioration de la société. Ayant récupéré tous les déçus de gauche et de droite, le « FUR » (Front d'Union Républicaine) caracolait donc en tête des sondages. Cela permettait à Etienne Gamblain, son leader, d'être déjà crédité d'une belle majorité à l'occasion de la toute prochaine élection présidentielle.

En Allemagne :

Une sorte de gauche écologiste se trouvait, depuis peu, au pouvoir. Le chancelier Arnold Hauptmann, un homme au regard bleu clair et plutôt charismatique, parviendrait-il à aplanir les tensions responsables d'un grand malaise social ? L'effritement progressif de son économie n'autorisait plus ce pays à se poser en donneur de leçons en Europe. Là aussi, les laissés-pourcompte et les marginalisés par le système existant, ou s'estimant comme tel, s'étaient regroupés au sein d'un mouvement qu'ils avaient appelé Beliebte Aktion dans lequel les islamistes cherchaient à faire pression sur le gouvernement et à obtenir des concessions. Comme en France, ils revendiquaient le même traitement religieux que les catholiques. Soucieux d'apparaître tolérant, équitable et de réussir là où son prédécesseur avait échoué, le nouveau chancelier accepta de dialoguer avec ce rassemblement hétéroclite de quatre cent mille militants environ. Il s'ensuivit un progrès législatif qui accordait aux musulmans une identité sociale plus forte. Cela ne manqua pas, évidemment, de provoquer des échauffourées entre ces derniers et les tenants de la vieille tradition catholique.

Dans les autres nations européennes:

Certains autres États de la zone Euro, gouvernés par des régimes centristes, populistes, de gauche ou d'extrême droite, comme l'Italie, l'Espagne, la Belgique, l'Autriche, souffraient de la même maladie que la France et l'Allemagne, deux grands pays fondateurs de l'Europe et, aujourd'hui, déclinants : une forte instabilité économique, une société en rupture, un fort accroissement de la précarité et de la violence. Les coupes budgétaires drastiques ne permettaient pas, en outre, la mise en place d'une politique offensive  et,  surtout,  en  mesure de  rétablir  l'ordre ; car  quatre-vingt pour cent des citoyens de cette vaste zone enduraient les actes condamnables d'une minorité mafieuse, laquelle s'évertuait à répandre la haine et la pagaille. La criminalité, les viols, les vols à la tire, les cambriolages, … avaient cru de manière exponentielle. Quant à la police, elle affichait une flagrante incapacité à reprendre la main. Malgré un discours apaisant, les ministères de l'Intérieur de ces pays semblaient totalement dépassés ; quoiqu'ils se livrassent à une pitoyable désinformation, par le biais de statistiques erronées, afin de ne pas accentuer la psychose. Les partisans des ÉtatsUnis d'Europe réclamaient l'élection d'une autorité forte à Bruxelles, arguant que la disparité des régimes ne se révélait guère propice à la mise en place d'une politique répressive bien orchestrée sur l'espace européen.

Concernant les pays du Nord de l'Europe, ils avaient fait montre, depuis longtemps, de vigilance et d'équité ; ce qui les plaçait dans une situation différente, comparativement à leurs voisins du Sud. Ayant régulé l'immigration au mieux, les nations de l'Europe de l'Est ne pâtissaient pas, de leur côté, des délits et autres brutalités que celles, précédemment citées, devaient supporter.

En Angleterre :

Dans ce pays, non adhérent à l'Union Européenne, un certain Hichem El-Fassi avait créé un parti semblable à I&H (Islam et Humanity, Islam et Humanité) après plusieurs rencontres avec Omar AlKâtib à New-York. L'Angleterre étant par tradition très ouverte au multiculturalisme, et plutôt permissive dans beaucoup de domaines, l'arrivée d'un parti musulman au sein de l'échiquier politique ne choquait pas la population autochtone. Le gouvernement travailliste, qui avait réussi à juguler jusque-là les velléités de violence grâce à une politique équitable, n'estimait pas dangereuse cette formation musulmane. Selon lui, elle demeurerait marginale ; car les sunnites et les chiites, essentiellement, n'arriveraient jamais à s'entendre sur un projet commun. Le Premier ministre Marwin Dobson invita Hichem El-Fassi au 10 Downing Street pour un entretien courtois, mais surtout destiné à montrer aux musulmans qu'il leur reconnaissait   une   légitimité  politique. Ne pouvant   prendre  parti,  le  roi Charles III s'en tenait, quant à lui, à prévenir le Premier ministre sur le danger d'une tolérance excessive. Il pressentait que sa chère nation enclenchait un processus qui ferait inévitablement son chemin au-delà d'elle.

                                                                                                     

                                                                                  2036

                                                                             

                                                                             L'alliance

 

Majid Chawkif, un français d'origine syrienne par son père et tunisienne par sa mère, déposa à la Préfecture de Nanterre les statuts d'un mouvement politique auquel il avait donné le nom de « Démocratie Islamique ». Cette association ne comptait, pour l'heure, qu'une trentaine de membres. Peu après, il traversa la Manche, afin d'aller quérir les conseils du sieur Hichem El-Fassi ; vu qu'il aspirait à devenir un acteur respecté du monde politique français.

Hichem El-Fassi, un homme de quarante-quatre ans au regard ténébreux, de taille moyenne, mais athlétique, reçut l'impétueux et longiligne Majid Chawkif --- qui portait bien ses cinquante-trois ans --- dans son bureau de Notting Hill à Londres. De prime abord, le calme du premier contrastait avec le tempérament hyperactif du second. Après un préliminaire de courtoisie, ils entrèrent dans le vif du sujet. Chawkif ne maîtrisant pas la langue de Shakespeare, ils conversèrent en arabe.

- J'aimerais avoir tes conseils sur le discours que je devrais tenir aux musulmans de France pour qu'ils rejoignent mon parti, confia Chawkif.

- Comment il s'appelle déjà … ce parti ?

- Démocratie Islamique.

- Démocratie Islamique, ...Mm, répéta El-Fassi d'un air songeur.

- C'est ça. - Bon … ajouta laconiquement l'Anglais.

- Tu as l'air dubitatif. Pourquoi donc ?

- Je réfléchissais tout simplement.

- D'accord et alors ?

- Tu sais, c'est surtout ce que tu comptes dire qui a de l'importance. Quelle ligne as-tu l'intention de donner à ce parti ?

- En fait, j'envisage de porter haut les valeurs du coran.

- C'est-à-dire ? S’enquit Hichem.

- Eh bien, de discourir sur ces hautes valeurs qui permettent à l'homme de devenir un vrai musulman. Elles sont écrites noir sur blanc dans le coran, non.

- Combien y a-t-il en France de musulmans … vraiment musulmans ?

- Je n'en sais fichtre rien. Mais, dis-moi, j'imagine que tu as entendu parler de Hamid Cheirouf, le fondateur de « Nous les Exclus ».

- Oui, bien sûr. La télé a parlé de lui ici et il y a aussi des articles le concernant dans Internet.

- Figure-toi qu'il a réussi à constituer un mouvement de trois cent mille personnes en racolant seulement des exclus. Je ferais une bonne pêche si j'arrivais à ramener ses ouailles vers mon parti.

- Cheirouf a l'air d'avoir une forte personnalité et pas mal de gueule aussi. Si tu lui fais la guerre, il va te renvoyer dans tes buts et, à mon avis, ça va faire désordre. Vos ennemis à l'extérieur compteront les points et, à tous les coups, ton parti s'éteindra. Écoute, manœuvre avec diplomatie plutôt ! Fais donc alliance avec Cheirouf et tu verras ensuite comment lui tailler des croupières.

- Tu as raison. Si tu l'as vu à la télé, tu t'es sûrement aperçu qu'il a un look de zonard. Sans doute, son langage t'a échappé. Aussi, crois-moi, c'est celui d'un type des quartiers sensibles. Tu ne connais pas Aubervilliers, j'imagine. Voilà un coin peu recommandable … vraiment !

- Auber … comment ? Questionna El-Fassi.

- Aubervilliers ! C'est le nom de cette banlieue où, à coup sûr, Cheirouf a vu le jour. Ce coin est un ramassis de voyous.

- Je ne comprends pas pourquoi tu cherches alors à amener ces gens vers toi.

- Pour que mon mouvement prenne du volume et fasse populaire. Comme ça, j'en attirerai d'autres venant des classes sociales défavorisées, mais qui sont intégrés dans la société.

- Si tu veux faire alliance avec Cheirouf, dans un premier temps, il va falloir quand même que tu lui trouves quelques qualités et un peu de sympathie. Sinon ton projet échouera.

- C'est sensé ce que tu me dis là. Les exclus sont en fait une rampe de lancement, car je veux aller plus loin et plus haut.

- Qu'entends-tu par plus haut ?

- En France, tous les musulmans ne sont pas dans la précarité. Il y en a beaucoup, heureusement, qui sont, comme je te le disais tout à l'heure, bien intégrés et qui participent donc à l'effort national.

- Je vois que tu as des principes, Majid. C'est bien.

- Mon grand-père était magistrat en Syrie et mon père était enseignant. J'ai appris d'eux les vraies valeurs musulmanes. Et puis … j'aime la France. Ce pays part à la dérive. C'est bien dommage ! Mon intention est de l'amener à retrouver sa grandeur. Nous, les musulmans, nous avons un rôle à jouer en Europe, désormais, et nous avons aussi le devoir de faire grandir l'islam.

- Tu m'intéresses, Majid. Quelle est ta formation ?

- J'ai fait des études de droit, puis je me suis lancé dans le commerce. J'y ai bien réussi somme toute. Ceci dit, la politique m'a de tout temps intéressé et je sens que c'est l'heure de prendre le gouvernail.

- Quel âge as-tu ?

- Cinquante-trois ans et toi ?

- Cinquante et un comme mes cheveux grisonnants l'indiquent, lança El-Fassi en découvrant sa dentition bien blanche.

- La politique est un métier, tu sais, poursuivit celui-ci. Si tu veux y exceller, il te faut apprendre à nager dans des eaux troubles tout en évitant de te faire écharper par les requins. Passons du temps ensemble et je t'enseignerai ce que l'expérience m'a appris.

- Voilà une bonne idée, Hichem, que je prends pour du pain béni.

- Je pense que tu as du potentiel. Si tu suis mes conseils ainsi que ceux de mes cadres, tu devrais aller loin, confia l'anglais.

- Merci pour ces bonnes paroles, rétorqua Chawkif avec une pointe d'émotion dans le regard.

Hichem El-Fassi invita Chawkif à déjeuner. Il trouvait en cet homme une religiosité bien ancrée ; ce qui avait fait germer une idée dans sa tête, mais qu'il préférait encore laisser mûrir. Il lui fallait, en outre, mieux cerner le personnage.

                                                                                    2037

                                                                             

                                                                            La prophétie

 

En 1985, Sadden El-Faouly --- un membre de la tribu Touareg de Lybie à la peau noire --avait reçu une prophétie, via un songe, qu'il s'était empressé d'écrire sur une peau d'agneau tannée, puis de rouler et d'attacher avec une cordelette avant de la ranger dans un petit sac de laine. Vu l'impénétrable ésotérisme de celle-ci, il s'était étonné d'avoir réussi à la transcrire. En 2000, juste avant de s'envoler vers ce jardin céleste où l'attendaient ses aïeuls, il avait rapporté cette insufflation à Fahd Abouadi, le plus jeune fils de son cousin --- un jeune homme tout en rondeur et dont la barbe épaisse et très brune contrastait avec une calvitie précoce --- qu'il savait être un expert du coran. Il avait enjoint Fahd à la discrétion jusqu'à ce qu'un ange lui inspirât à qui remettre ou comment faire connaître cette prophétie. Par conséquent, Fahd Abouadi l'avait gardée à la manière d'une sainte relique dans le petit sac de laine de Sadden El-Faouly. À l'heure de son trépas, en 2035, il avait transmis la précieuse révélation à l'imam Tarik Husmeini avec la recommandation suivante : « Tu as le devoir de la faire entendre à l'humanité »; or, dans l'incapacité d'en décoder le contenu, ce dernier la montra à un autre imam, réputé pour sa science religieuse, certain qu'il l'instruirait sur son abstraction. Pourtant, ce religieux afficha la même incapacité que son prédécesseur à décrypter le texte. En désespoir de cause, Tarik Husmeini confia le document à Ali Salaâr, un ermite soufi. Fort de sa clairaudience, celui-ci parvint à en faire une traduction, quoique très éloignée du contenu initial. Car l'ange, qui veillait sur la prophétie, avait empêché son déchiffrage. Se croyant investi de la mission d'éclairer l'humanité sur la volonté de Dieu pour ce monde, Tarik Husmeini divulgua donc le texte d'une prophétie tronquée. L'œil malicieux sur un visage avenant qu'une barbe épaisse et grisonnante soulignait, il déclama :

« Voici ce que je suis chargé de révéler : l'islam a le devoir de gouverner le monde. Allah, le Miséricordieux, va faire descendre sur la Terre le mahdi (Le guide ou sauveur que tous les musulmans attendent). Oui, le dernier imam, qui est dit le douzième, dominera ce monde et le débarrassera du Mal. Ce jour sera l'avènement de l'Oumma. Moi, je n'ai pas d'autre mission que celle de vous avertir de sa venue. Réjouissez-vous du grand changement qui est en cours ! Grâce à lui, les hautes valeurs de l'islam uniront enfin les hommes. Ils seront guéris du péché et il n'y aura plus que des frères et des sœurs sur la Terre. Vous qui êtes nés musulmans, vous êtes bénis. Mais vous, qui avez le destin de rejoindre bientôt la communauté musulmane, vous allez connaître un grand bonheur. Qu'Allah bénisse ce monde ! ».

L'intervention de l'imam Tarik Husmeini, retransmise par les chaînes de télévision du monde entier, ravissait les musulmans. Elle inquiétait toutefois les chrétiens, même si ces derniers trouvaient prétentieuse cette affirmation d'une ère nouvelle par l'entremise d'un messie de lignée mahométane.

Le pape Sixte VI provoqua la tenue d'un concile, qu'il nomma Secretum concilium, (signifie : « Concile Secret ») afin de débattre avec les ministres de l'Église de la préoccupante extension de l'islam en Occident. Sa petite voix lui soufflait que le christianisme allait connaître, à court ou moyen terme, une période difficile. Cet homme au regard clair et intelligent refusait cependant de laisser périr doucement l'Église. Aussi ordonna-t-il aux cardinaux d'opérer avec détermination, en vue d'une mobilisation des catholiques. Il espérait, en outre, que les chefs des autres obédiences chrétiennes réagiraient, voire emboîteraient le pas de sa crainte.

Conformément à un haut dessein, la prédiction dictée à Sadden El-Faouly resterait voilée pour longtemps encore. Quant à sa diffusion sous une forme altérée, elle n'était pas œuvre humaine.

 

                                                                                 2038

 

                                                                   Une poussée subtile

 

Les journaux télévisés, ainsi que la Presse papier ou internet, continuaient d'épiloguer sur le message de Tarik Husmeini. Des débats avaient lieu également entre les élus politiques de tous bords. Les religieux catholiques demeuraient réservés, quant à eux, suite à l'invitation du pape à une totale discrétion. Celui-ci voulait ainsi montrer aux autorités islamiques son absolu mépris de l'élucubration de l'imam. Certes, cette prophétie --- résultat, selon lui, d'une foi aveugle dans le coran --- ne méritait pas la moindre considération. Dans un court message intitulé Sequuntur Christum (signifie « Suivons le Christ »), il écrivit :

« Jésus-Christ est le chemin qui mène au Père. Nul prophète ne saurait prétendre au statut de Fils Unique. Par conséquent, le Tout-Puissant n'enverra plus de Messie jusqu'à cette fin des temps où le Seigneur Jésus-Christ reviendra pour séparer le grain de l'ivraie et conduire le peuple des justes dans Sa Lumière. Depuis Abraham, Dieu a annoncé le Christ et, aujourd'hui encore, Il enjoint l'humanité à le reconnaître. Évidemment, Il est seul à savoir la nature des épreuves par lesquelles celle-ci doit passer ».

Dans les mosquées, les imams --- principalement les sunnites --- dénigrèrent cet appel de Sixte VI à voir le prophète Jésus comme le Fils de Dieu. En public, ils critiquaient, de même, l'irrespect des prélats catholiques envers la Volonté Divine tout en précisant que le Très Haut avait bel et bien exprimé celle-ci par la bouche de Tarik Husmeini. De surcroît, le coran consignait cet avènement du douzième imam ou Mahdi, envoyé dans le monde pour le purifier, puis le sauver.

La différence des points de vue en la matière entre les sunnites, les chiites, les salafistes, les wahhabites, les alaouites et les kharidjites, notamment, était cause de dissonances au sein du peuple musulman. Toutefois, la primauté des sunnites en Orient et au Proche Orient tendait à faire croire au reste de la planète en une unicité du discours islamique.

Ainsi les sunnites entreprirent de rabaisser le christianisme et de vilipender ses hauts représentants à l'aide d'un livre écrit par un journaliste de renom, un certain Aziz Benjoar. La papauté y était discréditée à travers son histoire depuis l'élection du premier vicaire de Rome, à savoir Anastase Ier. La corruption de nombreux ecclésiastiques, et non des moindres, les affaires de pédophilie, l'hypocrisie du célibat et le « faites ce que je dis et non ce que je  fais » éloignaient peu à peu l'Église catholique de ses propres fidèles. L'auteur ne ménageait pas, non plus, l'Église Orthodoxe. Diffusé en vingt-huit langues, cet ouvrage créa un grand trouble au sein de la population des chrétiens, toutes obédiences confondues ; malgré la division de celle-ci, vu que les uns reconnaissaient les déviances de nombre d'ecclésiastiques et que les autres prenaient ce dénigrement des prélats --- surtout celui relatif au saint-père --- pour une offense inadmissible. Concernant les athées, ou se déclarant comme tels, ils aspiraient à voir la fin des systèmes religieux. Ils affirmaient aussi la nécessité de dépasser la croyance en la toute-puissance d'un Dieu invisible, arguant qu'elle freinait le progrès de l'homme.

Au-delà de cette action malsaine des musulmans, l'Église s'inquiétait, depuis une vingtaine d'années, de la dégradation continue de la participation des baptisés aux messes dominicales. Les imams profitaient de cette désaffection des catholiques pour susciter des conversions à l'islam par le biais de prosélytes dans le milieu étudiant et par l'utilisation de toutes les méthodes possibles, de manière à convaincre sur les belles valeurs de cette religion. Les jeunes disciples, surtout, voyaient leur zèle discrètement récompensé. Les clubs sportifs, et autres associations, étaient ainsi le lieu d'une insufflation islamique qui portait ses fruits au fil des mois.

De leur côté, les évêques demandaient avec insistance aux curés des paroisses de faire preuve de créativité ; car ils mesuraient le danger de cette mainmise des musulmans sur la société. Homme pétri d'humanisme, le pape invitait les cardinaux à dispenser un message de tolérance à l'image de celui de Jésus-Christ. « Notre divin Seigneur a su montrer beaucoup d'Amour et de grandeur d'âme en toutes circonstances », aimait-il à répéter. Le souverain pontife restait persuadé que cette attitude chrétienne servirait l'Église à terme et que ceux qui convoitaient sa disparition en seraient alors pour leurs frais. Il s'agissait là, toutefois, d'une position optimiste et idéaliste de Sixte VI qui ne faisait pas l'unanimité au sein de la communauté ecclésiale. Certains, à l'instar des cardinaux de Paris et de Madrid, prétendaient même qu'un propos de ce type n'œuvrait pas pour le bien de l'Église. La situation critique imposait, au contraire, d'agir avec opiniâtreté et de manière plus offensive.

La destinée de la chrétienté n'était-elle pas finalement déjà décidée dans le secret du Ciel ?

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