De manière générale, l’adaptation des œuvres littéraires au cinéma pose de réels problèmes aussi bien sur le contenu que sur les choix narratifs pour faire progresser l’histoire, qui plus est face à un auteur aussi exigeant qu’est James Ellroy, avec ses romans touffus, comportant plusieurs personnages et autant de styles narratifs.
La littérature Noire vampirisée par Hollywood:
Si la production hollywoodienne est toujours friande de romans noirs, elle se fait fort d’avaler bon nombre de romanciers à ses propres fins ou pour des raisons bassement commerciales, perdant ou abandonnant en passant l’originalité de leur univers (que ce soit Dashiell Hammett, Hémingway, Georges Ballard ou même Stephen King...). Les frères Coen en ont même fait le sujet d’un de leurs meilleurs films ("Barton Fink", avec John Turturro), se vendre aux diktats de Hollywood serait quasiment se vendre au Diable selon eux.
Le style littéraire d’Ellroy se caractérise par une inventivité verbale de tous les instants, dépeignant avec rudesse les recoins sombres de la société américaine et établissant surtout une description hallucinée de la Cité des Anges des années 1940 et 1950.
De manière générale, la littérature Noire est un espace critique mis à profit par les auteurs pour développer des mondes ambivalents, des personnages complexes, aux moralités floues, des récits politiques aussi et des vues sociologiques. Ellroy ne déroge pas à la règle, avec ses romans ayant pour sujet le Los Angeles des années 1940 et 1950 (que ce soit "Le Grand Nulle part","L.A.Confidential" ou "White Jazz") et décrivant des flics corrompus et une ville gangrénée par la pègre et le Mal. Ellroy nous décrit ainsi une Carte du Tendre très noire du Los Angeles de l’époque, une sous-culture, véritable "Underworld", petites histoires de personnages sans foi ni loi, à côté de la grande Histoire (Ellroy fait se mélanger souvent personnages de fiction et personnages réels).
Le style et les romans d'Ellroy:
James Ellroy est aussi connu comme écrivain pour affirmer un style dépouillé à l’extrême, délibérément graphique du type : "Sujet-Verbe-Complément-Sujet-Verbe-Complément", à la limite des textes de rap. Ellroy, par ce style, cherche à redéfinir le langage des personnages afin de faire progresser la narration du roman, ainsi que des personnages (d’où les difficultés majeures d’adapter ses romans au cinéma, d’où quelques ratages magistraux, mais aussi quelques réussites).
James Ellroy (Lee Earle Ellroy) est né le 4 mars 1948 à Los Angeles d’un père comptable (relativement âgé : il fut le comptable notamment et gigolo accessoirement de Rita Hayworth) et d’une mère infirmière ; il a vécu une enfance et une adolescence chaotique, toujours très présente indirectement au sein de ces romans. Le meurtre de sa mère en juin 1958 (toujours inexpliqué) fut une tragédie marquante au coeur de sa vie d’homme. C’est un auteur essentiellement de roman noir (peut-être le meilleur actuellement aux Etats-Unis), et ses romans les plus populaires n’ont été adaptés au Cinéma qu’à partir des années 1990.
Adapter les romans d’Ellroy, c’est savoir reprendre avec une précision étonnante l’argot ("slam" en anglais) et les expressions des policiers et de la pègre des années 1950 et 1960. Les romans d’Ellroy ont toujours une dimension historique ; Ellroy sait mêler personnages réels et personnages fictifs. Il s’est intéressé aux coulisses du pouvoir des Administrations Kennedy, Johnson puis Nixon, ainsi qu’au fonctionnement des pratiques policières du FBI, avec des descriptions gratinées de son chef, à savoir John Edgar Hoover (anti-communiste notoire, homophobe, républicain réactionnaire, chef tout-puissant du FBI pendant 48 ans jusqu’à sa mort en 1972).
Ellroy n’a jamais caché aussi sa passion pour le Classique et le Jazz, musiques très présentes dans ses romans ; ni sa haine paradoxalement pour la Pop et le Rock qui incarnent pour lui tous les défauts de la contre-culture des années 1960. Il se définit comme un conservateur endurci, limite militant et réactionnaire. Dans ces interviews, il déclare avoir en horreur les Gays, les Hippies et tous les symboles de la contre-culture (comme Houellebecq, mais pour d’autres raisons).
Petit tour d’horizon des romans adaptés au Cinéma :
"Cop" de James B.Harris (1988) (ancien producteur et ami de S.Kubrick) :
Avec son premier best-beller, "Lune sanglante", Ellroy connait les joies de l’adaptation-cinéma. "Cop" suit l’enquete de Lloyd Hopkins, flic borderline du LAPD (James Woods, toujours aussi givré), sur les homicides effroyables perpétrés sur des femmes par un sérial-killer. "Cop" se révèle seulement une honnête série B, sans le sel toutefois du langage et de l’atmosphère des romans d’Ellroy (dans le roman, le flic et le sérial-killer finissent par se ressembler dans leurs obssessions morbides, ce qu’oublie complètement le film).
"L.A.Confidential "de Curtis Hanson (1997) :
Pour une fois, Ellroy a salué l’intelligence de l’adaptation de son roman par le scénariste Brian Helgeland (scénariste de "Mystic River" de Clint Eastwood). Le roman L.A.Confidential est ainsi une fresque monumentale s’étalant sur 10 ans dans laquelle Ellroy livre sa vision impitoyable de Los Angeles : sa police, sa corruption et ses mœurs déliquescentes. Brian Helgeland passe à la trappe la moitié du roman et se focalise d’abord sur les trois flics et leurs obsessions maladives.
Ce qui fait la force de ce film c’est aussi sa réalisation bétonnée, sa reconstitution historique en règle, ainsi que son casting de stars : Kim Basinger (en sosie de Véronica Lake et un Oscar à la clé), Guy Pearce (Ed Exley, flic soi-disant intègre en mémoire de son père flic lui-aussi), Kevin Spacey (Jack Vincennes, flic corrompu jusqu’à la moelle, seulement intéressé dans son métier par son rôle de conseiller technique dans la série télévisée "le Badge de l’Honneur") et Russell Crowe (en Bud White, flic torturé par la mort de sa mère, battu à mort par son père). C’est peut-être le film qui reconstitue le plus fidèlement l’atmosphère si particulière des romans d’Ellroy, avec des anti-héros comme flic ayant chacun des névroses ou des traumatismes personnels, et se mouvant dans un LA des années 1940 corrompu (avec la figure du mal absolu, Dudley Smith en capitaine de police de droit divin, manipulateur, républicain réactionnaire (bon chrétien, bon père de famille mais d’abord une crapule finie), personnage récurrent dans les romans d’Ellroy).
"Brown’s requiem" de Jason Freeland (1998) :
L.A.Confidential a démontré qu’il était enfin possible d’adapter Ellroy, devenu très tendance à Hollywood. "Brown’s Requiem", toujours inédit en France, suit les pérégrinations de Fritz Brown, flic incapable, la honte du service... Malheureusement, le réalisateur Mickael Rooker ("Henry, portrait d’un tueur en série") a loupé son film en ne décrivant pas assez précisément la noirceur du roman. Le réalisateur n’a pas su capter les obsessions et l’univers du roman.
"Dark Blue" de Ron Shelton (2002) :
Ici, Ellroy est directement crédité au scénario original (pour porter une caution morale ?). L’action se situe dans le Los Angeles juste avant les émeutes de 1992 (suite au procès Rodney King). Le film est d’abord un Buddy movie, entre un vieux briscard corrompu (Kurt Russell) et son jeune acolyte en formation. Le film dépeint une brigade spéciale complètement corrompue, avec à sa tête un officier joué par le démoniaque Brendan Gleeson, qui n’hésite pas à tuer les témoins gêneurs et faire du chantage ou de l’extorsion de fonds... La mort de la jeune recrue sur le lieu d’une opération policière réveillera les velléités de justice du vieux briscard en dénonçant les pratiques mafieuses de son chef...
Le film se terminant de manière apocalyptique (par les émeutes des ghettos noirs de Los Angeles). A noter qu’Ellroy a désavoué ce film, car ne se passant pas dans les années 1960 (avec les émeutes de Watts en 1965) comme dans le roman original. L’action du film fut réactualisé en 1992...
"Le Dahlia Noir" de Brian De Palma (2006) :
Adaptation la plus connue du roman le plus célèbre d’Ellroy, d’après l’un des meurtres non-élucidés les plus mystérieux de Los Angeles : celui d’Elizabeth Short en 1947, apprentie starlette, littéralement découpée en deux. Le film se veut être fidèle au roman d’Ellroy par le scénario de Josh Friedman ; De Palma met l’accent sur la vie d’apprentie-actrice d’Elizabeth Short et la relation amicale entre deux flics chargés de l’enquête et la femme de l’une d’elle (Scarlett Johansson).
Brian De Palma injecte dans ce film quelques unes de ses obsessions, à savoir le voyeurisme (les bouts d’essai érotiques d’Elizabeth Short), la corruption des âmes (le match de boxe truqué et une époque d’après-guerre troublée) et les faux-semblants de l’usine à rêve (démontage en règle du monde hollywoodien). Si la reconstitution historique est comme toujours soignée, le film est trop touffu, avec une intrigue mal dépouillée et confuse, et un acteur principal Josh Hartnett trop nonchalant.
Toutefois, on retrouve la maestria de De Palma dans la réalisation, avec deux longs plans-séquences : ceux des combats de rue après la match de boxe au début du film et celui plus impressionnant de la découverte le long d’une route du corps d’Elizabeth Short, contigu à l’action licencieuse des deux flics en filature sur une autre affaire.
"Au bout de la Nuit" de David Ayer (2008) :
Ce film montre peut-être les limites sous-jacentes des romans d’Ellroy et leur adaptation ; en effet, ce film paraît daté, déjà vu dans son intrigue (surtout face à la modernité et l’actualité des téléfilms policiers de chaines câblées, comme "The Shield" ou "Alias"...).
Tom Ludlow (Keanu Reeves égal à lui-même) est un flic alcoolique des Moeurs, traumatisé par la mort de sa femme, et qui est accusé à tort du meurtre d’un collègue (en fait commandité par son supérieur ultra-corrompu (Forest Whitaker)). Il utilisera tout son savoir-faire de flic pour prouver son innocence et se rendra compte de la corruption à grande échelle du LAPD... Toutefois, on retrouve les mêmes schémas narratifs des héros d’Ellroy dans ce film, à savoir : traumatisme initial du personnage principal, fautes commises, prise de conscience puis rédemption plus ou moins assumée et réalisée, le tout au sein de structures anxiogènes (LAPD ici).
La prochaine adaptation d’un roman d’Ellroy serait celle de "White Jazz" (suite confirmée de L.A.Confidential) par Joe Carnahan (cf article sur ce cinéaste à l’intérieur de ce site). Il semblerait que les romans d’Ellroy et leurs adaptations aient toujours la cote à Hollywood et soient matière à des exercices de style par des cinéastes hot (ou présumés comme tels).
PS : A noter que James Ellroy produira lui-même un prochain film, d’après son livre "Ma part d’ombre" relatant l’enquête sur le meurtre non-résolu de sa mère en 1958, grâce à l’aide d’un inspecteur à la retraite, Bill Stoner. David Duchovny ("X-Files") serait pressenti pour jouer le rôle d’Ellroy.
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