L’adaptation des œuvres littéraires au cinéma est déjà très ancienne, car elle date des frères Lumière qui adaptèrent déjà Jules Verne. A l'époque du cinéma muet, Shakespeare a déjà été adapté à de nombreuses reprises. Le premier film italien, "les derniers jours de Pompéï", est ainsi adapté du livre éponyme.
Des adaptations célèbres:
Mais aujourd’hui, des best-sellers("Ensemble c’est tout "Gavalda/ Berri, "Da Vinci code" Dan Brown/ Ron Howard,"et si c’était vrai" Lévy/Walters), de grandes oeuvres littéraires, et même des romans de gare font ainsi l’objet de nouveaux films plus ou moins réussis.
Les entrées en salle sont supposées suivre ses records de vente, et l’appât du gain tente ainsi de nombreux réalisateurs même si le prix à payer pour acquérir des droits d’auteur devient pharaonique. Et même si la critique trouve souvent dans l’adaptation l’occasion de vives critiques.
Un article de la revue Positif (n°563 janvier 2008) en faisait ainsi référence : dans cet article, l’auteur dénigrait les œuvres adaptées françaises récentes, et accusait en particulier Pascale Ferran de trahir complètement l’œuvre de DH Lawrence dans son "Lady Chatterley" en occultant totalement le pan historico/politico/social du livre.
Pascale Ferran lors de la sortie de son film a longuement expliqué qu’elle avait choisi la version de "Lady Chatterley et l’homme des bois", 3ème version du livre écrite par DH Lawrence, parce-que celle-ci privilégiait l’histoire d’amour du couple. Cette passion, très minutieusement décrite à travers leur environnement proche explore les sentiments des deux héros mais aussi le parc, la nature au cours des saisons. Ce qui a motivé Pascale Ferran, c’est cette approche des corps en accord profond avec la végétation et le temps qui passe. Et elle a pris soin d’insérer dans son film des scènes courtes mais très fortes évoquant très bien la différence de classes de l’époque (la scène tournée dans la voiture à la sortie de l’usine est caractéristique).
Adapter, c'est trahir l'œuvre?:
Peut-on parler véritablement de trahison? L’oeuvre écrite, dès qu’elle ne se limite pas à une simple nouvelle, possède une densité trop grande pour être toute entière mise dans l’œuvre filmée, et il serait étonnant de penser que des dizaines d’heures de lecture nécessaires à la lecture du livre peuvent se transférer toutes entières dans une à trois heures de cinéma.
Si l’on se réfère à un colloque organisé par le CNC (en 2009) sur l’adaptation des oeuvres, Olivia Nora, intervenante n’hésita pas à déclarer : "on entend beaucoup dire : je ne veux pas trahir. Mais je crois que la condition pour réaliser une belle œuvre , c’est justement de trahir l’œuvre originale, en bien ou en mal, mais il faut trahir".
Les grands films tirés de grands livres sont toujours la vision de deux artistes qui ont apporté chacun deux visions du monde.
Julien Gracq disait de l’adaptation :" pour qu’un roman devienne un très bon film , il faut que le film soit autre chose. Il s’agit de chercher une sorte d’équivalent mais qui ne se limite pas à la simple transposition visuelle".
Pour le critique André Bazin, il est clair que la réalisation d’une grande adaptation exige l’intervention d’un "génie créateur" : il ne s’agit pas de traduire si fidèlement, si intelligemment que ce soit, mais encore de s’inspirer librement, avec un amoureux respect, en vue d’un film qui double l’oeuvre, mais de construire sur le roman, par le cinéma , une oeuvre à l’état second. Non point un film comparable au roman, ou "digne" du livre, mais un être esthétique qui est comme le roman, le roman multiplié par le cinéma.
Sur une approche toute différente de celle d’André Bazin, on peut citer la position de Marguerite Duras ( ce qui ne l’a pas empêchée de travailler sur l’adaptation de ses romans au cinéma , seule ou avec Resnais par exemple !) : "Le cinéma arrête le texte, frappe de mort sa descendance : l’imaginaire. C’est là sa vertu même : de fermer, d’arrêter l’imaginaire. cet arrêt , cette fermeture s’appelle le film. Bon ou mauvais, sublime ou exécrable, le film représente cet arrêt définitif. La fixation de la représentation une fois pour toutes et pour toujours".
On pourrait lui répliquer que les représentations d’une même oeuvre sont parfois nombreuses, et parfois fort différentes. Prenons pour premier exemple Madame Bovary. Les deux adaptations françaises (Renoir et Chabrol) ont peu en commun, mais sont toutes deux réussies ( malgré un côté un peu scolaire pour Chabrol. Flaubert le déclarait déjà à l'époque : "Jamais moi vivant, on ne m’illustrera, parce-que la plus belle decription littéraire est dévorée par le plus piètre dessin (...) une femme dessinée ressemble à une femme voilà tout. l’idée est déjà fermée, complète et toutes les phrases sont inutiles tandis qu’une femme écrite fait rêver à mille femmes."
Il en est de même pour Simone de Beauvoir qui écrivait : "C’est l’évidence de l’image qui donne aux films leur force ou leur séduction : mais aussi par sa plénitude inéluctable la photographie arrête ma rêverie. C’est une des raisons pour lesquelles - on l’a dit souvent - l’adaptation d’un roman à l’écran est presque toujours regrettable. Le visage d’Emma Bovary est indéfini et multiple, son malheur déborde son cas particulier ; sur l’écran je vois un visage déterminé, et cela diminue la portée du récit. Je n’ai pas ce genre de déception quand l’intrigue a été conçue directement pour l’écran ; il me plaît que Tristana ait les traits de Catherine Deneuve : c’est que je suis d’avance résignée à ce que cette histoire n’ait que la dimension d’une anecdote".
Passer du texte à l'image (ou l'inverse?):
Le problème de l’imaginaire est récurrent : quel professeur ne s’est pas posé la question en étudiant Le Guépard de Lampedusa s’il était judicieux ou non de commencer par visionner le film de Visconti avant d’attaquer l’oeuvre écrite.
Le comte Salina est et restera Burt Lancaster tout au long de la lecture, et cela, grâce à l'apport du film. Mais après tout, pour une oeuvre difficile pour un lycéen d’aujourd’hui, la magnifique reconstitution des derniers moments de l’aristocratie sicilienne est un bon moyen pour se plonger ensuite dans le roman.
Mais l’adaptation classique d’une grande oeuvre littéraire peut en modifier de profonds aspects : elle peut ainsi être transposée dans un autre pays à une toute autre époque ( "les Liaisons dangereuses" de Josée Dayan sont adaptées de nos jours, idem pour "la princesse de Clèves" de Christophe Honoré, "Boule de suif "de Maupassant a été déplacé aussi bien au Japon par Mizoguchi qu’aux Etats-Unis par John Ford dans "La chevauchée fantastique"...). Il est également possible ne garder qu’un personnage et de lui faire vivre d’autres aventures, l’important est de mettre en exergue un aspect du roman, de le rendre unique et inoubliable.
Et l’on pourrait énumérer les parfaites adaptations qui parfois réussissent à éclipser le roman originel, telles "Shining" de Stanley Kubrick, très supérieur au livre de Stephen King ou "Les Affranchis" de Martin Scorsese (adaptation remarquable du roman de Nicholas Pileggi). Mais peut-être la querelle est-elle vaine, et Littérature et Cinéma ont-ils tous deux à s’enrichir des réflexions en miroir qu’ils se renvoient.
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